#histoires # 01 Perec | Histoires possibles de l’histoire laissée en plan

Histoire d’un point qu’on ne peut pas fixer
Histoire de la première image qui se déplace ou se déforme au gré de l’histoire

Histoire du film de mariage à dix-huit images par secondes; et la mariée rit et on voit toutes ses dents même ses gencives
Histoires de celles et ceux qui ont les gencives découvertes et ou les yeux plutôt enfoncés
Histoire d’images saccadées qui donnent un air burlesque à ce qui ne l’est peut-être pas ( saccadées comme les bras d’un bébé qui bat des bras)

Histoire de photographies et de leur lien supposé avec l’histoire
Histoires d’images retouchées et colorisées comme point de rencontre entre deux personnages

Histoire de la maison de bois
Histoire de celle de droite et de celle de gauche dans l’image ( en prenant l’histoire à rebours); celle de gauche a une couverture sur les épaules: on dirait une indienne; l’autre porte un châle pour cacher son ventre
Histoire du chien entre les deux qui sauva l’enfant
Histoire de l’enfant qui faillit être avalé par le serpent
Histoire de blanc comme : champ de coton. Et de rêver qu’il neige

Histoire d’une traversée
Histoire d’un quai à l’aube et on voit des mains agiter des mouchoirs

Histoire du capitaine qui avait le mal de mer sur terre comme en mer
Histoire de celle qui avait le pied marin comme on a la couleur absolue et qui portait un enfant sous sa robe
Histoire de la fanfare dérisoire et des ballons de fêtes sur le quai
Histoire de celle qui aurait une croix dans le dos
Histoire de qui avait un nom à coucher dehors et supprima des lettres à son nom pour dormir à l’abri
Histoire de corps perdus en mer avec ou sans naufrage : parce qu’il arriva que l’on saute juste pour ne pas avoir à revenir en arrière
Histoire de Jonas dans le Livre; la même dans la tête de quelqu’un qui l’a oubliée, la même encore racontée sur un bateau à un enfant qui ne peut pas dormir

Histoire de la statue qui tenait un flambeau ou un glaive dans sa main, suivant comment on raconte l’histoire, et de, comment des oiseaux déféquaient sur son nez

Histoire de visages défigurés par l’histoire

Histoire d’être chez soi partout nulle part
Histoire de tranchées et d’un photographe qui déplace son trépied dans une forêt puis dans une guerre de l’autre côté de la mer

Histoire de celle qui buvait du pétrole et parlait aux étoiles et qui serait malgré elle à l’origine de l’histoire de l’histoire laissée en plan

Histoire de A qui avait fui par le train et posait pour les peintres
Histoire de B qui voulait être peintre et avait fui par le mariage
Histoire de S qui avait troqué sa hache contre un trépied
Histoire du père qui n’avait qu’une hache et de la mère qui portait ses enfants pendus à sa robe comme des breloques

Histoire de Daisy Bell parce qu’il y aura toujours un cheval dans l’histoire

Histoire de ce visage qui remonterait d’une cuve et se rappellerait à l’histoire

Histoire de l’atelier du jardin transformé en laboratoire
Histoire de la grange et des sacs de grains cousus ensembles
Histoire d’une route de campagne dans un pays lointain et la vieille jument qui tire le chargement s’appelle Daisy : Oh Daisy Old Daisy Bell

Histoire des lettres dessinées qui traversèrent l’atlantique
Histoires de photographies prises au Congo par celui qu’on croyait mort en tombant d’un échafaudage

Histoires de peaux
histoires de peaux noires et de peaux rouges
Histoire de B. qui avait la peau blanche si on la compare à d’autres

Histoires de visages  
Histoire de têtes couvertes de bandages
Histoire du chapeau de paille de B
Histoire de fruits pendus avec leurs chapeaux

Histoire de dessiner tout ce qu’on voit
Histoire de dessiner même sur des feuilles maculées de sang

Histoire de l’entêtement de B

Histoires de dessins qui attestent
Histoires de photographies qui auront brulé

Histoire des trous de l’histoire sans quoi il n’y aurait pas d’histoire
Histoire de noms oubliés ; supposés ; déformés ou inventés
Histoire des noms changés pour la beauté de la langue


A propos de Nathalie Holt

A commencé en peinture, a vécu de théâtre et d’opéra, des années de scénographie plus tard ne photographie pas que son lit, tient son journal en images, écrit et marche chaque jour a publié un peu pour aller au bout d’un geste ( Ils tombaient ) ( Averses) https://www.amazon.fr/stores/author/B09LD7R2KY . Écrit pour lire.

9 commentaires à propos de “#histoires # 01 Perec | Histoires possibles de l’histoire laissée en plan”

  1. Des histoires de dessins, d’enfants pendus à la robe comme des breloques, d’oiseaux déféquant sur le nez de la statue, du point qu’on ne peut fixer…. Des histoires en soi déjà.

  2. « Histoire des trous de l’histoire sans quoi il n’y aurait pas d’histoire »
    Merci Nathalie. Toute l’immensité des interstices des écritures. Merci.

  3. « Histoire de Jonas dans le Livre; la même dans la tête de quelqu’un qui l’a oubliée, la même encore racontée sur un bateau à un enfant qui ne peut pas dormir »

    Sinon:

    Ca me frappe là, maintenant, je lisais beaucoup les histoires de Pierre (Bellemare), et je me souviens d’une, là, maintenant. Un gars, qui racontait sa vie par morceaux. A chaque fois que quelqu’un racontait un truc avec un général ou un cheval, il répondait nonchalamment « mmmm… », repartait chez lui, et revenait quelques jours plus tard avec une histoire à raconter sur sa vie.

    On retrouvera plus tard, deux fois morts, des cahiers dans lesquelles il consignait toutes ces histoires, pour être sûre de ne pas se répéter et pour ne pas être pris en défaut. Pendant une guerre, ou l’autre, il s’était retrouvé seul à côté d’un mort. C’est pas que sa vie, son nom ou quoi que ce soit entre les deux étaient si terrible qu’il veuille y mettre un terme, mais il a vu une opportunité qu’il a saisi en quelques secondes. Il a pris les papiers du mort et a laissé les siens sur le mort. Puis il a « inventé » toute sa vie, tranquillement, pendant le reste de cette vie là.

    J’avais adoré l’idée. Et tous ces titres d’histoires me rappellent, là et maintenant, cette histoire là.

  4. Merci Louise, Ugo, Alexia pour les détails ou phrases relevées qui donnent des directions (du coup vais faire un effort pour aller creuser un peu)

  5. Histoire de peaux noires et de peaux rouges, il y a beaucoup d’histoires possibles juste derrière un titre, c’est infini. courage.

  6. Le s a sauté et le H est en trop, je vais rectifier donc lire « histoires de » entendues par B. De l’infini je n’aurais retenu que ce qu’elle aurait dit qui effraie ( je manque de courage) merci pour le passage Laurent

  7. Cela, c’est un texte qui tient tout seul, qui parle, qui prolonge, qui demande à qui le lit prolongation… C’est fou, l’effet qu’il fait. Et aussi un peu la patte de l’autrice quand on la lit beaucoup, avec « l’histoire que qui avait un nom à coucher dehors… » Tellement admirative. Merci pour l’élan.