#histoire #07 | Le monde de Mow

Elle voit une bouteille vide entre l’eau et le sable. Chaque vague la repousse et à chaque fois elle roule pour reprendre la mer. Enfin non pas la mer, l’eau est encore salée, il y a encore des marées, mais on est sur le fleuve depuis un bon moment quand on arrive à Londres en remontant la Tamise. 

Elle voit le cadre de la fenêtre qui lui découpe la vue comme le bord du papier pour un tirage photo. Aujourd’hui la photo montre un bout du chenal avec les premiers murs et puis les premiers arbres de l’île de Bréhat. Il pleut, les gouttes roulent sur la vitre mais ne rouleraient pas sur un tirage papier. Dire les gouttes qui roulent en rajoutant des mots à côté des images ? 

Elle voit sur la carte du bleu et quelques lignes mais aucun dessin d’île, pas de terre, pas de côte. Elle est au milieu de l’eau, eu milieu de la mer, au milieu de la Manche, soudain elle se sourit en pensant Don Quichotte, Don Quichotte de la Manche. L’Espagne est un pays où elle n’est jamais allée, elle ne connait pas sa côte mais elle reconnait le dessin du pays sur une carte.

Elle voit les morceaux de bois comme les côtes d’une baleine, d’un immense animal, la régularité de leur alignement, la symétrie de la quille en colonne vertébrale, leurs formes similaires mais jamais toutes pareilles, toujours un changement d’angle, un changement de courbure. Elle voit de l’intérieur le bateau qui respire, le ventre d’un cétacé comme le voyait Jonas.

Elle voit les oiseaux de mer revenir vers leur nid, vers le poussin affamé qui crie pour sa survie qui crie pour qu’on le nourrisse, qui crie pour qu’on le réchauffe, pour qu’on s’occupe de lui, qu’on fasse tout pour lui, pour qu’il puisse s’en aller et puis quitter ce nid qu’on a construit pour lui pour qu’il puisse y grandir et apprendre et partir

Elle voit dans la cuisine le soleil qui se pose juste sur le mur d’en face, juste sur les étagères toutes croulantes de casseroles et d’ustensiles divers, elle voit les ombres par terre dans le cadre de la fenêtre, le col du robinet, son arrondi parfait en cou d’oiseau d’eau douce, héron ou de la famille, avec un très grand cou souple et aux courbes douces. Elle voit le drapé du torchon pendu juste à côté, elle voit des ombres, des contours sans détails, elle voit des noirs et blancs comme ses premières photos

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.

2 commentaires à propos de “#histoire #07 | Le monde de Mow”

  1. J’aime bien ces métaphores animales qui décentre et image la vision du personnage. Et j’aime beaucoup cette question là pour la forme interrogative, la seule de l’ensemble, et donc prend une importance particulière, et sur ce questionnement du comment dire/comment montrer « Dire les gouttes qui roulent en rajoutant des mots à côté des images ? »

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