Je suis revenue. Dans l’île qui m’a vue petite, les îles qui m’ont vues petite, les îles que j’ai vues petite. Pas chez mon père et mon oncle, cette maison-là je n’ai pas envie d’y retourner. Je suis revenue devant la maison de mon grand-père à Unst. Avant d’arriver devant la petite maison, j’ai dû remonter toute l’île principale vers le nord, vers Toft, presque devant mon ancienne maison, mais je ne me suis pas arrêtée, j’ai évité de regarder, je suis montée dans le ferry pour Yell, puis de l’autre côté de Yell, dans le ferry pour Unst, j’ai traversé Unst et je suis arrivée tout au fond de la baie de Burrafirth. J’ai hésité et j’ai finalement garé la voiture plus haut, sur le parking de la réserve des oiseaux, en face des parcs où on nettoyait les moutons. Les parcs existent toujours, mais maintenant l’endroit est surtout le parking de la réserve naturelle d’Hermaness, c’est ce qu’indiquent les panneaux. Une fois la voiture garée, je suis descendue à pied, je n’ai pas coupé directement par les champs à cause du mur en bas, j’ai fait le tour par la route.
Je suis devant la porte de la maison qui était la maison de mon grand-père. La porte au milieu du mur blanc, entre les deux fenêtres, toit noir en fausses ardoises, pas d’étage. Maintenant ce sont des fenêtres pivotantes à petits carreaux, avant, c’étaient des fenêtres à guillotine. Maintenant que je parle le français parfois mieux que l’anglais, je vois des fenêtres à guillotine à la place des sash windows, hung windows, sliding windows qui me paraissaient être le seul type de fenêtres existant quand j’étais petite. Guillotine. Le mot impose l’image.
Je suis toujours devant la porte de la maison, j’essaye de faire comme si je me promenais, comme si je n’avais aucun lien avec cet endroit, comme si seul le hasard m’avait amenée là. Mais si quelqu’un me demande si je cherche quelque chose, je réponds quoi ? Si je raconte mon histoire, peut-être qu’ils me laisseront entrer ? L’intérieur aura inévitablement changé, je ne retrouverai rien. Peut-être mieux si je garde l’intérieur de mes souvenirs, la cheminée, la tourbe, l’étagère avec les sculptures et les quelques livres, Stevenson, Jules Vernes, Jack London, la vieille cuisinière, l’odeur du café, du goudron et du bois ? Ne pas entrer. Ne pas accepter d’entrer. L’extérieur, lui n’a pas changé, juste une couche de peinture bien plus blanche que dans mon souvenir, des abords bien rangés, aucun outil appuyé contre le mur. À droite, l’escalier de pierres est toujours là, coincé entre le mur de la maison et le mur d’enceinte de la maison du phare. En haut, un bout de potager où on m’envoyait chercher une salade bien dodue dans une terre composée en grande partie de crottes de moutons. Redescendre par cet escalier dans le sombre du soir me faisait toujours peur. Peur de glisser, peur du noir, de l’abîme, peur de ne pas retrouver la cuisine enfumée, mais d’avoir pris le départ du voyage au centre de la terre