Une vie

Oh cette vie qui n’en finit pas – oh cette vie qui me pesait à douze ans, comme le veut cet âge – oh cette vie dont je disais ne rien attendre et vers laquelle j’étais tendue…

Oh les livres qui m’accueillaient et m’embrassaient, m’englobaient face aux êtres qui m’intriguaient et me faisaient peur, les femmes dont je craignais le jugement, les garçons qui m’ennuyaient, ces hommes qui m’attiraient, les filles qui m’agaçaient ou m’étaient amies/ennemies, et cet avenir qui se dressait comme un mur sur lequel se fracasser…

Oh la longue dérive, la plongée dans la vase des occupations, du travail vendu, où s’engloutir, avec lesquelles se procurer de quoi s’évader dans la beauté, l’intelligence des autres pour réveiller la mienne, lorsque j’avais le temps même si me fallait oublier le sommeil…

Oh l’éblouissement inattendu d’une gentillesse, de la sagesse d’un méprisé, d’un rayon de lumière, d’une musique au cœur de la nuit pour accompagner dinette et lecture, assise sur un coin de tapis…

Oh le bonheur d’être terrassée, écrasée par la splendeur d’une œuvre humaine…

Oh le temps suspendu de l’hôpital, le rire intérieur en luttant avec l’obstination de la mule pour que ne cesse cette vie dédaignée, refusée…

Oh la jeunesse, les sourires lumineux ou doucement fatigués de notre merveilleux monde retrouvé…

Oh comme cette nouvelle vie, cette inespérée joie d’être se lasse, se fatigue, comme les ans rongent le corps.

Que serais-je devant ce vide que je crois désirer ? Une petite pierre détachée d’un ensemble, attendant en pensant avec sourires joyeux ou tendrement peinés à ces vies qui furent chaleur.

image © Brigitte Célérier – Avignon

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

9 commentaires à propos de “Une vie”

  1. (un joyau) (mais pour le reste, qui peut savoir ?) (et une si belle musique…) (merci)

  2. Ces Oh Brigitte comme ils emportent et touchent … l’obstination de la mule fabrique de la lumière

  3. La main et ses sillons de vie, la main qui s’agrippe et n’a jamais lâché, j’ai envie de la serrer !
    Ton texte, Brigitte est beau et bouleversant.