#40 jours# 31| muet

Tu la reconnais ? Je ne sais pas. Il y a beaucoup de bruit dans l’image. Du grain. Ce n’est pas une image numérique. Ils n’ont pas pris une pellicule assez sensible. Il n’y a pas de pellicule ni de caméra c’est filmé avec les yeux. Qui filme ? Elle ou lui. Ça n’a pas tant d’importance. L’image bouge beaucoup. On dirait que c’est fait dans l’urgence. Oui c’est un film amateur et ils n’ont pas le temps parce qu’elle va repartir. Cette tache blanche, là regarde bien, tu la reconnais, sa veste d’homme trop grande, tu te souviens elle ne la quittait pas ? Oui, je crois. Elle avait les cheveux si longs à l’époque? Ils viennent de se rencontrer dans une fête. Dans la rue c’est possible aussi. Ils se sont vus. Ils se sont regardés. Il l’a suivie. C’est elle qui l’entraine dans la ville? La ville. Et la nuit. Les lumières et les ombres de cette ville portent son désir. L’océan aussi. Il bruit mais on ne l’entendra pas puisque le film est muet comme L’aurore. Qu’est-ce qu’elle fait ? elle s’arrête? Elle achète une barquette de myrtilles dans la nuit. ( dans la nuit de cette ville on pouvait tout acheter même la mort). Elle les porte à ses lèvres. Attend elle se retourne : on voit son visage, ce qu’il peut être beau. Lui. C’est quoi beau ? Son sourire, la jeunesse je crois, les deux sans doute. Ils ont vingt ans ? Un peu plus. C’est lui qui la regarde à présent, tu vois ses taches de rousseur. On voit aussi leurs reflets dans la vitrine de l’autre côté. Qui regarde? Les mannequins derrière la vitrine on dirait qu’ils bougent. Ce sont les lumières elles tournent comme des phares, elles balayent les corps et les choses, elles inventent des mouvements. Je crois qu’il voudrait lui parler même s’ils ne parlent pas la même langue et ça n’a pas d’importance puisque le film est muet comme L’aurore. Maintenant elle s’engage dans une ruelle. Elle prend un escalier extérieur. Le métal sonne et on ne l’entendra pas puisque le film est muet. A chaque palier elle enjambe des corps. Ce sont ceux de la ville basse. L’été ils sortent les matelas. Ils dorment là. Ils ont chaud. Sur le toit elle fait voler ses chaussures, les cheminée ressemblent a de gros escargot. Il la rejoint. Il est très près d’elle et du vide. Ils se penchent. Ils regardent la rue. Puis le ciel électrique orange et mauve. Après quand le jour se lève ils s’aiment dans la lumière. Il l’attend et elle le rejoint. Ou bien c’est elle.

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

8 commentaires à propos de “#40 jours# 31| muet”

  1. C’est tellement beau, Nathalie ! Ça donne le vertige tellement ça entraîne, tellement ça va vite. Et ces questions qui s’enchaînent, c’est très beau comment tu poursuis la proposition de l’autre jour.

  2. C’est vrai que c’est très beau. Et ces questions qui mettent l’image en suspens. J’aime.

  3. C’est étrange : Xavier trouve que ça va vite, moi j’aime le lire lentement ce texte. Peut-être justement pour prendre le temps de l’espèce de dialogue intérieur qui se déroule comme un travelling sans à-coups, et qui laisse peut-être le choix du rythme (comme on choisira qui rejoint l’autre ?). — Merci.