A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.

# Mardi 14/10/2025 |On aimerait.

On aimerait s’élever, on aimerait. On aimerait toucher les cieux, on aimerait. On aimerait être au sommet, on aimerait. On aimerait sentir le vent et se sentir porté. On aimerait s’envoler et filer et raser de près les nuages et devenir oiseau, devenir. On aimerait. On aimerait. Que le corps ne soit plus roi, que le corps ne soit plus Continuer la lecture # Mardi 14/10/2025 |On aimerait.

#rectoverso #15 | Mauvaises herbes

  1. Les mauvaises herbes dans les jardins n’ont-elle pas été assez aimées ?
  2. J’ai eu un jardin potager et j’adorais arracher les mauvaises herbes.
  3. Je les arrachais puis je les enfouissais dans la terre.
  4. Nos parents étaient très beaux au point que même nos ami.es venaient chez nous pour les voir, eux.
  5. Il y avait aussi beaucoup de terre sablonneuse dans le potager, c’était doux au toucher.
  6. Nos parents étaient très beaux et nous les quatre filles se sentions si laides, inexistantes, inutiles et de trop.
  7. Nous étions là pour les regarder, les admirer, nous étions leur public.
  8. Pour enfouir les mauvaises herbes, il faut vraiment beaucoup creuser, tourner et retourner la terre et creuser encore.
  9. Néanmoins, certaines mauvaises herbes peuvent être utilisées pour faire du bon compost.
  10. Le compost est bon à recycler, bon pour la terre.
  11. Un jardin de 100 m2 sert à nourrir une famille de quatre personnes.
  12. Nous étions invisibles ou trop envahissantes à leurs yeux mais nos regards étaient rivés sur eux.
  13. Lorsque l’on regarde d’en bas, on ne voit pas la réalité.
  14. Mon fils m’a dit un jour qu’il savait qu’il avait grandi car tout ce qui était présent chez nous lui paraissait maintenant si petit.
  15. Il est toujours mieux de s’agenouiller devant un petit enfant pour lui parler, les yeux dans les yeux.
  16. Il est souvent doux de s’agenouiller, c’est une posture agréable.
  17. Parfois, je suis follement émue devant une statue à genoux.
  18. C’est difficile de dessiner quelqu’un agenouillé.
  19. Je soupçonne mes parents d’avoir eu des enfants pour être contemplés.
  20. Les quatre filles du docteur March, c’est ainsi que notre père nous appelait, c’est ainsi qu’il nous imaginait et qu’il aimait à nous rêver. Selon la légende, il aurait rencontré notre mère qui travaillait en France chez Helena Rubinstein ou dans une maison d’édition à Londres ou peut-être était-ce à une soirée avec son frère, il l’avait rencontré, jeune anglaise, habillée de grandes bottes de cuir et d’un manteau en fourrure dans les années 70.
  21. C’est devant le tambour d’une machine à laver au lavomatique d’une rue parisienne qu’ils se seraient promis de vivre ensemble et de faire tout plein d’enfants roses et de vivre heureux.
  22. J’ai revu récemment le film de Greta Gerwig Les quatre filles du docteur March inspiré du roman de Louisa May Alcott. Devant le défilement d’images qui s’offraient à mon regard, je n’ai cessé de me demander à quels moments mon père nous avait vu ainsi. Est-ce parce que notre mère est anglaise et que nous étions à l’époque quatre filles qu’il fantasmait sur sa progéniture en omettant totalement la réalité qu’il avait devant les yeux ? Ou bien est-ce parce que l’image de ces quatre filles étaient l’idéal à ses yeux de ce que nous aurions dû devenir ? Ou son image à lui ? Père, héros, de quatre filles épanouies promises à un joli avenir au charme british.
  23. La terre du compost peut devenir pratiquement noir et c’est un bon signe.
  24. Cela prend du temps d’avoir un bon compostage.
  25. J’aimais bien faire les petits tas d’herbes.
  26. J’aimais bien les regarder se détériorer, se dessécher, presque s’effriter.
  27. Je les retournais régulièrement d’un côté et de l’autre.
  28. Il paraît que dans notre enfance, nous venions dans le lit parental le matin, prendre le petit déjeuner et faire des câlins, pas un seul souvenir, pas une image, aucun ressenti dans ma tête ou mon corps.
  29. Je regarde les photos de famille étalées devant moi et je m’interroge : où se logent les souvenirs qu’on n’a plus ?
  30. Comment pardonner l’impardonnable ? Est-ce obligatoire ?
  31. Les statues qui sont à genoux demandent-elles pardon ?
  32. J’essaie de me souvenir d’un lieu où j’en ai vu une, chez Camille Claudel peut-être ?
  33. Camille Claudel pour moi c’est Isabelle Adjani.
  34. Pourtant je n’aime pas beaucoup cette actrice, Isabelle Adjani mais elle était une excellente Camille Claudel.
  35. C’est une scène de ce film que j’ai présenté au concours du conservatoire de théâtre.
  36. J’ai eu une très bonne note.
  37. J’avais tellement de colère en moi, de tristesse aussi, à l’époque.
  38. J’étais douée pour crier et supplier.
  39. Et je pense que c’est lorsque je suis tombée à genoux sur scène que j’ai eu le concours.
  40. Je n’avais plus rien à perdre et j’ai tout donné.
  41. Le bon compost sert à la régénération de la terre, c’est utile.
  42. J’ai aimé avoir un jardin potager même si il y avait des mauvaises herbes.
  43. J’allais les enlever à six heures du matin pour ne pas me faire attraper par les membres du bureau.
  44. Dans les associations de jardins familiaux, on vous envoie des lettres d’avertissements si vous avez des mauvaises herbes.
  45. Pour mes parents, nous étions les mauvaises herbes ou les vilains petits canards, cela dépendait des jours.
  46. Tu ne dois pas tuer tes parents mais ont-ils eu conscience de nous avoir un peu fait mourir et ne devraient-ils pas payer en retour ?
  47. Je me suis débarrassé de leurs miasmes, je me suis débarrassé de tout ce qui est eux.
  48. Je voulais qu’ils deviennent des petits pois que l’on pousserait d’une pichenette, allez allez rouler plus loin, allez jouer dans le jardin comme ils aimaient à dire pour ne plus nous voir.
  49. Au bout de la troisième lettre d’avertissement, j’ai écrit à mon tour, une lettre enflammée au président de l’association.
  50. On s’est rencontrés et nous sommes devenus très amis.
  51. Plus tard, j’en ai fait un spectacle des jardins et j’ai lu sur scène les lettres d’avertissements, c’était génial on en a bien ri ensemble.
  52. Creuser la terre pour enfouir les mauvaises herbes, creuser des trous pour enfouir les morts.
  53. Je les ai enterré avant leurs morts.

Recto-verso #14 l Balbutiements.

RECTO Période : 1972 – 2072 Figures majeures de la période (sont cité.es celles et ceux qui m’accompagnent et qui sont nés bien avant 1972) : De Flaubert écrivain à Edouard Louis sociologue-écrivain, de Camille Claudel à Brune D. amies sculptrices, de Jésus Christ religion à la méditation indienne spiritualité, de Victor Hugo homme de théâtre à Sandrine Roche femme Continuer la lecture Recto-verso #14 l Balbutiements.

#rectoverso #13 l Cement garden.

RECTO Sépultures grises sous la chlorophylle des feuilles. Maisons inertes clouées au sol, Irréversibles demeures, Alignées. De gauche à droite et de bas en haut. Nulle rondeur, nulle couleur, nulle douceur. Tombeaux de pierres, Froides, Corps glacés dans cailloux glacés. Maisons sans fenêtres, ni vue sur le ciel, pas de tête dans les nuages. Pas de rêves, ni d’envolées poétiques. Continuer la lecture #rectoverso #13 l Cement garden.

#rectoverso #12 l Worn Out.

RECTO.

L’homme est assis sur une mauvaise chaise de paille et de bois. Ses deux pieds touchent le sol, ses épaules s’affaissent, ses coudes se maintiennent péniblement sur ses cuisses, son visage est replié sur ses doigts, ses yeux dans le creux des mains. Pleure t-il ? Peut-être mais on ne peut percevoir ni larmes, ni sanglots, ni cris, ni un quelconque son. On ne peut distinguer ses yeux, juste son crâne lisse entouré de quelques cheveux épars. Il pourrait s’effondrer dans le sol de la terre si un trou advenait tant son être semble porte en lui tout le poids du monde mais peut-être est-ce simplement du désespoir ou une colère sourde qui gronde en silence. La posture laisse poindre l’abattement de cette silhouette fine dont le crayon de bois a dessiné les modestes vêtements et contours. Que vit cet homme posté devant une cheminée éteinte où quelques fagots se tiennent à même le carrelage ? De quels tourments est-il infligé ? Peut-être a t-il perdu son travail ou sa femme qui s’en allée sur les chemins ou rejoindre les anges ? Peut-être n’est-il que chagrin en ce jour gris et torturé ? Peut-être…

VERSO

Il règne un certain mystère autour de cette petite carte postale que je viens d’attraper du bout des doigts pour la poser sur ma table à portée de mon regard. Elle représente un dessin, une esquisse faite au crayon en novembre 1882 par Monsieur Vincent Van Gogh. Elle s’intitule Worn out ce qui se traduit par usé, épuisé. Elle aurait pu s’appeler effondrement, désespoir mais je ressens bien que l’artiste ne souhaite parler que de cet homme qu’il a installé sur cette chaise. Il ne représente pas l’épuisement ou l’usure. Il est comme au bout du rouleau, comme incapable ne serait-ce que de relever la tête. Je connais cette posture pour l’avoir vécue sur moi-même, je connais cette sensation, comme ne plus savoir comment se redresser. On pourrait imaginer qu’il est triste ou en colère mais le peintre indique par son titre que l’on est bien au-delà. Usé, un terme proche de hors d’usage, vieux, défraîchi ou encore élimé. Ce serait donc un être en ruine qui est exposé dans ce musée à Amsterdam où je me trouvais il y a peu. J’entre dans la boutique, je la vois, je sais qu’elle est pour moi, je l’achète. Je suis bouleversée par elle, je m’y reconnais entièrement. Et pourtant, chose étrange, je n’ai, à cet instant même, aucun souvenir de l’avoir vu exposé dans le musée, aucun. Pas un seul recoin, un espace, une pièce dans laquelle je revois cette oeuvre installée en format 50 x 32 cm comme détaillé au dos de la carte. Rien dans ma mémoire qui retrouve cette attitude si frappante que j’ai aperçu au premier coup d’oeil. Il est trop tard pour revenir sur mes pas. Je sors avec la petite pochette de papier blanc et quelques jours après, je l’accroche dans les murs de chez moi et la regarde longuement.

#rectoverso #11 l Sous-estimation

RECTO Sous-estimation : Fait d’estimer au-dessous de sa valeur. La fleur sous-estime t’elle la plante ? Le camion, la voiture ? Le chien, le chat ? L’homme, la femme ? Un parent, son enfant ? Un frère, sa soeur ? La vie, la mort ? … Un bol est-il moins qu’un vase ? Mon voisin moins qu’un autre ? Un Continuer la lecture #rectoverso #11 l Sous-estimation

#rectoverso #10 | Le jardin des allongés.

C’est un lieu calme quelque peu éloigné du centre-ville mais dont les murets touchent les abords du grand boulevard afin de ne pas omettre de s’y rendre, quelquefois. Où se trouve le jardin des allongés ? Là-bas. Là-bas ? Oui, voyez-vous, près des premiers arbres. Le regard se tourne vers la direction indiquée mais ne discerne rien, ne devine pas Continuer la lecture #rectoverso #10 | Le jardin des allongés.

#rectoverso #09 l Triades ?

Un bouquet de fleurs éparpillé dans différents vases, courbes, longilignes, rectangulaires. Chaque rose, feuille, marguerite, tulipe est à tailler selon la dimension des contenants. Un duplex fait de murs de chanvre et de briques rouges, une table ronde de bois encerclée d’un quatuor de chaises argentées sur laquelle trône un petit rectangle de céramique gris et rose violet où, dignement Continuer la lecture #rectoverso #09 l Triades ?

#rectoverso #08 | Confusion.

Recto Je l’admire, toute l’année, je l’admire. Je ne dis rien, ni à lui, ni à son frère, ni à ses amis, ni à personne. Je garde mon admiration secrète mais je pense à lui, je veux jouer avec lui, je le regarde de loin, je le contemple sur scène, je n’ose pas aller le voir. Verso Je ne sais Continuer la lecture #rectoverso #08 | Confusion.

#rectoverso #07 | Le fait que.

RECTO Le fait qu’il n’y ait pas eu de blessés, os cassés, sang giclé, pare-brise fracturé dans l’accident de voiture n’a pas empêché le choc violent des dos jetés contre les sièges, la projection inattendue de l’avant du véhicule contre le parechoc de l’autre, le choc tremblant des corps hagards, titubant hors des carrosseries afin de tenter de se rencontrer, Continuer la lecture #rectoverso #07 | Le fait que.