#Boost #11-ter | Derrière le muret

Ullapool © Juliette Derimay

Passer sous les barbelés, c’était bien plus facile, juste la place pour moi et me rouler dans l’herbe, ça ne m’a jamais gênée. Mais maintenant le muret, pas le temps de faire le tour et la porte est trop près de la maison des Smith, leur idiot de chien va surement se mettre à aboyer. Il est toujours attaché ce chien, je sais même pas son nom, je sais même pas s’il a un nom mais comme il est toujours attaché, il est toujours énervé, il doit être jaloux de ceux qui peuvent courir. Mais là, pour moi, fini de courir aussi, c’était bien d’être petite pour passer sous les barbelés, mais c’est moins pratique pour escalader le muret. Poser Alba en haut, bien la caler pour ne pas qu’elle tombe à cause des cailloux arrondis calés dans l’autre sens pour la dernière rangée, monter les mains le plus haut possible et essayer de trouver des appuis pour les pieds. La nuit est plus noire que du charbon de tourbe, je ne vois pas mes pieds, alors les trous dans le mur, je ne les vois pas non plus, même pas la peine d’essayer de regarder. Je tâte avec mon pied gauche et ça y est, une pierre qui dépasse. Tout mon poids sur ce pied là et chercher quelque chose pour l’autre pied. Et encore. C’est bon, je suis à plat ventre sur le haut du mur, récupérer Alba, épousseter sa jupe et me laisser glisser de l’autre côté. J’ai eu peur de rester coincée quand mon pull s’est accroché dans un caillou en haut du mur, mais maintenant on est de l’autre côté du muret, Alba et moi, plus qu’à courir pour traverser le chemin, à grimper le talus et on est sur la plage. Je suis quand même triste pour mon pull, c’est Charlotte, la sœur d’Emily qui me l’a fait pour mon anniversaire, maintenant il y a un gros trou devant. Peut-être qu’on pourra le réparer.

Passer sous les barbelés, c’était bien plus facile, Mow m’avait posée dans l’herbe, elle s’était roulée sous la clôture et de l’autre côté elle m’avait récupérée pour me caler à nouveau sous son bras et on était reparties en courant, mais en courant doucement et toutes penchées pour ne pas risquer de trébucher ou de faire un bruit qui nous aurait fait repérer. Maintenait pour passer le muret, elle m’a posée en haut, sans trop de ménagement d’ailleurs. Je regarde le ciel sombre, je suis posée sur le dos, pas moyen de voir Mow mais je l’entends souffler et respirer plus fort à chaque pas vertical vers le sommet du mur. Enfin elle m’a rejoint, à plat ventre sur le mur, elle s’est laissé glisser de l’autre côté et j’ai entendu un bruit de tissus qui se déchire, de quelque chose qu’on arrache, elle a du accrocher son pull dans un des cailloux du mur. Ensuite, elle m’a récupérée. Ma jupe était toute sale à cause d’une crotte d’oiseau tombée à cet endroit-là, elle l’a frottée pour la nettoyer, elle m’a calée à nouveau sous son bras et on est reparties en courant doucement, toujours un peu pliées.

Certains avaient déjà abandonné les recherches. Beaucoup étaient venus un peu pour chercher, mais aussi pour qu’on voie qu’ils étaient venus et qu’ils avaient participé aux recherches. De mon côté, j’avais préféré m’éloigner un peu du groupe, pour augmenter la surface de terrain balayé, mais surtout, comme je connaissais bien Mow et depuis sa naissance. Je voulais faire le tour des cachettes secrètes dont elle m’avait parlé, sans pour autant les révéler à tout le monde. Mow avait emmené Alba, la poupée que je lui ait faite pour son anniversaire l’an dernier, c’était pour moi une bonne nouvelle, elle était partie sur un coup de tête après la mort de son agneau, mais elle était partie de son plein grès, sans laisser sa poupée et elle devait se cacher. J’avais déjà fait le tour de plusieurs endroits, maisons abandonnées, bateaux rangés au sec, creux dans les rochers, me restait la plage. Il faisait déjà nuit depuis un bon moment, des bancs de nuages cachaient par moment la demi-lune montante, dans ces moments-là il faisait vraiment sombre. J’avais déjà passé les barbelés du champ de la ferme des Smith côté route en appuyant avec mon bâton pour pourvoir les enjamber, maintenant il me fallait passer le muret de pierres. Dans mon souvenir, à un endroit, des pierres plus larges avaient était intercalées pour pouvoir servir d’escalier. Je longeais le mur en le balayant avec ma lampe poche pour trouver le passage quand je suis tombée sur une bonne poignée de laine écrue coincée entre les pierres sur le sommet du mur. La même laine que celle du pull de Mow, le pull que ma sœur Charlotte lui avait tricoté pour son anniversaire. Une fois trouvé l’escalier et passé le muret, on entendait les vagues bousculer les galets. Un peu plus loin, blottie derrière le gros caillou, tout en haut de la plage Mow était endormie, elle serrait Alba dans ses bras. 

Codicille :
Pas facile de rajouter une troisième personnage dans un duo qui n’en était déjà pas vraiment un avec Mow et sa poupée Alba. Donc ce sera Emily, la voisine. Allusions peu discrètes au monde des sœurs Brontë pour m’aider à construire l’atmosphère que j’imagine sinistre, lourde et humide pour cet endroit et ces personnages pleins de failles, de bosses et choses sombres. À revoir ensuite surement quand il sera temps de regrouper tous les textes autour de Mow, ceux écrits aussi bien dans Boost ou dans LVME. En tous cas, je continue à amasser des matériaux qui me semblent de plus en plus aptes à construire un jour quelque chose de… construit

Et pour la photo, Ullapool est en Écosse, mais pas aux Shetland, c'est juste pour faire joli, en rien illustratif

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.