#Boost #14 | entre nous soit dit

Tout replié à nouveau calme parfait en apparence quoique en réalité vu de plus près pas replié du tout mais rentré de partout jusqu’au plus étroit du dedans affaissé sans mouvement au seuil de la disparition. Rien d’autre visible que l’étendue du corps mais plus là pour personne pas même pour soi aucune force autre que celle du dedans en recul dedans encore davantage dedans comme s’il y avait possibilité de s’y tordre et de s’y enfoncer en spirale d’insister membres figés les uns contre les autres sans souplesse les bras plaqués le long du torse ballants les mains sur les cuisses. Un livre grand ouvert repose là entre les paumes figées le pouce gauche maintenant la page ouverte l’index à droite faisant contrepoint deux mains figées et les genoux collés l’un contre l’autre pour empêcher le volume de se fermer se replier et tomber en glissant entre les cuisses comme pour échapper à l’emprise. Regarder de face rien que l’ombre d’une forme toute entière dissimulée en-dedans pas immobile pas du tout mais repliée jusqu’à l’arrière dans la masse contractée des sensations. Tout vibrant tout frémissant dans le silence sourd du sang silence battu silence vibrant métronome silence qui tambourine au rythme des mots qu’on essaie de lire mais dont le sens échappe. Et pourtant rien à l’extérieur ne bouge les paupières serrées non pour obscurcir mais pour saisir bloquer contenir dans l’impossibilité de maintenir son attention sur les lettres qui défilent. Clair enfin fin d’une journée sombre le soleil brille enfin et disparaît. Le mouvement contenu des yeux qui accompagnent les phrases du livre comme on souligne un texte dans le mouvement latéral la fatigue de cette répétition qui nous échappe achoppe sur la matérialité même des lettres leurs formes qui se troublent le poids du livre son volume les yeux se ferment comme le reste. Gorge enfoncée souffle freiné réduit à un simple filet d’air les côtes à peine soulevées si vite replacées ni cri ni plainte un rauque rien que le remous de la peau contre elle-même comme une mer sans fond qui se dérobe sous son propre fond tout se refermant autour d’un noyau de matière sans pesanteur les muscles froissés sur eux-mêmes les nerfs à vif fil trop tendu qu’on relâche d’un coup pour éviter la rupture. Pas de fuite possible uniquement vers l’arrière la reprise vers le plus secret ce qui tarde à venir à surgir une issue possible. Même le temps n’a plus d’épaisseur tout se dissout dans un présent refermé sur lui-même. En creux les yeux s’ouvrent un instant sans bouger suivent une ligne toujours la même qui se confond à la suivante s’y superpose à nouveau encore mot après mot sans qu’aucun signe ne reste à la surface glissent en boucle. Impossible de tourner la page d’avancer dans sa lecture la page collée à son doigt la peau moite. Ce n’est plus la lumière qui faiblit autour de nous c’est l’œil qui s’absorbe. Ce n’est plus la chair qui frissonne c’est le monde qui bat contre la peau et les mots s’estompent se brouillent reviennent malgré tout dans un baroud d’honneur pour se tenir serré sans reste jusqu’à ne plus exister n’être que ce tremblement sans direction ni motif sans volonté sans cesse contenu sans jamais déborder. Un être enfoui à l’intérieur de soi calé au plus profond à l’étroit enfermé à l’endroit le plus silencieux du corps là où plus rien ne se dit mais où tout passe côté sons l’écoute des sons tout immobile tête en main à l’affût d’un son et même cela cette phrase lue plusieurs fois de suite encore là sans parvenir à la quitter à la dépasser à l’entendre.

A propos de Philippe Diaz

Philippe Diaz aka Pierre Ménard : Écrivain (Le Quartanier, Publie.net, Actes Sud Junior, La Marelle, Contre Mur...), bibliothécaire à Paris, médiation numérique et atelier d'écriture Comment écrire au quotidien : 365 ateliers d'écriture, édité par Publie.net http://bit.ly/écrireauquotidien Son dernier livre : L'esprit d'escalier, publié par La Marelle éditions Son site : Liminaire