Je n’ai pas assez parlé de cette odeur. « A quoi bon d’ailleurs ? », me suis-je soufflé, « ça reviendra ou non… une odeur, ça ne se conduit pas ». J’ai rouvert les yeux et dehors la pluie formait un rideau opaque. Ce n’est donc pas par un acte de volonté que je l’ai fait. J’étais comme tiré par la main, non par une force qui vous traîne contre vous-même mais par une de ces petites mains enfantines qui savent où elles veulent vous conduire quand vous n’en soupçonnez encore rien. Elle m’est revenue cette odeur, elle était en creux de moi et a pris le temps qu’il faut, avec ce qu’il faut de persévérance souple pour épouser la forme de mon corps, le forer avec sa patience. Je ne m’en suis pas sentie vidée, cette chose ne manquait pas. Elle a fait de la place dans la saturation des sens et des sollicitations, elle a su se faire à l’oubli. Elle en a tiré profit pour explorer, se mettre en connexion et ouvrir son chemin.
Le zinc en a fini de son grondement et j’ai repris mes esprits.
L’odeur s’est retiré aussi vite qu’elle était arrivé, partie en cascadant vers les égouts. Un bruit répété, un ploc, une interrogation et une certitude étonnée : elle avait été là. Elle s’est logée sous mes côtes flottantes et j’ai fait mine de penser qu’elle s’était retirée pour toujours. Le soleil est reparu et je suis retombée dans les gestes de mon quotidien. Je suis sortie et j’ai marché à grand pas avec cette impression d’un désaxement, un balancement inhabituel du corps. Les distances et mon rapport à l’équilibre étaient gauchis, le sol tantôt trop bas, tantôt trop haut. Rien de désagréable pourtant, une légère ivresse, un dévissement, l’émanation d’un flottement. Cette odeur, c’est par en-deça qu’elle a agi. Je l’avais ressentie ce matin, un brusque changement de la pression atmosphérique, une contraction du jour l’accompagnait, elle a disparu de ma perception, l’heure était dans le déluge. Elle a continué sa route, ce petit écho a grandi et a remué avec délicatesse mon humus. Mon corps est passé à travers de grands rouleaux couverts d’impressions, je me suis chargée de nouveaux motifs qui disparaissaient et persistaient en moi, traces rémanentes et intermittentes. La vie devant avait une épaisseur nouvelle et je me suis présenté à elle sous un angle différent. J’ai placé ma certitude un petit pas en arrière et tout avait un air de beauté fragile. J’ai marché dans les couloirs de faïence aux clartés opalescentes, ma silhouette tenue en un équilibre qui ne pourrait durer qu’un temps, c’était déjà su d’avance, et cette odeur revenait du fond de mon épaisseur, un petit pas en arrière, à la limite de mon champ de conscience. Je l’ai laissée me chatouiller. Cette clef de voûte, elle soutenait mon présent ébloui : des élytres couleur de cuivre soulevaient de la poudre d’argent.
Vous avez eu raison d’en parler de cette odeur, qui me plaît beaucoup,
merci Florent
Une odeur dont on se sait quasi rien mais qui change tout pour le personnage. C’est beau.