#gestes&usages #09 | écrire

Chaque jour j’ouvre le dictionnaire « au hasard » et la plupart du temps la simple phrase par laquelle est défini un mot me semble la plus belle des littératures.Aujourd’hui

ERABLE

s’est, disons, posé sur ma rétine ou dressé dans mes yeux:

« Grand arbre à feuille lobées et pétiolée, dont le fruit est muni d’une longue aile membraneuse. » Et puis soudain, comme si c »était lui qui poussait ses branches sur les deux pages du dictionnaire ouvert apparaissent des relations avec les autres mots tout autour.Une « éraflure » le particularise à l’instant tendis que le terrible  » équivoque’ tente de l’effacer mais alors « équipée » lui redonne du coeur et dans un bel « équipage »voici la divine « équité »qui passe, « équinoxiale », mais attention « érailler » n’est pas loin et pire encore un peu plus haut ( j’ose à peine le lire et le recopier ) « éradication » ! Heureusement sur la droite « équitation » derrière lequel se profilent hors page des montagnes à perte de vue et la paix car tout devient « équipotentiel » et « équipotent », on peut maintenant refermer le dictionnaire sur la calme  » équivalence ». On peux même la prononcer. J’ai entendu dire ( ! ) et lu ici et là des avis d’écrivains sur leur travail, je confirme que le geste d’écrire donne chaud.C’est la concentration, je suppose et peut être aussi l’impression de passer dans une autre dimension.La main , ou les mains seraient le vaisseau spatial qui propulse ailleurs le voyageur immobile.

…/ écrire est un geste, celui de se cacher ou se montrer peut-être et comme elle ne veut rien savoir de ses contours, limites ou quoi que ce soit qui la compose elle n’écrit rien ou le moins possible après avoir passé des années à écrire sans arrêt elle s’est arrêtée et n’a qu’une peur c’est de se remettre à écrire car lorsqu’elle écrit tout ce qui n’est pas écrire devient insupportable mais le plus insupportable de tout c’est de ne pas écrire alors elle se saisit d’un stylo à plume très fine et une pierre tombe aussitôt sur ses côtes un lourd rocher de granit gris rugueux, elle doit reprendre son souffle ses oreilles se dressent tout bruit devient menace car si elle commence à écrire c’est sur et certain elle seras interrompue et être interrompue est encore pire que de ne pas effectuer l’acte d’écrire il lui est impossible de ne pas avoir un stylo en main devant un cahier ouvert, tout ce qui l’entoure dès qu’elle commence à écrire s’anime d’une vie différente excessivement volatil, écrire un mot n’est pas anodin, ce n’est pas rien un mot car c’est avec des mots des phrases que le Monde s’est recomposé un jour qu’il avait disparu, le geste d’écrire accélère le rythme cardiaque on voudrais passer sa vie dans cet état là je ne connais rien de plus désirable, une fois que le granit du roc lourd s’est dissous dans l’air de la pièce où tu respires, écris, tentes d’attraper le Monde où naitre.

A ces moments là entre un très ancien fantasme aux longues pattes de fer autonomes proche du Héron, articulées, capable de descendre et remonter les marches de l’escalier menant au jardin et d’errer dans la maison ou dans la ville tendis que sur ma belle machine blanche archi-plate « Brother  » incorporée j’écris silencieusement et continuellement tout ce que je vois , ce qu’il se passe, ce que j’entends sur des feuilles d’où disparaissent les lettres avec le temps.

A propos de Catherine Veillon-Guilloux

Pratique la lecture, l'écriture, certains arts martiaux et l'art d'être grand-mère.

2 commentaires à propos de “#gestes&usages #09 | écrire”

  1. Le texte commence par un geste que j’ai beaucoup pratiqué, ouvrir un dictionnaire, sa lourdeur sur les mains, et forcément c’est de cet objet là qu’il s’agit, un gros livre de papier, car comment faire entrer le hasard dans le dictionnaire que je consulte aujourd’hui en cliquant deux fois sur la surface de plastique de la souris, avec son petit ressort ?

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