#voyages | Voyages réels

Il sortit par la porte Gay-Lussac. Hésita à prendre le RER, puis traversa la Place Edmond Rostand. Il aurait voulu remonter la rue Soufflot, mais ne souvenait plus qu’elle était si proche pourtant. Il prit sur sa droite parce que son seul repère était la rue Claude Bernard. Avant il fallait longer la rue Gay-Lussac, ses cafés, ses petites boutiques sans relief. Il serait bien retourné aux Gobelins revoir les longs dimanches où seul il marchait au hasard. Parfois il allait à la Grand Mosquée, parfois au Jardin des Plantes. Et le matin, au marché de la rue Mouffetard pour y trouver la vie en se noyant parmi les passants. Il avait habité un sixième étage sous les toits, silencieux, ouvert par une petite fenêtre sur le croisement de la rue des Gobelins et du boulevard Saint Marcel. Il y avait été heureux. Il y avait lu quand il était étudiant les Misérables en hiver dans son lit, et s’était extirpé pour aller courir sur les traces de Jean Valjean, émerveillé de cette confusion temporelle.Il avait toujours ressenti en arpentant la rue Claude Bernard une grande solitude. Les trottoirs lui semblaient froids, la vie qu’il espérait y manquait. Il ne savait plus comment rejoindre la rue Mouffetard. Il avait un ami architecte rue des Gobelins et se dirigea dans cette direction. Sur la gauche, se trouvait la rue de l’Arbalète. Il fut attiré par le nom. Ne se souvenait pas de cette rue. Se demandait ce qu’il y trouverait.  C’était une rue plus étroite. Elle lui semblait familière. Sans doute parce que plus passante, et parce que le froid y sifflait moins. Il faisait encore assez clair. Après la longue rangée de voitures, la rue prenait un virage pour conduire vers des bâtiments moins hauts, et les façades étaient colorées. Quelques tables sur les trottoirs étaient vides. Le ciel était si blanc. Il était pourtant près de 17h. Il se sentait comme un étranger. Cet anonymat l’apaisait. Avait-il réellement vécu là ? Pourtant, lorsqu’il déboucha rue Mouffetard, tout lui revint. Les trottoirs bondés, les bruits, les conversations, les files d’attente devant les crèpes qui fumaient, les hivers, les étés, les longues promenades à la recherche de ce qui serait, plus tard, sa vie. 

Ce jour-là de janvier, après ces longues années, il retrouva la maison qu’il avait oubliée au 9 rue de l’Estrapade. S’il avait aimé cette maison, c’était certainement à cause du nom de la rue. Elle était ocre. Il ne savait pas que c’était la maison Cusset, que c’était une brûlerie de café, qu’elle était construite sur un reste de l’enceinte de Philippe Auguste. Derrière les grilles qu’il trouvait majestueuses, un puits de contes de fée lui rappelait l’histoire de l’Escarboucle.

3

Il avait quitté Sylvie en sortant du Théâtre de l’Alliance française. Il l’avait raccompagnée par la rue de Fleurus, sur le trottoir de la librairie Guillaume Budé. Le froid leur faisait presser le pas vers l’arrêt de bus. Pour la première fois, il s’aperçut que dans le prolongement de la rue, on arrivait au Jardin du Luxembourg. La lumière était belle,il décida de rentrer à pied. Le ciel était blanc. Sylvie avait trop froid. Ils s’attardèrent devant le traiteur italien, la vitrine rappelait encore Noël avec ses babas, ses panettone et ses chocolats Venchi. Le bus tardait, ils se dirent au revoir. Il longea les terrasses vides, rapidement, vers le grand portail ouvert. Une plaque verte mentionnait Porte Fleurus. Une autre, “Les marionnettes du théâtre du jardin du Luxembourg amusent petits et grands”. Les arbres étaient nus. L’avait-il déjà traversé ? La grand allée paraissait irréelle, immense, comme hors du monde. A gauche, quelques joueurs sur le court de tennis. Il longea le grand bassin. Un enfant souriait en guidant son bateau télécommandé. Les chaises paraissaient oubliées après une fête, mal rangées. Il se souvint d’Anatole France, d’un enfant qui traversait le Luxembourg un jour de rentrée des classes, son cartable sur les épaules. Il se souvint qu’il aimait les jours de rentrée, ce moment de solitude neuve, les fournitures, comme un départ. 

Prologue

57100.

57100 trois heures du matin. Quand la nuit t’appelle et que tu n’as pas dormi. L’été encore froid. Trois heures. Sortir de Thionville 57100 rue Georges Ditsch. La buée transpire sur la vitre. Qui est Georges Ditsch ? Le boulevard Robert Schuman le rend anonyme. Europa. Souvenirs d’école encore présents adolescence désertée. Metz. Metz, Verdun, Reims, Paris, Walygator, Sarrebruck. Les champs de morts. Les éclats d’obus, de boue, de squelettes enfouis qui crient dès l’aube. Strasbourg, Saint-Avold, Sarrebruck. Les saints existent-ils ? à travers la bruine qui s’évapore dans le noir du dehors. Qui pourrait être un saint en ce jour ? Abnégation, sacrifice mortel. Traverser Marmoutier, ne pas la voir le jour n’est pas levé, il faudrait un rayon de Lune pour que ce nom devienne. Singrist. S’éloigner. Tendre son écho loin du jour. Wasselonne, Marlenheim, route de Strasbourg, l’éviter. Ce sera un matin de juillet l’aller-retour pour s’inscrire à l’Université Marc Bloch, conduit par un frère sans rien dire tout le trajet, la radio. Dorlisheim, Colmar, Aéroport Basel Lörrach, Usine Peugeot. Bâle celui des mythes ne reviendra plus, dynasties éteintes au chalumeau. Entrée sur le territoire suisse. Sous le jour appauvri. Augst, Gotthard, Luzern, Bern, Arisdorf, Belchen-Tunne, Härkingen, Wiggertal. A. Sifflement goût d’essence. L’apogée du monde retourne la gorge emmurée dans les spasmes de l’orage d’artifice. 

Tunnel Kirchenwald

Seelisbergtunnel

Gottahardtunnel

Sankt Gotthard

Soudain Grancia. Côme, l’idée du lac jamais vu, étendue géographique amère. 

Milan, Tangenziale Ovest, Milano Sud. Ville de la peur, ville lassée, grouillante comme ses boutiques illuminées mélodieuses s’éternisent. Le dôme blanc. La Scala. Le commerce qui rugit dans des soubresauts arides. Piacenza. Moiteur des ruelles. Pierres illuminées. Loin déjà des espoirs manqués dissous dans les persiennes fermées. 

Parma

Reggio Emilia

Modena

Bologna

Le café, court, ristretto, brûlant, âpre, des rues fourmilières. 

Galleria Monte Mario Galleria Allocco Galleria Vado

Grizzana comme une fleur de jeune fille ronde blonde et endormie sur l’herbe égarée. Val di Sambro Sparvo Galleria di Base. Je ne me souviens plus des bruits ni du tintement de la route. Prato Firenze éblouissante sous la grêle un soir. Pozzolatico Arezzo Settebagni

Via Salaria, Tengenziale Est, Parioli

00100 Roma