-Tu en auras bientôt fini de ces voix étrangères. Dans ta poche, cette lettre. L’appel de la langue maternelle. Rentre!
-Disparu, envolé. Tu as fait la malle! Quelle malle? Au mieux un baluchon.
-Quelle tête tu as? Nul ici ne connaît ton visage. Pas les moyens d’aller chez le photographe. Si jamais il y en a eu une, elle est partie au feu. Ou déchirée en mille morceaux.
-Il te ressemble. Pour ça qu’elle ne l’aime pas! Deux générations plus tard, te revoilà.
-Moins d’un an que tu as fait l’aller. Marcelle belle à tes côtés, petite, en apparence fragile, mais toi tu sais, on lui en laisse pas compter, pas question qu’elle reste à crever la dalle en Espagne.
-Pas ta faute. Quelle idée d’être allé dans ce pays étranger, te retrouver avec un mouflet, le logis petit, les linges, les pleurs.
-Elle n’avait qu’à rentrer avec toi. Bon, la mère a été claire, dans la lettre, dans la poche. Rentre.
-Lui as-tu seulement dit que là-bas, dans le pays étranger, une fillette? Tu l’as pourtant reconnue, à la mairie. Puis as filé. Pourquoi?
-Pourquoi filé, c’est facile, un mot, lâcheté, simple, mais ça permet de te ranger. Mais pourquoi la mairie, pourquoi donner ton nom? Juste avant de filer. En guise de dot?
-Balancé dans les escaliers, voilà ce qui t’attend. Jusqu’à sa mort, la fillette t’y balancera.
-Corps, os, cendres, mort, vivant, dans les escaliers elle te balancera. À quatre-vingt-ans, la démarche bringuebalante, elle n’en démord pas. Dans les escaliers, encore et encore elle te balance!
-Tu as pensé à elles pendant ces quatre ans de guerre? Et en 36, de quel côté étais-tu, toi le lâche?
-Tu as eu d’autres enfants? Ils ont su?
-Etais-tu vivant en 36? Continuer la lecture# double voyage #01 à 08→