#Voyages | Voyages réels ou imaginaires.

#10. Street view. Désir d’eau.

Sûr, il n’y a pas beaucoup d’eau. Trompeur, il y en a beaucoup, cachée, sous terre, les arbres nombreux au feuillage très vert l’herbe sous les arbres verte ombragée ont reçu beaucoup d’eau. Pleine d’histoire cette photo entrée dans la rétine pour n’en pas ressortir. Y plonger tout au fond dans cet endroit raffraichissant.

Cette eau là qu’on attendait depuis longtemps en cet endroit de Haute-Loire, base nautique pour les nageurs rameurs surfeurs kitesurfeurs wingfoileurs windfoileurs mais aussi de larges plages pour les familles, les amis et les picnics oubliés un peu les picnics sur des tables en bois avec banc et quelques arbres pour les hamacs

En amont de la base nautique cette rivière lente reposante au centre le saule pleureur et juste à côté une maison un peu abandonnée on dirait, mais ceux qui y ont habité étaient entourés de verdure et de chez eux entendaient le bruit et voyaient défiler toute cette eau, comme les enfants ont eu du plaisir à vivre ici.

Et voilà, je crois que c’est là, oui, sûr et certain. la foule, pas pour moi. Qu’ils fassent tout le sport qu’ils veulent, tous les picnics, Il me faut du calme j’ai assez donné. Cette maison, qu’est-ce que j’ai mis du temps à la trouver. je rêve au fil de l’eau. Entendre juste le clapotis de la rivière, là juste devant chez moi, Juste voir et entendre l’eau.

#9. Wittig. Raconter son histoire.

Dans le car, avant qu’elle lui parle, Manuel a commencé à raconter comment il avait connu cet homme par l’intermédiaire de son père, oui son père l’avait côtoyé à plusieurs reprises, là à Mexico, ce grand bonhomme, plus que côtoyé, il l’avait aidé. Manuel parle tout le temps autant avec ses mains qu’avec la bouche, tu sais, c’est lui qui a peint la grande fresque du palais national, sur tous les murs du grand escalier, c’est la grande épopée du peuple mexicain, tu sais, à droite, Acatl Topliltzin Quetzacoatl, le roi de Tula parle à son peuple, je croyais que mon père me racontait des rêves jusqu’à ce que je vienne moi-même à Mexico, quatorze fois dans ma vie je suis venu, et quatorze fois émerveillé, au milieu, la conquista a traves de los siglos jusqu’à la révolution, à gauche tu regarderas, on voit Karl Marx tenir un extrait du capital, le dollar encadré d’une croix gammée. Quatorze fois j’ai regardé tous ces détails, des peintures de Diego Rivera.

Elle qu’on voulait tellement rencontrer, et qu’on n’a pas pu, cette anthropologue qui vient d’être libérée de prison, mais assignée à résidence, trois cent mètres autour de chez elle, elle expliquait les chiites et les sunnites elle parlait de la place des femmes dans les mouvements djihadistes, et de la difficulté de savoir qui manipule qui, et cette femme ajoutait il s’agit de tactiques et de stratégies complexes pas réductibles à la guerre des chiites et des sunnites, elle disait aussi que les gens avaient peur, toute cette imprévisible angoisse dans un pays qui a connu huit ans de guerre. On voulait tellement la rencontrer, on attend sa venue en France.

On pense à Agnès Clément, on voit immédiatement des robes fleuries ou toutes noires, des bras immenses dessinant comme des volutes de feu, ces cheveux blonds teints en noir, on l’avait connu très mince puis très maigre, trop maigre, ce qui ne l’empêchait pas de se maquiller les yeux de noir et les lèvres de rouge, trop voyant le maquillage, au collège les moqueries étaient venues, vénimeuses, méchantes, «c’était une coureuse, une vraie putain » . De ces jours-là elle avait pris une attitude provocante, tenant fermée en elle sa nature gentille et douce, même plutôt timide. Aujourd’hui, on pense à Agnès, elle est partie loin, chercher quoi ? revenue puis repartie, un vrai volcan de colère, qui peut se changer en trois minute en jeune femme au sourire serein et détendue, elle est maintenant éducatrice de jeunes adolescents abimés, elle y réussit à merveille.

#8. Reconstitition.

Voilà pour elle le meilleur des voyages:

-Vous avez étudié longtemps, devenez médecin puis psychiatre, aidé par le professeur José Lopès-Ibor, une sommité espagnole.

– En voyant les électrochocs et les comas insuliniques, vous pensez que ce n’est pas possible. Et vous cherchez.

-N’ayant rien trouvé de conséquent, vous vous y attelez. Et vous créez une méthode en étudiant la conscience, ce qui vous amène à étudier Husserl.

-Il apprend que le psychiatre suisse Ludwig Binswanger commençait à adapter la phénoménologie à sa pratique, il part.

Des micro-voyages sans doute, mais sa vie sera celle-là, partir découvrir, revenir et repartir. Il a un atout d’importance, pas trop de soucis financiers et le côté préparatifs, il ne l’a pas. On est en mille neuf cent soixante, la surprise de le voir, à vingt-trois ans, toujours en costume sombre, chaussures cirées et lunettes d’écaille, un peu dégarni côté cheveux. Loin des jeunes en baskets et chandail de deux mille vingt-trois.

-À sa grande surprise le docteur Binswanger, le voyant si ardent, l’encourage à entreprendre un voyage vers l’Orient, «les orientaux savent».

-Parti pour six mois, il restera deux ans en Inde.

-Le Docteur Mukund  Bhole  lui parlera respiration et yoga.

-Il y écrira un livre sur les bords du Gange à l’ashram de Rishikesh.

-Il étudiera toutes les différentes écoles de Yoga. Sans jamais fatiguer.

-Il étudiera le Bouddhisme, il part encore à Dharamsala, auprès des Tibétains : la méditation, la contemplation sont totalement différentes de la connaissance rationnelle.

-Il ira jusqu’au Japon où il découvre le zen, forme moderne, épurée du yoga.  C’est là, au fil des rencontres, qu’il apprendra à lier le corps et l’esprit.

Né en Colombie, des études à Madrid, départ à Genève, puis Inde, Tibet, Japon, c’est cela le voyage pour lui. Chercher, toujours pour mieux soigner. Découvrir, échanger, comprendre. Avoir encore de la force pour mettre ses notes à jour, écrire un autre livre.

Il reviendra d’Orient pour aller en Espagne, à Barcelone, devenu professeur agrégé il enseigne la psychiatrie. Le patient apprendra à conquérir une nature sereine, positive, au lieu d’ingérer des médicaments. Il voyagera en France, Suisse, Belgique, Espagne, Italie, Portugal, créer des écoles de sophrologie.

-Il repartira en Colombie, son pays natal, où il inaugure l’école internationale de Colombie, un cursus de cinq ans après le baccalauréat, où les jeunes apprennent comment adapter les techniques spécifiques aux enfants des foyers Bosconia à Bogota.

-Il ne voyage pas pour découvrir si le monde tourne rond, mais comment faire pour que le monde tourne rond.

#7. Elle était partie de son Auvergne natale pour la Bretagne en se persuadant qu’il n’y aurait pas de difficulté espérance et crainte mêlées, l’air et la mer et trouver du travail très vite et même un petit ami n’ont pas résorbé sa boule au ventre, les fantômes revenaient, même plus envie de se lever le matin, confusément d’abord, puis plus clairement, —Mais qu’est-ce que je fous ici? — Elle est redescendu assez vite là où elle avait grandi avec la douceur de l’enfance et le sombre des années collège mais aussi les chemins les champs les saisons où elle pouvait en revenant du travail, se changer, mettre ses baskets partir marcher une heure et rentrer là où est sa maison. Elle est repartie, ne pas laisser son rêve s’envoler si vite, moins loin, pas loin du tout même dans une ville plus petite, elle a obtenu un travail très vite, et un compagnon de même, le calme intérieur avait l’air possible, allègre elle devenait, touchée par l’oubli, la paix, elle en était capable alors ? Un émoi la prenait le matin au réveil. Et un jour elle est revenue, pour un week-end et repartie très vite vers son compagnon et son travail qu’elle aimait, si, si je vais y arriver. Puis elle est revenue en congé «Burn out», elle retrouve pour huit ou quinze jours ou combien de temps ? Elle ne sait pas. Elle a retrouvé ce petit circuit d’une heure qui l’apaise. Elle flotte entre les deux doucement, ou par à-coups, elle apprivoise son angoisse. Elle a fait douze fois son circuit favori là où elle se repose. Maintenant elle peut repartir

#6. Calvino. C’est le soir, vers dix-neuf heure, il allumait une lampe sur le bureau, mettait la nappe à carreaux basques qui lui venaient de sa tante et pendant le repas il a commencé à raconter son premier voyage, il venait de finir sa première année de travail, avait mis de l’argent de côté, à quatre, ils sont partis pour le Maroc conduisant chacun à leur tour. Quand Marie a pris le volant, les trois autres parlaient et riaient, tout d’un coup il s’est rendu compte qu’elle roulait vers l’est, le soleil derrière eux, Hé, tu te trompes on va vers le sud, ils ont pris la carte, vérifié tout en riant, mais de même en arrivant à Madrid et demandant La Puerta del Sol, les espagnols ne comprenaient pas, c’est pourtant simple, les quatre répétaient La Puerta del Sol, sûrs de leur bel accent.
Elle ne parlait pas, écoutait avec bonheur. Et le soir, elle relisait leur propre voyage au Maroc, à deux, mais pas du tout le même, lui avait tellement envie depuis tout jeune, il montait au grenier chez ses parents pour dévorer tous les journaux reliés en gros volumes, en feuilleton chaque jour un épisode de Cook et ses trois destinations. Mais toute une jeune vie déjà à décider tout seul, à être seul aux manettes, il était un solitaire. Ils avaient fait à deux, deux voyages différents.

Et puis toujours le soir au souper de nouveau il racontait. Dans la journée, ils bougeaient mais comme on fait à cet âge on n’appelle pas ça des voyages, le soir venu à table tous les deux, il racontait son voyage en Yougoslavie, avec tous les épisodes ville après ville, tente après tente, y compris la panne de voiture huit jours on avait perdu! C’était avec des copains, ces voyages qu’on fait à vingt ans dans la fougue.
Elle écoutait avec délices, toutes ces péripéties ,à vingt ans pour elle, vingt-cinq pour lui, ils étaient deux, deux sages trop tôt, chacun habitué à la solitude et heureux d’être ensemble. Besoin de travailler, gagner sa vie, pas le temps pour des voyages, lui qui aurait toujours voulu, elle qui voulait être juste là avec lui, les voyages ne faisaient pas du tout partie de ses désirs plutôt les livres et les enfants en IMP, avec Madame Borel-Maisonny. En attendant, il lisait beaucoup. Plus tard, les voyages.

Et puis un soir, on en était à la soupe d’oignons avec croutons, il était remonté bien plus loin dans son jeune âge, ils allaient régulièrement ,et les enfants pendant trois mois des grandes vacances, dans les Pyrénées, il savait tout de toute sa grande famille, du restaurant, des cols, de la frontière avec l’Espagne, Ses yeux riaient tandis qu’il parlait.
Elle le laissait parler, même pas l’interrompre pour lui faire préciser et c’était comment, et c’était où et qu’est-ce que tu lui as répondu. Elle repensait à leur vie, aux deux solitaires heureux ensemble. Ils étaient partis en voyage, bien plus tard, à deux, et une fois de plus pas du tout le même voyage, mais le sachant, plus apaisés, chacun prenant ce qu’il voulait dans cette halte pour eux.
Là, il est tard dans sa vie, elle ne voyagera plus, et la fable que j’en fais, ses deux hommes sont morts, enfin ils n’étaient pas à elle, elle ne pense pas «mes hommes» elle pense qu’ils se seraient bien entendus, elle se les racontent s’entendre bien. Maintenant elle a un autre voyage à faire, celui de comment on vieillit, on découvre de surprenantes aventures intérieures, d’autres physiques moins intéressantes, et ses découvertes sont empreintes, mêlées, alourdies indissociables de ce monde en bouleversement complet, en attente de ce qui risque d’être long, une renaissance.

# 5. Bouvier.

Vitesse.

La première fois, avec lui, trop de vitesse, impossible trois jours trois vallées. Un grand tournis, de l’autoroute trop, des levers de bonne heure trop, finir par trouver un restaurant, très tard.

Ralentir.

Le même voyage, quelques années après, enfin presque, une seule vallée, presque un seul lieu, Gavarnie. On arrive.

Un hôtel-restaurant.

Je sais, il a appartenu à Michel C. Juste avant d’entrer dans le village. Je le connais par cœur ce «Restaurant des cascades» par des histoires de grosses boites de confiture, avec ses cousins mine de rien, ils avaient fini par en vider un entier, la chasse qu’ils avaient prise.

Les poteaux électriques.

Ils doivent être tous enterrés aujourd’hui. Mais cette fois et pour toujours, je pense à son grand-père né vers 1870 qui avait été le premier à électrifier quelques maisons de Gavarnie à partir d’une cascade.

Le cirque.

On a pris le temps, cette fois, il était sous la neige. Mais on l’avait vu sur toutes les cartes postales, les souvenirs les bricoles, les enseignes, les panneaux de directions, les débuts d’un tourisme un peu envahissant.

Le cheval.

Comme un petit cirque, mais un autre. Sur la droite un peu au nord, le panneau Centre équestre du Vignemale nous ramène à son grand-père, vers les années 1912 à 1920, sous le protectorat du Maroc, il était  militaire à Meknès, au grand Haras, et parait-il il y avait une plaque à son nom. Pendant son service, au Maroc en 1958, il a voulu la trouver, restait l’emplacement mais pas de plaque (Ce n’est pas une fierté ces années au Maroc et en Algérie) C’est ce souvenir marquant d’un grand-père ingénieux qu’il n’a jamais connu que j’aime écouter.

La frontière.

Cette frontière Espagne France passe par les sommets. C’est lui qui se souvient: quand il passait deux mois de vacances là-bas, il allait souvent avec sa famille du côté espagnol voir d’anciens amis, il avait pris un chemin perdu et s’était trouvé face à un «Guardia civil», pas rassuré du tout, les parents parlaient beaucoup du climat tendu encore, entre les deux pays.

La brèche de Roland.

Elle se voit de loin, mais quand on y monte on a une vue incroyable du cirque. Il en a un souvenir jubilatoire, à neuf ans, ses oncles l’avaient emmené avec eux, tout en haut, à trois mille quatre cent mètres, en espadrilles, jusqu’au col. Mais vous êtes fous d’emmener ce petit avec des savates et si haut.

# 4. Cortazar. Ce n’était pas un long voyage, mais répété, tous les mois depuis quelques années, partir nécessité. Le rite s’était installé, prendre la voiture, rouler, mais prendre son temps, ne pas aller trop vite. Pourtant ne penser qu’à ça, le moment où on arriverait. Il fallait ce sas, cette halte aux trois-quarts du trajet, ralentir le temps, faire durer, peut-être vraiment réaliser, ça y est, c’est tout près. Alors penser à cette maison grande et carrée, son toit en croupe, rassurante, devant la porte un grand espace de gravier, entouré d’arbres, l’herbe s’étale sans vergogne, arriver là vers midi, arrêter le moteur, rester dans la voiture, sentir le soleil, trois enfants jouent là, les regarder faire, ranger les lunettes dans le sac, attendre, avoir besoin de ce lieu autre, neutre, intermédiaire, se dépouiller, se délester de tout. Deux puis trois voitures arrivent, alors se lever, entrer dans le restaurent  qui vient d’ouvrir, des hommes des chantiers déjà assis rient, discutent se taquinent, le couple qui tient la maison est là avec eux, les connait par leur prénom et à la voir là régulièrement, deviennent cordiaux. Un café ? Un café, oui. Prendre son temps pour le boire et le cœur chaud, reprendre la voiture.

C’était un long voyage en octobre 2020, où je voulais la voir, qui sera répété en fevrier 2023. Le rite pas vraiment, oui mais nécessité surement, aller la voir, rouler mais vouloir rouler très vite et ne penser qu’à ça, la rencontrer. Il y a eu un sas, pas de notre fait, il y en a eu un puis deux, pourtant ne penser qu’à ça. On se serait passé de ce temps qui dure, traîne, d’abord pour elle, ralentir le temps, faire durer, pourquoi ? Puis réaliser, c’est tout près d’arriver. Alors penser à cette maison, là  où peut-être on pourrait échanger avec d’autres intermédiaires qui la connaissent, mais ne pas savoir, ne pas pouvoir, alors la halte ce sera manifester avec les autres. La halte ce sera écouter, chercher à comprendre, avoir besoin de ce lieu autre intermédiaire, la halte ce sera savoir qu’elle est libre déjà, mais après qu’elle revienne en France, tous ces gens qui se pressent pour manifester leur soutien, c’est une halte. Au moins se soutenir, au moins parler d’elle, avec les copines et copains, c’est plus chaleureux , lui donner un peu de cette chaleur on voudrait. Un café? Oui, un café. Prendre son temps pour le boire avant de retourner bagarrer.

#3. L’impossible retour.

La lettre est arrivée avec retard, ç’est urgent, l’état de sa mère s’est aggravé, elle va mourir, rentrer au plus vite, ne pas la laisser seule. Et des grèves et manifestations commencent à s’étendre.

Mais il faut qu’elle parte!

Et il fallait prendre patience;

Il fallait voir tous ces touristes nombreux à cette époque.

Il fallait les voir se précipiter chercher une place,

Les touristes se bousculaient n’arrivaient pas à trouver un seul billet, les attentes étaient interminables, ils rentraient à l’hôtel furieux, agacés, se coucher en vue du lendemain.

Il fallait y retourner, le premier arrivé serait le premier servi. Aucun regard pour les autres, surtout pas, chacun pour soi, il fallait les voir, dans ce pays tant bousculé d’où tant d’habitants voulaient s’exiler pas en avion, eux.

Et toujours, elle, attendait, elle voulait partir absolument, mais ne voulait pas participer à cette surenchère. Les touristes ne se posaient pas de question, les regards durcis plus agressifs que des mots, ils auraient marché sur leur mère ?

Mais toujours j’en étais empêchée, je comprenais les manifestants oh du fond du cœur mais ma mère, ma mère,une grande boule me serrait le ventre je l’abandonnais je ne serai pas à côté d’elle qui avait été si près de moi.

2. Sa première impression est biaisée, trop de luxe, trop de gens bien habillés, trop sur leur quant à soi. Elle étouffe. Ils savent boire leur verre de champagne avec élégance, à table bien serrés entre eux qui se connaissent échangent avec volubilité elle ne sait important ou très intelligent ou très vulgaire, de gros rires s’échappent de leur table. Elle n’a rien contre le rire ni contre les tables animées, mais elle n’en est pas, pas avec eux.

Elle repartirait ? Non peut-être pas quoique pas loin, mais elle s’en va déjà de cet hôtel, part sur la place où tout à l’heure la responsable du groupe leur a dit et surtout ne donnez rien aux enfants après on est envahi.

Envahi, comme on dit des moustiques, des guêpes, des black blocs, des grévistes ?

Les petits tournaient autour d’elle, la retenaient par sa jupe, timidement, d’autres plus hardis avaient des gestes tout à fait éloquents de demande, elle les aimait, s’est assise à coté d’eux, elle était retenue, là pour longtemps.

Les touristes étaient les descendants de ceux-là même qui les avaient envahis, colonisés, et dans les yeux des enfants elle voyait que tout pouvait recommencer, une autre fois, en un autre temps plus tard peut-être, on retrouverait chez eux ce qu’on leur avait enlevé ces valeurs vitales, cette union de l’individuel et du collectif, cette harmonie entre l’homme et le monde, entre le corps et l’esprit, une autre fois, ce sera ainsi.

#2 .arrivée dans la ville.

1.On n’a rien à chercher, tout est organisé, rendez-vous pris à Paris à quatorze heure trente, bagages pris en main, on sera à l’aéroport de Toluca vers vingt heures presque déçus que tout cela se fasse en dehors de nous, la descente de l’avion commence, émotion de discerner Mexico, on voudrait déjà être arrivés, dans un petit nuage mental se fera le chemin jusqu’au car, il reste une heure et demi de trajet, au début plutôt aride et plat, des maisons inachevées avec les barres de métal dépassant du béton, puis une zone plus variée, l’atmosphère intérieure se réchauffe, on a juste le temps de regarder les passants, les lumières un bout de quartier et on arrive à la nuit pile devant l’entrée de l’hôtel, on a changé de monde, le rond point est fleuri entretenu, trop luxueux, les gens à notre service ce n’est pas ce qu’on aime, non, un ascenseur transparent va nous emmener en trois secondes au trente-troisième étage, vite la porte, vite le lit, mais non une grande baie vitrée jusqu’au sol le vertige prend immédiatement, mais c’est tellement beau, déjà le plan d’une main, l’autre en visière, je repère le palais présidentiel, la grande place,(Je ne connais même pas ma propre ville.)

2. Elle ne partira que trente-huit ans plus tard, elle l’a si souvent imaginé, tout un cheminement au long cours, elle était partie avec sa valise et son bagage à main, ce voyage elle a pu le travailler le vivre presque tant elle a cherché dans ses livres, à la bibliothèque, a réuni des images et des photos, on y voyait Mexico, beaucoup mais aussi les pyramides du soleil et de la lune, les jardins flottants de Xochimilco, Téotihuacan, et plus loin Cancun, les distances ne comptaient plus, elle a fait tant de voyages dans sa cuisine, mais dans ses rêves. En fait, elle n’est pas «arrivée» à Mexico, elle s’est dégagée du courant ordinaire de la vie de tous les jours elle s’est même endormie au survol de la ville et réveillée, il a bien fallu monter dans le car et calmer sa fébrilité, la nuit est venue, elle rêva qu’elle s’enfonçait dans une des rues sombres, heureuse de regarder les façades, les maison, cette belle église, tranquille et confiante elle avançait, une brusque secousse la réveilla, et se retrouva sans savoir comment dans une chambre haute, si haute qu’elle vit Mexico presque en entier, perdue, elle était complètement égarée, ce n’était pas cela qu’elle voulait, c’était le soleil s’encastrer juste dans l’ouverture en haut de la pyramide de Kukulcan, et à mesure qu’il descend l’ombre descend sur les marches

#1 la nuit d’avant.

« Tempête » J.W. Turner Snow Storm –

Vrai ? Mais pourquoi aller là-bas? Il veut lui, c’est décidé comme ça, il voulait déjà à dix-sept ans et n’a jamais pu, alors elle ira avec lui, c’est quand même au Mexique, l’ennui, lui aussi le mesure, c’est un voyage organisé, on n’a pas vingt ans et sinon on n’ira pas et dis, demain matin, l’avion décolle alors, comme il est déjà vingt et une heure, la valise ouverte sur le lit, je tourne et retourne, l’angoisse maintenue jusqu’alors augmente ce n’est pas l’avion, une première, et le temps me dure de sentir le décollage et si longtemps là-haut, immobile, ce temps me parait infini, je voudrais qu’il dure comme une liberté, défaite de toutes les obligations minuscules et répétitives, ce que je veux plus que le pays mais j’exagère quand même, alors qu’enfin je me couche, je pense au soleil, à la mer là-bas est-elle bleue limpide ou agitée et grise et la chaleur les couleurs que j’ai vu sur des photos, les cactus sur des terres sèches craquelées et tout ce que j’ai pu lire chez JMG Le Clézio, je ne peux pas dormir et reprends son livre « Le rêve mexicain », quand André vient me rejoindre dans le lit, il me parle longtemps des Mayas et des aztèques de Quetzalcoatl Colhuacan et je m’endormirai en imaginant les pyramides del sol y la luna de Téotihuacan.

Faux ? Mais pourquoi donc je veux aller là-bas? On est en juillet 1957, je viens de passer le baccalauréat philosophie et je viens de passer une année, même trois, compliquées, j’aurais grand besoin de revoir la philosophie je ne suis franchement pas mûre mais justement je m’en rends compte et j’ai quand même fait beaucoup de découvertes dont Antonin Artaud, et heureusement il m’ouvre un grand boulevard. Quoi faire d’un boulevard quand on est close sur soi-même, vraiment je vais mal, quand mon amie me propose une idée folle, on ira comme Artaud au Mexique, les dernières nuits avant le départ, je ne dors pas du tout, essayez d’imaginer, là où Artaud créait à huit ans des spectacles «Enterrement au crépuscule» ou têtes de morts et bougies pour effrayer son cousin, à la maison, c’étaient des jeux d’enfants, ça ne tournait pas rond ça manquait d’air, les mots d’Antonin Artaud sont un déclic il veut aller au Mexique «Magiques les incantations des sorciers, faire la pluie sur un paysage chasser le mal avec le souffle, à la mort de la mère, un concert de cris prend la vie» pas commencée la valise, je rêvais d’humains flous en ombres et transparents je n’ai pas pris de peyotl mais j’aimais leurs danses leurs mouvements avant de m’endormir il m’a semblé en prendre entrer en transe volontairement et avec stupeur me mettre à trembler danser pour une guérison pour la pluie pour entrer dans leur imaginaire, et pourtant toute la masse de ce que je portais d’inquiétude et d’ignorance de fermeture se précipitait pour m’interdire ce voyage mais mon amie était là.

19 commentaires à propos de “#Voyages | Voyages réels ou imaginaires.”

    • Merci Françoise. Mais là pour le troisième, je ne tremble pas, je cale. L’atelier est difficile pour moi cette année. J’ai pu lire tes textes voyages, et ai relevé peut-être à tort, tous les mots qui pouvaient faire penser à ton récent changement de lieu de vie. Tes textes sont vraiment prenants, et riches.

  1. j’aime les contours flous de ces voyages, dont certains noms résonnent pour moi comme des rêves, merci
    et j’apprécie aussi le tableau de Turner que j’ai découvert il y a peu et que j’ai glissé dans un de mes carnets d’écriture, heureuse de le retrouver par ici

    • Les contours flous, je les trouvais très, trop, flous ? Alors merci, Alice. Et les rêves, j’essaie. Le tableau de Turner fait partie de ces rêves alors ? Ton commentaire fait du bien, l’atelier me paraît plus dur ces temps-ci.

  2. Et oui, et de plus en plus ces temps-ci, rester au vrai du monde. Merci, Gwenn. À bientôt.

    • C’est vrai, j’essaie. Merci, Brigitte. Je n’avais pas vu votre commentaire ( pas de mail reçu cette fois).

  3. Je viens de lire #3,#2,#1 d’une traite. C’est vraiment très beau, ce flou et tout à coup ces traits précis justement, on y est, on n’y est plus, c’est passionnant en fait, écrit de cette façon. Et alors en sus, de si belles choses comme  » il m’ouvre un grand boulevard. Quoi faire d’un boulevard quand on est close sur soi-même ». Merci, Simone.

  4. c’est dommage, je n’ai pas reçu de mail comme habituellement et viens juste de lire votre commentaire du 5 février, on est déjà le 12. Vous ( ou tu , je veux bien ?) me faites très plaisir. j’ai du mal en ce moment. Merci beaucoup, Anne.

  5. Beaux voyages à nouveau grâce à vous Simone ! Haltes précieuses aussi, Gavarnie jamais visité, grâce à vous si, maintenant, merci !
    Et le grand-père ingénieur, personnage d’un récit, bientôt ?
    À vous lire encore !

    Ps : pour les commentaires à recevoir par e-mail, peut-être activer dans les paramètres de votre compte ?

  6. merci Gwenn, de lire. ( j’ai cherché partout, je ne trouve pas les paramètres! et dans les carnets, je recevais des mails des participants. Mystère, et de tuto en tuto sur WordPress, je me perds. merci en tout cas.

  7. C’est beau, tout rassemblé ici ! Et les voyages racontés, ceux pas faits, ceux qui restent à faire… Beaucoup aimé. Tendresse particulière pour la #6. Admirative.

    • Un grand merci, Anne. de ton approche. Admirative ? je relis ce mot dix fois, pour comprendre. Anne, je n’ai pas toujours le temps de lire, mais tu as une finesse et une délicatesse, et j’irais volontiers suivre tes ateliers d’écriture, (je suis trop loin) à Saint-Etienne dans la Loire) Je te remercie encore.

  8. Ugo, je suis contente quand tu m’envoies un mot comme celui-ci. très contente.

  9. Bonjour Simone. Je viens de passer d’agréables minutes à me balader parmi vos lacunaires carnets de voyage (lacunaires, ils ne le sont que pour moi évidemment) et je voulais vous exprimer combien j’ai été sensible aux évocations et aux rendus de ces déplacements, mouvements, émotions, rencontres qui font le voyage en tous sens d’une (de votre) vie (auxquels s’ajoute tout le chemin que l’atelier lui-même aura permis de parcourir). Merci

    • Merci pour votre commentaire. Ça fait beaucoup de bien. Vous avez lu et commenté beaucoup de participants, j’ai vu. C’est très sympa.

    • je vous remercie pour votre commentaire sur mon texte. Depuis 1 mois, j’ai mis en suspens car j’ai du mal à suivre le rythme. Pourtant vos mots m’ont fait très plaisir, et surtout venant de vous: Je suis allée lire ce que vous écrivez et suis intimidée. Un grand merci.