#doublevoyage #00 | en forme de prologue

 


Atterri la nuit à Blagnac, c’était l’hiver et cependant l’air était doux, je l’avais amplement respiré, je ne le reconnaissais guère, de retour d’un long voyage qui emplissait encore ma mémoire, alors que cette terre — j’y revenais pour la première fois — était ô combien familière à mes pas, terre de mon ancien refuge, elle portait en elle quelque chose qui fut moi et qui l’était encore, le songe et l’espérance, et j’eus l’envie d’étreindre — trop sages battements de mon cœur, quoi ! j’étais en chemin, et nulle joie, nulle extase au bord du trottoir bitumé vaguement éclairé par quelques lampadaires alentour sur lequel j’attendais l’arrivée d’un taxi ? — d’embrasser et seul l’air, léger, paisible, caressant, répondit à mon baiser tandis que la voiture s’arrêtait et me prenait en charge, me déposait à l’hôtel — je ne vis rien de Toulouse, peut-être les lumières de nuit, elles dédoublent les villes, une face le matin et une face le soir — et seule, allongée dans un lit un peu rude — un hôtel dans lequel les draps seraient encore amidonnés ? — fenêtre grande ouverte sur le ciel étoilé, j’embrassais encore, dans l’obscur j’embrassais les murs tapissés de la chambre vieillotte, le miroir éteint de l’armoire acajou, les rideaux impalpés, le fauteuil aux bras ronds, j’embrassais la fin et le commencement.

Tandis que je quittais l’hôtel en fin de matinée, en bout de rue des cris montaient et j’attendis sans comprendre pourquoi — je le sais désormais — qu’arrivent jusqu’à moi les mots graves, scandés, qui s’échappaient des gorges d’un mur à l’autre de la rue, d’une maison à l’autre. La troupe s’avançait en une seule colonne, j’étais sur le trottoir, à son passage elle m’emporta, et bousculée, trébuchante, mon pas s’accorda vite aux autres à l’intérieur du bloc qui remontait maintenant les rues de celle qui fut ma ville. Je perdis ma valise sans même qu’on me l’arrache. Une enfant m’avait saisi la main — celle-là même qui avait empoigné la valise en sortant de la chambre — elle avait le teint mat et les yeux noir olive, elle ressemblait à celle qu’un jour j’avais été et ce fut suffisant pour occuper une place au milieu de ces gens, alors qu’un vol d’étourneaux traversait notre ciel et que le chant libertaire s’amplifiait comme pour les saluer, tandis que de rue en rue, de colonne en colonne, la foule grandissait — la ville semblait s’emplir de nous à ras bord — les oiseaux dans l’espace avaient figé leurs ailes au-dessus de nos têtes, assombrissant le ciel, le chant devint lugubre — une mort annoncée, pour moi encore secrète — l’enfant serra précieusement sa main dans la mienne et je m’imaginais alors, abrutie par les cris et piégée par la foule, qu’une tombe s’ouvrait et que ma vie d’avant, toute pétrie d’oubli, s’y engouffrait dedans.

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