l’escalier qui monte avec la hache et celui qui descend avec les cheveux de la femme morte qui entrent dans la bouche; quand on ressort un cheval se fait battre, le ciel est un couvercle et la lune un morceau de bois pourri ; il y a un idiot qui regarde et raconte ce qu’il voit dans une langue de travers, un autre se prend pour un cheval; il y a un enfant qui pêche un poisson gros comme une mère et le lait qu’on boit est noir ; dans les rues où l’on marche – car ici on marche et surtout la nuit même parfois dans la neige sans sabots–, le fleuve est au burin ; dans les estaminet on boit vert ; puis loin le cheval meurt et toutes les bêtes avec ; une fille se pend au poirier avec sa ceinture – ou quoi que sais-je : la longe, la corde ou quoi, que sais-je – elle a étouffé l’enfant alors elle se pend : mère fille femme en lambeaux : lambeaux, copeaux, grains tombés d’une poche et ce visage minuscule qui s’amenuise dans la lumière, elle se pend à une basse branche, elle se pend et la branche ploie, on la voit à genoux, on dirait une enfant qui joue, c’est le taupier qui la voit et racontera – un jour je serai le taupier dis, tu me crois – c’est le taupier il revient de fouiller sous la terre, les taupes mortes lui font comme une étole autour du cou, sombre, celle de Mademoiselle Rivière est blanche ; et il y a cette carcasse de bœuf pleine de sang d’or qui pend mais le veau qu’on abat n’est pas d’or; aux vitres les étoiles sont grosses comme le poing, une encre épaisse coule de leur bouche; les imprimeries suent les nouvelles du jour, les feuilletons laissent des traces noires aux doigts comme au doigts du prince qui tue un rat qui n’est pas un rat derrière un rideau ; quand les pierreries regardent elles voient tourner des robes toupies; sous sa robe Nastasya Filippovna pourrit elle aussi : elle pourrit, Oui , comme la lune; parfois quelqu’un marche sur la tête sous les grands pins ; celle qui arrive là tout de suite porte une robe d’été à fleurs de rideau ou une robe de poussière rose, selon ; il y a une mère en tablier bleu les mains torves, elle penche ; partout, toujours, quelque chose penche, tombe, oblique, rien n’est droit même pas les façades; ici le jour peine à se lever mais il y a l’aube d’été et cette rivière aux poches trouées comme une promesse; on ne sait pas où on va mais on entend des voix à l’envers du décor; on entend ; on s’écarquille aux voix douces, âpres, folles : celle d’une femme dans une cave à Nevers ou c’est dans une chambre à Hiroshima, celle d’une autre à Calcutta ; il y a sa voix avec un saule au cimetière : elle a vécu ce que vivent les roses; et celle-là qui s’enfonce dans le sable comme les jours ; ce sont des voix elles parlent dans ma langue une autre langue, elles parlent, elles chantent : écrivez à l’oreille! Écris ! Un jour on prend la mer, on part avec un nom, mettons le mien et, un harpon, on se rejoint dans l’ infini qui est comme on le sait turbulent : « m’a mère est un poisson ma mère est un poisson ma mère » « non ce n’est pas ça: non ce n’est… » ; et il y a le bruit que fait le marteau quand il enfonce le mot dans le noir qui est aussi très clair ; et il y a cette fille qui jette ses souliers et saute dans la barque et vogue sans rame : la mort est une grande banquise à cheval sur une tombe mais ceci n’est pas une histoire triste
Et quoi » Madame vos images « : un collage pour l’hiver : Eh quoi ? Que des images, rien de plus qu’un songe d’hier se prenant pour une phrase ?
« Madame vos images » un masque, des peaux d’impuissance
Mon mal vient de plus loin disait la bouche sombre du théâtre…
Emprise, fond : Parle-moi, arrête de feinter
Parle-moi du sous-sol disait la voix du théâtre
Prends ta grosse voix, gueule : tu veux quoi en vrai? savoir où ça commence?
( comment s’engueuler fort sans se déprécier comment faire avancer l’écriture : Lève toi, travaille : c’est encore loin l’Amérique… Toi tais-toi et nage : regarde là-bas elle dresse son glaive : Glaive ou flambeau c’est quoi l’histoire )
Ceci n ‘est qu’un fond d’images, choses lues, vues, voix et beaucoup de silence. Silence oubli qui te posent à écrire
Je voulais te demander : tu as bien un projet .
si l’emprise c’était l’écriture , silence et oubli qu’elle ouvre à l’infini
Magnifique. Merci.
Ah les pierreries et fleurs et autres joyaux. Merci pour cette étreinte.
Je pensais onirisme et je termine la lecture par « rien de plus qu’un songe d’hier » « Ne sont que des images » mais c’est déjà beaucoup. Merci Nathalie
Merci Nathalie. La richesse de ces voix terribles dont toutes les références m’échappent, entraîne comme un fleuve dans les profondeurs de ce « songe d’hier ». Et c’est la peur qui est alors en moi. Bravo Nathalie.
Une corde sans fin, qui nous file entre les doigts, sans qu on ait le choix, car les mots nous précédent, cavalent, se cognent, s affolent.
Merci pour vos retour Natacha, Louise, Cécile, Ugo, Yael
Ce flot d’images est proprement hallucinant ! Quel souffle, quelle amplitude. Merci Nathalie. « partout, toujours, quelque chose penche, tombe, oblique… » : n’est-ce pas là le lieu-même de la littérature ? Du commencement de la littérature ?
Merci beaucoup Serge : oui ! un commencement
L’emprise, la trace, oui. Tes photos d’intérieurs racontent quelque chose sur ce ton-là. Contagieuses images d’ailleurs puisque je me surprends à regarder les détails de mon bureau, de mon salon, de ma chambre en pensant à toi, aux tiennes, à attraper cela aussi, comme une grippe heureuse qui permet de rester couchée et de rêver aux motifs cachés dans la tapisseries.
Merci Emmanuelle pour le retour sur images !
Quel souffle ! Bravo !
Merci Philippe pour le passage
Merci Nathalie pour ce texte qui ensorcelle, désarçonne, saute, met en selle… très fort!
Merci pour ce texte , qui entraine dans sa force, intrigue, rend sa lecture nécessaire. et ce questionnement sur l ‘écriture qui bouscule ouvre les possibles…
Michael, Carole , Merci beaucoup de vos lectures et retours .