La pomme
L’arbre prodigue décoche ses fruits, ici c’est la multiplication des pommes sans l’opération du Saint Esprit : on devrait peut-être marcher sous l’arbre avec un casque ? Balles rondes jaune-rouge à taches de rousseur, bijoux pendus aux branches. Tapis de balles brunes et molles sous le talon. Un fruit par jour éloignerait le docteur. Fruit de la connaissance du bien et du mal pour certains c’est pourtant elle qui les précipite dans la mort. Ici, un carpocapse lui ronge le cœur qui pourrit. Coupe les fruits en quatre, ôte ce cœur gâté, autour il y a une chair ferme acidulée au gout d’éden : j’ai les mains en compotes autant que de la compote plein les pots… Si Tchekhov avait écrit La Pommeraie est-ce que ça aurait changé quelque chose à la fin
Le fil
Tendu entre deux murs du jardin il disparaît à un bout sous un fouillis de feuilles à grappes vertes ; torsadé aux points de fixation il rouille. Tout ne tient souvent qu’à un fil disait Odette, alors profite .. une panière en plastique a chassé la grande bassine de métal qui servait pour la lessive, les confitures ou la toilette. Comme on étend ses draps on parle avec le vent : regarde, ils gonflent, demain, il fera encore beau, on étendra ton Jean et ta robe comme un pantin sur le fil : tu passes dessous en chantant, tes cheveux frôlent la ligne ténue ( sur le fil toute la vie se joue…)
La robe
La satin vert à pois noirs dans la penderie où tu te caches pour dévorer des bonbons ou pleurer. Entre le renard aplati, sauf les pattes et la tête aux yeux de verre qui te regardent et la robe aux manches ivoires à crevés ornée de guipures, elle pend ; une housse transparente à fermeture éclair la rend plus désirable encore. Longue, à col rond, avec des plis tournants, elle se boutonne par le devant jusqu’à la taille. Je m’y glisse en rêvant: ça tire aux entournures, les boutonnières baillent; les pois tout déformés s’allongent, on dirait de gros vers. Faite à ses mesures elle lui allait à elle comme un gant : c’est curieux pour une robe
« L’entonnoir et le pigeon sont entrés en même temps dans la maison « , c’est une phrase que dit le personnage de la pièce. Qui et quoi sont entrés en même temps? Le cercueil n’est pas entré dans la maison en même temps que la mort, il l’a suivie de peu puis il l’a emportée ailleurs ; les chaussons de bébé ont précédé de quelques semaines la naissance de l’enfant, on en avait choisi des blancs pour ne pas se tromper, on les retrouverait au fond d’une boite avec la mèche de cheveux, le ruban et la dent, l’enfant aurait depuis longtemps quitté la maison. Le croissant aux amandes de la « copé » (car il y avait eu la « copé » au bout de l’impasse à gauche sur la place en descendant) est entré dans la maison en même temps que nos baisers ; jamais retrouvé le goût de nos baisers ni celui de la pâte un peu brûlée s’échappant du ventre du croissant; cette frangipane compacte sans être sèche, que je pinçais entre deux doigts pour la casser avant de la porter à mes lèvres, avant que nos langues s’en mêlent
je suis venue fouiller dans tes « choses » et, je l’aurais évidemmentparié, j’y ai trouvé une robe qui jadis « lui allait comme un gant »
je suis sûre que tu vas sourire…
salut Nat
J’avais hésité puis pensé qu’ainsi je gagnerais peut être un commentaire de toi . Merci du passage Françoise!
Ces choses sont très présentes et filent doux… les bonbons dévorés, les pommes écrasées… le temps qui passe avec l’entonnoir… Merci
Le jeu du « sont entrés en même temps », quelle merveille… on croirait marcher uniquement sur les pierres blanches du sol en damier… ou les noirs ?
Quant à la Pommeraie, on s’y serait paumé. Déjà qu’on ne se sort jamais bien de la Cerisaie… Et pour Isaac Newton, quelle lose si les pommes avaient été des cerises.
et pour Guillaume Tell … n’en parlons pas.
Louise, Emmanuelle . Merci du passage
(il y a aussi un fil aux armes blanches…)(me disais-je, pensant à Odette – il y en avait une (TNPPI) (tu ne peux pas imaginer) qu’on appelait Doudou et à qui on envoyait des baisers quand au ciel passait un avion : elle était partie bien avant nous, mais cuisinait des pâtisseries au miel qu’on nommait là-bas (comme on dit) manicotti)
Merci pour cette autre Odette Piero
« Comme on étend ses draps on parle avec le vent » , une bassine multi-fonctions, ce goût d’hier et de pommes pourries, ce renard, (je le vois très bien), ce temps qui s’égraine et se mange mais dont on ne retrouvera plus vraiment le goût (sauf le souvenir du goût), je m’y retrouve dans toute cette sensibilité si bien déroulée !
J’adore les clins d’yeux que vous faites avec les mots. Merci Nathalie.
La robe se lit comme une gourmandise et de questionner ainsi « Qui et quoi sont entrés en même temps? » me plaît beaucoup. merci Nathalie.
Merci Cécile vais tenter de jouer plus avec la question.
Très beau texte j’ai envie de connaitre la suite de l’histoire, cette petite fille qui se cache dans le placard pour manger des bonbons ou pleurer ou qui joue avec les draps qui se gonflent en séchant dans le jardin, à moins que ne se soit elle qui les pende des années plus tard ? Qu’y a t il d’autre dans les tiroirs de cette maison d’enfance, visitée et vide maintenant de ses baisers ?
Merci Sylvia Ugo Catherine pour vos retours précieux
Très subjectif mais je trouve qu’il y a force de l’amorçe…de toutes ces images qui finissent juste après leur évocation… créant de l’attente… tellement beau « comme on étend ses draps on parle avec le vent »… Merci Nathalie !
Je crois que j’aurais dû creuser la matière .., et ne pas rester sur le fil faire un peu éponge de Ponge . Boîte de Cornell ou collage à la Schwitters … Merci Michael pour les retours
Plaisir de découvrir par cette lecture une familiarité commune avec les pommes et même les carpocapses, les cordes à linge… Plaisir supérieur encore de revisiter mes propres sensations, tellement le texte est fin à cet égard ! Et puis, restant un peu à l’écart lorsqu’il est question de robes, obligé de reconnaître aussi que je ne connais pas si bien Tchekhov… et d’ailleurs, aurait-il fallu en reconnaître l’écho au final ?
Merci Philippe ( le carpocapse c’est vraiment rude et cette année l’arbre offre tant de fruits)