Recto
Je l’ai vue pour la première fois dans le tram qui me menait à l’école. J’étais debout, à côté du conducteur, j’aimais voir la route devant moi, et j’aimais descendre rapidement. La bonne place. Et je la vois monter les marches vers moi, devant, direction le conducteur, une jeune fille élancée, vive, secouant les cheveux blonds noués en queue de cheval, des yeux bleus rieurs, une bouche en mouvement, mâchant un chewing-gum rose, soufflant pour en faire une bulle, ravalant, recommençant sans se gêner, insouciante, spontanée, gracieuse. En survêtement bleu roi, qui lui donne une liberté que je lui envie. Elle semble avoir mon âge, en fait elle est plus jeune de deux ans. On ne se parle pas. On se revoit souvent à la même heure, dans la même ligne de tram. On va à la même école. Rencontre, clins d’œil, sourires, et à la fin, elle me parle. Et je lui réponds. Je suis curieuse de savoir… Elle s’appelle Viviane, un nom de chanteuse. Elle fait de la danse classique, ça se voit quand elle bouge, quand elle marche. Ses gestes sont gracieux, mais vifs, papillonnants. A l’école, nous nous rencontrons dans les étages, nous ne sommes pas dans la même classe, mais nous avons les mêmes professeurs, sujet de discussion et d’échange. Elle est bonne élève, mais s’en fiche un peu. Ses parents ne sont pas sévères, pas trop présents, à vrai dire, pas trop sur son dos. Elle peut traîner après l’école, promener dans les rues, et nous finissons par fréquenter le même club de gym. Après la séance, une visite chez le glacier, elle aime les glaces à la framboise, moi c’est le citron. On finit par se raconter nos petits secrets, elle veut être danseuse plus tard. Elle a un ami qu’elle appelle son fiancé et qui est en fait son prof de ballet. Comme je ne vais pas aux cours de danse, je ne le connais pas et je doute un peu. Mais deux ans plus tard, elle m’annonce ses fiançailles et quitte l’école avant le bac. Je ne l’ai pas revue par la suite, je ne sais pas ce qu’elle est devenue…
Verso
Je l’ai rencontrée dans le tram 118 que je prends pour aller à l’école. Elle s’est serrée pour me faire de la place. Un peu timide à mon goût. Deux nattes blondes qui tombent dans son dos, des yeux clairs derrière des lunettes qui glissent et qu’elle monte sans cesse avec un doigt. Elle est en robe, de ces tissus qui grattent, avec des chaussettes bien tirées et des chaussures montantes. Un peu démodée, mais gentille. On descend à la même école, ça crée des liens. Elle m’aide parfois pour un devoir, avec des conseils bien avisés, elle est très bonne élève. Une bûcheuse. Pas comme moi. En fait, on ne se ressemble pas. Mais elle aime la gym, moi aussi. Elle raffole de la glace, moi aussi, on passe du temps chez le glacier italien. Sinon, comme on n’a pas beaucoup d’argent, on marche dans les rues, on découvre le quartier qu’elle connaît à fond, géographie et histoire. On traîne dans le grand parc, elle m’explique, les arbres et les fleurs, elle est savante. J’ai l’impression que sa mère la couve, et la surveille, elle ne peut pas sortir comme elle veut, elle est un peu coincée. Heureusement qu’elle aime les études…