
En cabane
Des lentilles, Damien en faisait souvent. Il variait les couleurs, vertes, noires, corail ou celles qui n’avaient pas de nom particulier, plus grandes, un vert un peu jaune, un kaki délavé. Il commençait toujours par les laver, les tremper un peu puis des oignons, de l’ail et du gingembre, les épices, les légumes de saison et ensuite les lentilles, surtout les jaunes, les lentilles corail, il les mettait en dernier parce qu’elles cuisent plus vite. La cuisson de la lentille n’est pas si simple que ça, il faut trouver le bon moment entre la lentille trop dure qui vous casse les dents presque aussi sûrement que les petits cailloux qu’on y trouvait avant, et le trop cuit, bouillie qui vous donne une purée quand les lentilles s’émiettent et perdent toute leur tenue. Ensuite combiner la cuisson des lentilles et des légumes c’est encore plus compliqué, mais pour Damien, pas question de dissocier, il fallait que les saveurs se mélangent, que chacun profite de l’autre pour que le goût soit parfait. Pas question non plus de tomber dans le encore des lentilles, il lui fallait toujours trouver de nouvelles alliances en fonction des saisons, de nouvelles lentilles pour toujours nous surprendre, la lentille était presque comme son défi à lui. Si on ne veut pas tomber dans la plâtrée de cantine, c’est délicat, la lentille.
Faire de la mer un œuf en changeant sa courbure et en mettre des photos tout en rond sur les murs en bois de ta cabane, une cabane comme un œuf, y faire le tour du monde juste en tournant la tête
En cabine
Une cabine de bateau quand le bateau est petit c’est toutes les pièces en une, le bureau, la cuisine, la chambre, le salon et sa bibliothèque, aussi le coin repas et même les toilettes quand tu poses ton seau (le bleu, pas le rouge qui est pour la vaisselle) au milieu du plancher. Dormir dans le canapé, manger comme les romains, à moitié allongée histoire de jeter un œil sur la carte étalée et puis sur le compas.
Manger comme les romains, mais pas la même chose, quand tu es en bateau c’est bien souvent du riz, parfois agrémenté suivant les provisions restantes, mais la base des repas est dans le gros bidon blanc avec couvercle rouge à revisser soigneusement contre l’humidité, à l’intérieur le verre qui donne la mesure.
Pour avoir la mesure du temps passé en mer, tu passes le gras du pouce sur la lame du couteau. Couteau indispensable il t’es utile partout et la lame émoussée dit la durée à bord. Ton couteau tu t’en sers pour couper un bout de pain, un morceau de fromage, éplucher un légume ou bien peler un fruit, pour tailler le crayon, gratter l’oxydation sur un fil électrique, enlever la moule coincée dans le trou du sondeur, couper le fil à coudre, à recoudre les voiles, découper un bout de truc pour fixer un machin. Alors quand il ne coupe plus, vite sortir la pierre et aiguiser le couteau comme on change de semaine, comme on entame le mois.
La mer revisitée par cette petite clepsydre-couteau, encore, encore !
Merci pour l’enthousiasme : ça fait pousser les ailes du clavier ! 😉
J’ai écouté la 10 (je suis en retard moi aussi) et je trouve dans ton texte une impulsion photographique que tu peux peut-être poursuivre :
« changer d’objectif sur l’appareil photo pour changer la courbure du lointain horizon »
Voilà qui ouvre des perspectives… j’ai aussi bcp apprécié les lentilles !
C’est clair que pour la 10, ça va être plus simple avec une personnage photographe. Quant à la perspective, je garde l’idée ! Merci
Préhension fine de la question des lentilles, j’aime ce concret, ces détails, j’aime aussi toute la vie en mer amenée point par point par l’objet couteau, encore du concret, plein d’images. Merci Juliette
merci de ton passage et de ta lecture, ravie que ça marche !
Le passage des lentilles à la lentille et de l’œuf à l’arrondi du globe terrestre fait voyager de cabine à assiette. « Faire de la mer un œuf » un truc de ouf que j’aimerais lire creusé plus avant. A la lame du couteau ou mieux, à l’arrondi de la cuiller. Beau challenge Juliette !
Oui, petite contrainte supplémentaire les passages, mais ça permet de relier les morceaux, d’en faire un tout plus cohérent je trouve. Quant à la courbure de l’œuf, je garde puisque ça marche, on ne sait jamais si j’envoie ma personnage sur la mer 😉
J’admire ton habileté à nous emmener d’un objet/sujet à l’autre, par le jeu des mots, de la lentille à la lentille à la mer au couteau, de la cabane à la cabine, tout en fluidité marine, sans que rien ne semble artificiel.
J’avoue, pour les lentilles, un petit coup de main avec le menu du midi 😉 Rien ne sert à rien quand on écrit j’ai l’impression