#rectoverso #11 | remonter le courant vers le livre latent

J’ai saisi un fragment de phrase de la proposition de François « avoir nous-même à remonter vers un livre existant mais inconnu, qui toutefois nous précède. »  pour aller vers ces Gestes pour remonter le courant jusqu’au livre latent, existant mais inconnu, qui pourtant me précède

courant, des flots mitigés de couleur glauque, comme les yeux de la déesse

le courant, qui parfois empêche mais qui pousse aussi parfois,
ne pas lutter contre

remonter le courant dans les eaux tumultueuses de la rivière, il ne faudrait pas s’y risquer, je sais que c’est presque impossible,
pourtant cette image revient sans cesse

remonter le courant vers ce livre latent, sans doute ne faut-il pas lutter contre le courant mais nager en oblique ou se laisser porter plus loin, et de là observer le livre à l’horizon – à l’horizon j’entrevois le livre
comme une ville dans ses multiples reflets

ce livre latent mais inconnu, je ne voulais pas écrire un livre, je voulais rêver une ville, rêver un univers, mais déjà des personnages avaient surgi au détour d’une rue, égarés parmi les foules. Ils faisaient partie
de la ville. Déjà Tu étais là, tu cherchais l’immeuble où tu avais vécu
avec L. dix ans auparavant, et Matt t’avait prévenu
que tu ne le retrouverais pas. Dès le premier fragment
il y avait Matt

ce livre latent mais inconnu qui pourtant me précède, maintenant je perçois sa présence à l’arrière-plan (l’arrière-plan de quoi ?
de ma conscience ? la sensation qu’il est beaucoup plus large
que mes capacités à l’écrire, un livre déjà écrit puis oublié, un livre rêvé
par quelqu’un.e d’autre ?), souvent je sens que ce livre existe déjà
et qu’il suffit de le retrouver

remonter le courant vers ce livre latent mais inconnu, qui pourtant me précède, encore cette image de la rivière, des flots sombres (que
viennent faire ici les yeux glauques de la déesse ? peut-être parce qu’il était question de ruse dans la consigne ? oui je devrais avoir des ruses pour compenser ma lenteur mais) et je réalise que si dans mon projet la mer est très présente, s’il y a aussi un grand lac, aucune rivière n’a encore coulé, les eaux se sont comme immobilisées… En amont le grondement des torrents, en aval l’héritage refusé. Et pourtant descendre de qui, de quoi, descendre de ce qui me précède, tout cet encombrement, tout ce charroi en amont du livre latent. Je n’ai jamais voulu raconter une histoire qui préexisterait à l’écriture et je dois donc
laisser l’histoire naître au fil de l’écriture

Gestes pour remonter le courant vers ce livre latent oui il faut des gestes pour remonter ce courant, des gestes qui partent du centre, qui ouvrent, qui cherchent une voie, une harmonie, des gestes qui ne s’inquiètent pas de l’amplitude de la tâche, des gestes qui envoient l’énergie mais sans force inutile, des gestes justes, il faut un échauffement un assouplissement quotidien, pour remonter vers le livre latent, il me faut des gestes qui pensent des gestes pensés, une chorégraphie de gestes, une suite de rythmes, une danse   

Gestes pour remonter le courant vers ce livre latent, existant mais inconnu, et qui pourtant me précède

  1. Tracer la ligne de crète de la Skyline
  2. Creuser ses fondations
  3. Regarder les vues satellites de cette ville imaginaire
  4. Déplier les cartes mentales des saisons
  5. Dessiner des cartes géographiques, des plans de quartiers
  6. Répertorier les îles
  7. Rassembler les objets de L.
  8. Chanter le nom des îles
  9. Flotter sur le lac
  10. Assouplir mon corps
  11. Consulter le Yi Jing
  12. Pousser la langue, étirer mes bras
  13. Faire le vide en moi
  14. Cultiver le sanctuaire d’écriture
  15. Faire couler une rivière
  16. Tourner la tête ailleurs
  17. Murmurer les noms du récit
  18. Écrire sur des feuilles volantes et les disperser
  19. Rêver les échappées impossibles
  20. Marcher long dans la ville
  21. Reprendre les feuilles dispersées et les agencer

A propos de Muriel Boussarie

Je travaille sur un chantier d’écriture au long cours et j’espère avoir assez de souffle pour le mener à terme. L’intuition de ce projet a surgi ici, dans un atelier du Tiers Livre. Il était question de se perdre dans la ville. Comme je ne voulais pas suivre une piste trop autobiographique, j’ai délocalisé l’errance en la situant dans la ville de K., un avatar de Hong Kong qui m’avait tant fascinée. Alors un personnage, un homme, Tu, toujours interpellé, est immédiatement apparu dans une rue de K. où il s’était égaré. Malgré cette entrée en matière – très forte pour moi – je n’ai pas pensé au départ écrire une histoire, encore moins un livre. Mais je voulais écrire, rêver un univers, celui de K. Quelques textes ont ainsi vu le jour sur mon blog. Puis lors d’un nouvel atelier de François Bon, un fil d’histoire plus précis s’est ébauché : le départ de Tu et L. vers les îles pour fuir la dictature qui sévit à K. À ce moment-là s’est déclenché un grand désir de narration. Beaucoup de choses se sont précisées au fil de l’écriture, bien des personnages sont apparus… Et régulièrement j’utilise des consignes de l’atelier comme pistes pour développer mon récit.

25 commentaires à propos de “#rectoverso #11 | remonter le courant vers le livre latent”

  1. des gestes qui envoient l’énergie mais sans force inutile, des gestes justes, il faut un échauffement un assouplissement quotidien, pour remonter vers le livre latent, il me faut des gestes qui pensent des gestes pensés, une chorégraphie de gestes, une suite de rythmes, une danse…

    merci pour cette approche très sensitive, organique, physique… l’entièreté d’une démarche créatrice. chapeau bas!

    • Les Choses sont devenues des Gestes qui s’inspirent de la pratique de l’aïkido, complémentaires de ma pratique d’écriture.
      Merci beaucoup Eve pour votre retour si encourageant

  2. C’est une sorte de mode d’emploi tant sur le fond que sur la forme pour remonter ce courant. J’espère que ces préalables te mèneront jusqu’au rivage !

  3. si beau ces gestes, ces rythmes, cette énergie latente vers un livre en attente
    et puis cette expression 17 qui me parle « murmurer les noms du récit » et disperser les feuillets au vent
    chère Muriel, je t’avais un peu perdue au fil des propositions précédentes, mais te voilà à nouveau dans mon champ de vision…

    • Chère Françoise, merci de ton passage ici. Ces derniers temps je ne peux suivre l’atelier qu’en pointillés, je n’ai pas le temps de répondre à toutes les consignes, mais toutes me donnent et donneront du grain à moudre. à te lire très vite

  4. Tellement inspirante cette réponse… à reprendre ici la proposition en effet de loupe à remonter le courant vers ce livre existant mais inconnu, qui toutefois nous précède… et tout cet épuisement des gestes… merci Muriel pour cette très belle ouverture

    • Merci beaucoup Michael pour votre message. J’essaie parfois dans l’écriture de m’inspirer de ma pratique de l’aïkido

  5. Cent fois mettre l’ouvrage sur la planche : il y a quelque chose de Francis Ponge dans cette façon de décortiquer un bout de consigne quand rien autre ne viendrait mais cela suffit à remplir avantageusement la page et à comprendre le cheminement de l’écriture. C’est réussi et sûrement y aurait-il encore du grain à moudre. Ne pas oublier d'<> (c’est vrai qu’on est parfois un peu raide devant le clavier) ^^

    • Merci Cécile d’être passée par ici. Peut-être en effet que cela peut faire penser à Ponge cette façon de revenir mais plus à la façon d’une petite vague qui reflue et s’amplifie que dans une volonté de décortiquer. Merci pour le retour.

  6. Magnifique texte Muriel ! Et tellement inspirant pour qui a un projet.. souvent je sens que ce livre existe déjà
    et qu’il suffit de le retrouver… Je n’ai jamais voulu raconter une histoire qui préexisterait à l’écriture.
    Merci aussi pour ton verso. Particulièrement aimé : Marcher long dans la ville. Et pour la phrase de François que je n’avais pas « entendue ».
    Vais essayer de continuer à te suivre

    • Merci beaucoup Isabelle pour ton retour qui me fait chaud au cœur. De mon côté je suis aussi ton aventure dans les nuages

  7. comment la #12 n’est pas encore là, je relis ta #11 et je la trouve sublime… vraiment !
    souvent impossible de remonter le courant, et il faut prendre par l’oblique, patiemment, ne pas s’épuiser pour rejoindre la côte promise…
    magnifique, ta série d’ampliation autour de ce courant qui nous porte vers le livre qui existe quelque part dans les limbes, s’en approcher comme d’un animal sauvage
    avec ta rivière et le courant qui s’oppose à l’avancée en contraire, tu m’as ramenée vers la nage, ce geste qui part du centre et qui s’efforce de pousser l’eau vers l’extérieur pour progresser
    merci encore…

    • chère Françoise, tellement merci pour ton message qui m’encourage dans cette voie, ce courant…
      Je n’ai pas encore fini ma #12 car cette proposition de François tombe vraiment à point pour un chapitre
      de mon projet mais cela entraîne aussi pas mal de questionnements, je vais essayer de ne pas trop tarder
      à la publier même à l’état d’ébauche.

  8. Quel travail sur le corps et l esprit et cette recherche d un souffle ,et cette phrase comme un liet motiv qui relance la recherche . »ce livre latent mais inconnu qui pourtant me précède… »on a beau écrire , et ecrire encore , on a tous ce livre latent qui nous attend …. merci d avoir mis tt ça en mots avec toutes ces images « .une suite de rythme , une danse « , c est exactement ça bravo !

  9. Je découvre votre écriture, fascinante. Remonter le courant vers le livre, vers l’amont du livre, le livre rêvé, le livre ville : vous tenez là un très beau projet. Je le suivrai avec attention. Merci.