Sans aucune âme dans aucune dalle

C’est le plus grand, le plus majestueux, le plus monumental, le plus moyenâgeux, le plus rénové des escaliers qui m’ait conduit dans une chambre à coucher; du bois doux, aux angles arrondis, du bois qui se fend de vieillesse, qui se fend d’avoir vécu, d’avoir soutenu, d’avoir embaumé de l’odeur du chêne; de la pierre blanche taillée, des moulures brutes, des volutes et des fleurs sans chichis, rugueuses, matérielles, solides; et des tommettes rouges, alignées sauvagement, défient nerveusement l’équerre et le niveau; six étages de majesté, six étages d’un autre temps, six étages d’une puissance narrative incomparable, car l’ascension est alchimie, quête, métamorphose pour le grimpeur qui au fil des étages enfile velours, bottes et drapé rouge, enfile épée et cuirasse, fier et fort à l’idée de franchir la dernière porte! et derrière celle-ci, enfin, derrière, insoupçonnée, comme une petite caravane, suspendue dans les airs, un cocon léger, aux parois filandreuses et éphémères : Airbnb Paris 5.

Ça commence par un petit couloir recouvert de dalles trop modernes, sans aucune âme dans aucune dalle, et qui débouche, le couloir, sur une toute petite cour et le début d’un escalier en bois qui cherche son style dans une balustrade en poteaux poreux, et sur le sol du colimaçon labyrinthique, des fausses tommettes hexagonales couleur brique pillée, ou plutôt prune écrasée, et au bout de la quatrième volée, une porte toute de bois avec une toute petite serrure en métal doré, qui bouche l’entrée d’une petite pièce équipée de tout le nécessaire pour vivre deux jours, et tout au bout de la petite pièce, une porte encore plus petite, comme une porte de placard, une porte qui semble mener dans le mur, mais qui semble seulement, car derrière cette petite porte d’une hauteur d’un mètre vingt environ, Paris cache sous le plafond le plus bas, un petit endroit mystiquement parfumé, spirituel, intemporel, libérateur, où de toute façon, on ne va que pour s’asseoir : Airbnb Paris 14.

Une porte imposante, et lourde, en métal vert bouteille, peinture vieillie, usée, trop caressée, comme les statues de saints et de saintes qui portent bonheur, et derrière la porte imposante et lourde, un petit hall miteux avec deux ascenseurs dont l’un me hisse au deuxième, comme indiqué sur le texto, et devant moi, un énorme parking suspendu, une canopée de voitures, et à droite, l’immeuble gigantesque avec les entrées A, B, C, D, E, F, G et H, mais c’est l’entrée C que j’emprunte pour atteindre le huitième, où se trouve un appartement grand, et vide, juste un lit, des draps, quelques tasses, une machine à café, quelques assiettes, et des verres transparents comme au bout du couloir la grande baie vitrée, la grande et haute baie vitrée, dont la vue chute onze étages plus bas, dans le gouffre de l’escalier qui descend sur le premier quai de la Gare Montparnasse où des êtres attendent, sans se savoir observés : Airbnb Paris 6. 

A propos de Laure Cassan

Un goût prononcé pour le camouflage, les fleurs, les pensées, la philosophie, la lecture, le théâtre, les bateaux, le soleil, la tempête, le café, la Renaissance, les histoires, Fra Angelico, marcher dans la ville, marcher dans la nature, les écrivain.e.s contemporains comme Gaëlle Obiégly, Camille de Toledo, Pascal Quignard,...