#techniques #05 | un cocon de pluie curvé avant que la tête encre

CC licence – Jack Redgate

Les gouttes giclent dans leur cocon sonore, un bourdon mêlé d’ondes et cliquetis. Est-ce qu’on va laisser cette bande ouverte à même la tête – la pièce est bulle maintenant sans sortie, asphyxier l’humeur dedans ? Il faut un effort pour sortir du petit cloaque de non-vue sur grisaille, du rideau d’ombres. L’orage passe. C’est la fin de l’audition. Du bourdon aussi. L’échappée du son sourd et grave pourtant sans gravité objective, un mouvement mélancolique – si on l’avait laissé encrer, entrer dans la brume molle imprécise prête à choir de notre bonne humeur, de notre vitalité vite fléchie sans prise autour d’elle que cet élément-là elle se curve.

Petite cuve de détresse qui était penchée loin plus loin que le geste qu’on était en train de faire, geste-fer qui tenait notre humeur harnachait les ondes vides, maussades, du dessous. Les sécrétions inquiètes coincées dans ce qui les absorbait, leur amenait un bord, les distillait jusqu’à ce que leur texture change. Cette petite cuve de détresse apportée par la pluie si on l’avait laissé encrer nos images, teinter les impressions de teintes et tonalités presque tragiques, alors on serait gorgée d’elle, dans un film que nous avons vu très souvent quand la pluie tombait, quand la vie devait se jouer à l’intérieur d’une pièce, à travers la vitre, à travers la fenêtre. C’est bien là que l’élément se curve. Qu’il bute contre son état propre, le temps qu’il fait, ses montées et descentes de pression qui n’ont rien à voir. Qu’on ne voit pas, qu’on ressent seulement à l’intérieur de nous. L’averse passe, fin de l’audition. De l’audition interne.

C’est le silence qui sèche le dedans en mal de terre, d’air, de lumière. Nous nous sommes assombris avec le manque alors que dehors était plein de pluie. Maintenant le silence, les pépiements d’oiseaux alertes, fous d’humidité sur chaque feuille et d’une multitude de possibles. Nous, le bleu franc et un nuage lumineux ouvrent une vue. La bulle perce, la fin de l’averse nous délivre d’un enfermement passager. Soudain l’ombre des vieilles femmes aux fenêtres, leur vie domestique, leur pièces attribuées, tout ce qui était lové dans la simple vitalité fléchie par l’extérieur maussade – on ne sortira pas dehors – s’estompe.

A propos de Nolwenn Euzen

J'écris dans les ateliers du Tiers Livre depuis 2022. Cycles: "techniques et élargissements" , "le grand carnet", "photofictions" ou 40 jours d'écriture au quotidien" (juin-juillet 2022). Mon blog le carnet des ateliers concerne quelques séjours d'écriture et ateliers que je propose, associés notamment à la marche à pied. J'ai publié deux livres papiers et un au format numérique quand j'étais plus jeune. Je me fâche régulièrement avec l'écriture et me réconcilie. Je suis d'abord une infatigable lectrice. "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue Ces revues m'ont accueillie dans le passé: La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune... Et, grâce à l'anthologie "La poésie française pour les nuls" (éditions First) je sais que dans un des livres de la bibliothèque de la ville où j'habite, c'est moi. Et ça compte d'être tatouée comme ça. J'ai participé plusieurs années aux échanges de blog à blog des "vases communicants" - mon site a disparu depuis. En 2007, j'ai bénéficié d'une bourse de découverte du CNL. Le texte a été abouti. J'ai bifurqué vers d'autres urgences. Enfin voilà quand même, je suis contente d'être arrivé là bien qu'aujourd'hui le temps a passé et que j'ai toujours un casque de chantier sur la tête. J'aime ça.

2 commentaires à propos de “#techniques #05 | un cocon de pluie curvé avant que la tête encre”