# techniques # 07 | Prise de vitesse

Peine à quitter l’envers du décor encore collé aux vitres

bâtiments de triste mine fenêtres étroites pauvre linge qui ne sèche pas aux limites de la capitale

juste avant l’accélération : par elle le train s’arrache à ce qu’il longe, se déleste de l’accablement

décoller :  fuite en avant et parallèles, routes plus larges, sculpture d’aiguilles métalliques, verdure moussante, on croit quitter ce qui encombre

coupure du tunnel, plaquée contre les oreilles la vie file sous la surface

ce qui est au-dessus n’existe pas

puis rejaillit dans l’explosion de la campagne , ce qu’il en reste

rectangles verts losanges jaunes et le clocher se plante dans l’enfance

repoussée à l’instant

un pont lance son arc dans l’éloignement

le rêve n’a pas le temps de germer

tout va si vite

bord à bord la fusée de terre claque au passage des tags vieillis sur béton à l’abandon

 retour des nappes vertes, blé tout neuf

et colza, immense champ de poussins sur  palette filante

 les éoliennes géantes y brassent le temps

 nuages lourds de conséquences on dirait qu’ils vont à toute vitesse la pluie ne tombe pas

terre d’avril toute retournée s’évanouit à vue d’œil

un tracteur, des vélos : à peine  vus sitôt disparus

 prisme de l’immobilité passagère avec jingle des annonces rassurantes tout roule

dans l’autre sens TGV croisé bruit d’un tir groupé et d’un froissement qui chasse le paysage

déjà autres toits trop neufs des lotissements tous les mêmes partout

mais la vitesse les annule, les digère,

on passe à autre chose on est où on est quand

des copeaux de murs s’agrègent à nouveau

reconstitution des parois, parages triomphants

 de la ville signature du désenclavement

les tours rutilantes s’élancent dans l’arrêt, à travers les prétentieuses audaces architecturales 

tendance verre acier, du  flambant neuf autour de la gare des temps modernes

ne plus  voir l’escalade

ça repart au ralenti

on se sauve

 étendues retrouvées comme là où on les a laissées avant

une mare, des arbres élagués, leurs moignons , les limites

la ferme-forteresse surgit : ne peut plus se cacher

elle repart dans la mémoire qu’on en a

 défilé greffé

reflets de la phrase incrustée au milieu de la vitre :« siège avec vue »

un homme, debout dans un champ éphémère fait signe au TGV , aux voyageurs,

à lui-même

tout de suite  remplacé par l’échancrure soudaine d’une baie

 juste le temps d’apercevoir un minuscule voilier

point blanc

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.