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#Evry #08 | comment à Évry on réinventait la bibliothèque

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2008.10.20 | Atlantis avec barrières
Evry corps béton, roman-photo, le sommaire
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Bien sûr, en entrant dans la vieille galerie commerciale du centre-ville, il y avait toujours l’ancienne médiathèque, routinière, morose. Avec le bâtiment qui leur avait été concédé, et plus de marques de prospérité en pleine rue aux dealers qu’à la culture, on ne pouvait leur reprocher le lâcher prise.

Mais dans le grand labyrinthe gris de béton imbriqué à cours et passages, où je trouvais accueil, ils m’avaient expliqué leur idée : des ordinateurs, ils en avaient en pagaille, des salles aussi. Et désormais même les étudiants travaillaient soit sur des PC plus perfectionnés, équipés pour la distorsion de réalité, soit directement accédant aux serveurs depuis leurs téléphones ou leurs casques à voir le vrai plus vrai que vrai. Et longtemps que les étudiants ne lisaient plus de livres, à moins de manga ou autres sauces molles.

L’idée était donc la suivante : à chaque ordinateur était affecté un livre. À chaque salle était affecté un pays. Par contre, pour chaque pays, pas question de séparer ce qu’autrefois on nommait les « genres » : poésie ou roman, théâtre ou instruction. On commencerait par le plus important, tous siècles confondus, et peu à peu on compléterait : il n’était pas interdit de rêver qu’un jour on aurait autant d’ordis qu’il y avait eu de livres, et dans la salle hispanique on montrait fièrement l’ordinateur dédié à l’oeuvre de Borges (on l’avait rassemblée comme un seul livre, après tout peut-être chaque auteur n’avait-il jamais été l’auteur que d’un seul livre).

Et même, un de ces étudiants silencieux de l’école d’ingénieur, au travail dans une des salles, m’avait rapidement fait le calcul sur son téléphone relié au calculateur : combien il faudrait de salles, combien il faudrait d’ordis. C’est vertigineux, j’avais dit. Vertigineux mais dénombrable et donc possible, il avait répondu — on savait depuis longtemps que les capacités de langage et les prouesses cognitives, comme imaginaires, n’étaient plus liées à la question matérielle du livre, et heureusement. La question était plutôt pour ceux de ma sorte.

Entrez dans l’ordinateur, réveillez-le d’un simple déplacement de souris : tout, j’insiste bien sur le tout, ce qui concernait le livre y était inclus. Liens vers le réel convoqué dans la fiction, l’iconographie et les sources, la réception et les lectures, y compris les blogs, les commentaires et oeuvres savantes qui y avaient été consacrées, la biographie de qui l’avait écrit et même toutes les traductions.

C’était un renversement total de l’idée de bibliothèque : au lieu de collectionner les livres, faire que chaque ordinateur n’ait mémoire que d’un seul livre, mais ce livre et tout ce qui le concernait. Alors évidemment que les anciennes médiathèques faisaient mauvaise figure : mais leur destin n’était-il pas déjà réglé, au moins ici à Évry ?

Et puis ces ordinateurs, qui semblaient en veille ou repliés sur eux-mêmes, on pouvait y accéder de n’importe où, depuis le réseau : il suffisait d’énoncer vaguement ou lacunairement sa recherche, et on avait appris à grignoter les algorithmes pour passer devant. En fait, dès à présent, elle fonctionnait formidablement, la nouvelle bibliothèque à un ordinateur par livre.

 

 


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 30 janvier 2020
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