on plaçait des écrivains dans les cases libres de la ville

à Detroit on offrait des maisons aux écrivains qui acceptaient de venir s’installer


Ainsi, dans la ruine globale, l’écrivain restait celui qui pouvait s’accommoder du désastre. Que lui fallait-il, sinon une fenêtre et une connexion Internet.

La ville ne servait plus à rien, alors on s’était dit que pour la repeupler autant prendre ceux qui eux-mêmes ne servaient à rien. Et qui sait, s’ils voulaient faire des récits d’horreur ils n’auraient qu’à regarder autour d’eux, et s’ils voulaient faire des mondes de rêve ils n’avaient qu’à repeindre les murs, de la couleur qu’ils voudraient.

Ils avaient fait fort, à Detroit en faillite, beau coup médiatique : on s’imaginait la ruée, tous les plumitifs qui n’arrivaient pas à boucler leur fin de mois dans les arrières de Brooklyn, qui se précipiteraient sur ces baraques avec fuites dans le toit, et qu’on leur laissait avec même une ramette de papier fournie. Qui sait même, s’ils arrivaient à s’accoupler et se reproduire entre deux chapitres, on la repeuplerait, la ville.

Alors ici c’est ce qu’on avait tenté, nous aussi. Mais nous on n’était pas en ruine ni en faillite – pas encore. Ce n’étaient que les signes avant-coureurs. Et nous n’avions pas de maison, à leur proposer. Juste ces plans de bureaux superposés à chaque étage, que les assurances et les banques et les fonds de pension et tout ça avaient désertés.

On maintenait les lumières allumées, ça vous donnait une idée d’activité qui continuait.

Et les écrivains, c’était encore mieux qu’à Detroit, pour eux : ils tiraient leur matelas dans le coin qu’ils voulaient, ils posaient leur table et leur clavier dans l’angle qu’ils souhaitaient, et des chaises à roulette ils pouvaient en changer tous les jours. Ils pouvaient chanter, crier, pleurer, hurler, ça ne changeait rien à rien.

On avait juste pris quelques précautions. Les souffleries, par exemple, bien propres. On leur donnait toute la place qu’ils voulaient, aux inutiles, mais pas qu’ils nous salissent l’air. Et puis les escaliers de secours. Ah vous voulez monter, vous croyez que vous échapperez. Non : on les logeait gratuitement, ils devaient aussi respecter la contrainte d’hébergement.

Ils avaient eu une bonne idée, à Detroit, que nous on n’avait plus eu qu’à améliorer.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 12 janvier 2014
merci aux 605 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page