faire un livre #9 | documenter c’est écrire, Emmanuelle Pireyre

les cycles ateliers d’écriture de Tiers Livre



 

#9, documenter c’est écrire, Emmanuelle Pireyre


Ce sur quoi insiste cette vidéo :

 cette proposition a 2 enjeux directs, d’importance pour moi essentielle, et qui vont nourrir l’ensemble des démarches, quelles que soit leur position par rapport à ce curseur fiction & non-fiction ;

 c’est ce que j’essaye de développer, fin de la vidéo, en revenant sur ces « cartes postales » que Breton attribuait à Balzac : dans le mouvement général d’une narration, s’emparer avec la même exigence d’écriture de tout ce qui est autour, ou sous-jacent, à cette avancée narrative — le mot « documenter », que nous utilisons comme mot courant dans nos démarches hors de la littérature, n’est pas plus chargé que ça ici : si le personnage traverse une gare, il ne s’agit pas seulement d’une « description », mais d’éléments associés à l’architecture, à l’intendance, aux panneaux et appels sonores, ainsi de suite : on n’est pas dans le coeur de notre avancée narrative, mais elle exige cet élargissement pour avancer ;

 je vais même plus loin dans la vidéo : dans la marche en avant narrative qui nous importe, l’introduction de ces éléments qui en sont plus à distance, voire neutres, sont une respiration souterraine qui la rythme, la font attendre et par là-même ressortir avec plus de vigueur –- un bouquet de fleurs dans un vase, derrière deux personnages dans une tension principale, et parler des fleurs et du bouquet renforcera cette tension... la continuité aspirante qui lève de la lecture est, du point de vue de l’auteur, la construction permanente de la discontinuité qui la rythme...

 l’autre versant : eh bien justement, Emmanuelle Pireyre... l’histoire de la non-fiction se confond avec celle de la littérature, ou ce qu’on conçoit rétrospectivement, à chaque époque, comme littérature : Buffon, Bossuet, Saint-Simon n’écrivent pas de littérature, c’est ultérieurement qu’on les y établit –- cette frontière a pris une expansion radicale ces dernières décennies : depuis l’enquête journalistique type A Cold Blood de Truman Capote, aux démarches documentaires d’Hélène Gaudy sur la boutique aux souvenirs de Therzin ou ces photographies retrouvées sur la banquise du premier voyage en ballon sur le pôle et son échec : l’écriture non-fictionnelle s’établit de plain pied avec l’ensemble des démarches fictionnelles ou romanesques, et les rouges qui les assemblent, dans La vie mode d’emploi de Perec par exemple, peuvent devenir la mécanique même du livre...

 dans les livres d’Emmuelle Pireyre que je cite, Comment faire disparaître la Terre, Féerie générale, enfin Chimère (et voir les extraits dispersés de Féerie, ou les deux brefs chapitres consécutifs de Faire disparaître dans le dossier habituel), des bribes d’analyse documentaire se multiplient, diffractent, augmentent leur résolution, et deviennent, avec le permanent sous-titrage qui les disjoint et les assemble du même coup, la pulsion romanesque elle-même, notre marche éberlué dans le monde qu’elle recompose, sans qu’aucun autre élément fictif s’y ajoute (en apparence seulement, bien sûr) ;

— c’est cette démarche-la que je vous propose : depuis l’ensemble des éléments qui traversent la part déjà écrite de votre texte en cours, identifier les bribes, les détails, les allusions fugaces à tel ou tel détail, qui peuvent être susceptible d’un passage, bref ou long, mais sans aucune justification qui le relie au texte de départ, d’un recours donc ou d’un dépli par l’écriture documentaire ;

 je vais plus loin : pourquoi pas ajouter une contrainte rythmique d’écriture, et sur les 7 jours du rythme hebdo, traiter chaque matin un développement distinct de ces possibilités documentaires, de ces développements non-fictionnels... au bout de la semaine vous en aurez 7 ? eh bien on les insère à leur place dans le récit principal –– c’est décousu, ça casse le rythme ? alors on écrit les transitions, les passerelles, ou bien on trouve les formes graphiques qui permettent l’assemblage, cette illusion de continuité respirante côté lecteur, évoquée plus haut, et qui est travail discontinu pour l’auteur...

 Emmanuelle Pireyre un modèle ? le mot lui déplairait... mais la cohérence de sa démarche est ce qui nous permet, nous, de visualiser ce que l’écriture documentaire peut ajouter, de façon sous-jacente, aux textes en développement –– ne pas chercher à égaler sa virtuosité, son recours permanent à la frontière réel et fantastique : documenter obstinément, comme Julio Cortàzar traduisant ses notices de télescope, et se saisir des détails les plus minces, une commode, un terrain de lotissement ou un carrefour, un journal abandonné, l’histoire d’un vêtement, les nuages et les ciels, vous seul savez le « rapport énonçable » (cette formule chère à Gilles Deleuze) entre ce qu’ici, chaque matin, sept fois, vous allez vous saisir de façon documentaire et non-fictionnelle — et qui sera d’autant plus « écriture », au plus absolu de liberté que le mot induit —, et le texte en développement : ce qui va l’accroître va l’enrichir, donner encore d’autres nouvelles pistes...

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 15 août 2021
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