75 | manger à Cergy, 2, petits-déj’

tags : Cergy, EnsaPC, Patrice Rollet, Leslie Kaplan


manger à Cergy : 1, soirs, 2, petits-dejs, 3, brasseries, 4, cantine, 5, kebab

Ce texte est un fragment d’un travail en cours, amorcé le 20 décembre 2020 et devenu assez massif, mais non destiné à publication hors site (pour l’instant).

Le principe est d’aller par une phrase par lieu précis de remémoration, et d’établir la dominante sur la description même, si lacunaire qu’elle soit, du lieu — donc public, puisque bar, bistrot, resto — de la remémoration.

La rédaction ni la publication ne sont chronologiques, restent principalement textuelles, et la proposition de lecture s’appuie principalement sur la navigation par mots-clés depuis la page des index lieux, noms, dates.

Point régulier sur l’avancée de ce chantier dans le journal #Patreon.

 

75 | manger à Cergy, 2, petits-déj’


Dans les deux cas, Kyriad du centre ou Kyriad d’en haut, le petit-déj’ ce n’est pas ça : une vague cafet’ où tu donnes ton numéro de chambre, en échange d’un café machine, jus d’orange machine et petit pain mal décongelé avec carré de beurre qui ne l’est pas du tout, tout cela à volonté ne compense pas les cinq balles qu’ils te prennent — ou alors tu descends à sept heure pour un gobelet double, et retour à la chambre pour une heure de boulot mais en tous les cas l’école d’arts tu n’y entrais pas avant 9 heures et donc tu passais au Show Gourmand, là aussi pas besoin de dire ce que tu souhaitais, et c’est comme s’il te fallait prendre ton élan pour changer de viennoiserie avec ton grand crème et la bouteille d’eau que tu emporterais dans ta poche pour tout à l’heure le cours : la fille toutes ces années c’était la même et avenante, plus que sa collègue qui souvent se réfugiait à l’étage où étaient les gogues interdites provisoirement aux clients, laissant l’autre se débrouiller seule, et tu avais découvert que celle qui se faisait ces pauses au moindre prétexte, vissée à son téléphone, était malentendante (ça n’empêche pas le téléphone) et un mois par an en fin d’hiver celle qui te préparait ta commande sans savoir ce que tu voulais, « comme d’habitude hein », partait un mois dans sa famille au Maroc et comme j’aime bien parler du Maroc on a toujours été copains, une fois à sa demande je lui ai fait une photo derrière son comptoir mais quand il s’est agi de lui envoyer par mail elle n’a jamais voulu me le donner, je pensais faire un tirage et puis ça traîné et je ne l’ai pas fait, en tout cas au Show Gourmand une fois servi sur le plateau, payé à la petite machine qui rendait automatiquement la monnaie tu descends à la petite salle d’en bas, bien éclairée parce que donnant de plain pied sur la grande esplanade (combien de fois j’y ai fait des time-lapse à l’arrivée même irrégulière des trains), et décorée, ça m’avais soufflé la première fois et toujours réconforté ensuite, de panneaux vitrés avec de très grandes photos de New York, pour un peu Cergy sur Manhattan tu y aurais cru, parfois des types qui téléphonaient forts pour des histoires de petites annonces de voitures d’occasion, ou un électricien plombier qui gérait d’ici son agenda et les heures de ses gars, plus gênant d’autres fois les filles de la CAF ou je ne sais quel autre service social commentant les cas de leurs patients donc souvent je mettais mon casque, les deux premières années dans la petite table rencoignée au bas des marches le prof de ciné, Patrice Rollet, en train de lire son Libé alors soit un petit signe et je me collais face à lui, soit pas de signe et j’allais plus loin comme de ne pas l’avoir vu moi non plus, super copains et confiance (ami en plus de Leslie Kaplan) mais on avait ce même goût tous deux pour ces répits provisoires et le silence sur tout ce monde de phrases banales qui suivent ensuite parce qu’elles sont celles de la codification du travail, ensuite Patrice est parti à la retraite, avouant enfin qu’il avait un e-mail comme les autres (mais ça avait bien servi à sa tranquillité, dans les codes de l’école, l’intranquillité il la gardait pour cette petite salle sans fenêtre où ses étudiantes et étudiants projetaient leurs travaux en cours) alors moi les deux ans à suivre je m’asseyais à sa place, la petite table rencoignée en bas des marches, bien sûr je ne lisais pas Libé (des années et des années que j’ai oublié l’encombrement que c’est un journal papier) mais comme un fraternel salut à distance avant le taf, il m’est régulièrement arrivé aussi de payer le café-croissant à tel ou telle des élèves pour un petit temps tranquille et hors territoire sur leurs mémoires ou leurs textes, donc après l’école et les deux hôtels c’est au Show Gourmand, dans ce petit passage que les édiles avaient trouvé intellectuel et cultivé de nommer Grandgousier, probablement pas à cause de Rabelais mais parce que dans leur idée cette place ronde (sur un plan jumeau de Louvain-la-Neuve ce qui au début m’avait troublé) était vouée aux bistrots et restos, un jour je retournerai au Show Gourmand.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 10 janvier 2022
merci aux 73 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page