< Tiers Livre, le journal images : 2020.09.01 | le goût des parkings

2020.09.01 | le goût des parkings

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Avec Yvan Petit et Arnaud de la Cotte, c’est de ça dont tout un moment on a parlé : dans nos vies beaucoup plus statiques, nos activités pro avec/en beaucoup plus restreintes, comment garder le goût des images ? Yvan dans ses vidéos peut se suffire de son portail, Arnaud monte ses images du quotidien d’il y a 2 ans, donc embarque pour dans 2 ans les plans qu’il tourne maintenant. Moi, je concentre mes vidéos dans les 4 murs de mon bureau, et encore, depuis 3 jours en y ayant ajouté un fond noir.

Et on affronte tou.te.s cette sorte de puits très mal défini, neuf en partie, que cet éloignement dans l’immobile implique. Pour moi, de très dérangeants effets de perception spatiale à distance, qui m’autorisent à déambuler dans New York ou Venise ou Bombay alors que je suis seulement dans le manque de ces villes. Ce symptôme collatéral d’une sorte non pas de résignation (bien sûr non) mais renonciation : on est très bien entre 4 murs, on taffe depuis des semaines comme rarement j’ai taffé, et la demande accrue de contenus web (oui ça suppose un peu de métier ou d’ancienneté, ou de notre goût, encore le mot, pour ce médium mouvant, intime et en même temps traversé avec amplification de tout ce qui secoue les bords et le coeur du monde), contenus pensés, élaborés, mitonnés, ce qui fait qu’il y a certainement moins qu’avant le stress money, au contraire, dans le confinement ai pas mal investi en upgrade matos, marche avant et sans regret.

Mais on ne se reconnaît pas soi-même, enfin je parle pour moi, à ces murs qu’il faut violemment pousser rien que pour l’idée d’aller prendre un café en ville — je n’étais pas allé « en ville » probablement depuis janvier, pour je ne sais quelle nécessité. Plus facile même, pour moi, d’aller à Paris, où c’est raisonné par le travail, des trajets précis et obligés, même si on leur rajoute halte plat du jour avec tel ou tel des proches (encore que, chez Kasper, on bosse en sous-sol !), que d’aller là à 10 minutes dans ces rues dont je tout surpris de constater qu’elles vivent, même sous masque. Je n’en tire pas de leçon, et ce qui vaut pour moi ne concerne personne d’autre, mais cette sorte de syndrome souterrain on l’éprouve tou.te.s, où qu’on soit de nos pratiques, et dans la même part d’inconnu. Je l’éprouve de façon encore plus aiguë à lire les journées d’ami.e.s en bibs, ou profs, ou soignant.e.s (beaucoup). Un autre paradoxe collatéral à assumer.

Tout ça parce que c’est ce qui m’a assailli, à retrouver les gestes bien connus de se garer 3ème sous-sol du parking : échapper à sa thurne pour rejoindre un autre souterrain, et que ça me semblait déjà un voyage à la fois énorme et naturel. Toujours aimé les zones vides des parkings, et la netteté des lignes, la précision des signes. Même s’ils te disent : parc équipé, de caméras vidéo, tu lèves la tienne face au mur et tu dis fièrement : — Moi aussi ! (Juste : mais pourquoi cette virgule, à cet endroit ?)

 

 


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 1er septembre 2020
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