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2010.04.06 | Québec, Baie Saint-Paul, bateau pogné dans des virgules

une autre date au hasard :
2021.03.07 | des portes et des fenêtres
Je repasse cet article en Une, parce qu’à l’instant, donc ce 11 septembre 2016, à moins de 6 ans d’écart, voilà la photo que Meriol Lehmann vient de mettre sur son Facebook.

La violence des éléments, le fleuve et le ciel, le froid et les vents mêlés, en si peu de distance temporelle à l’assaut des choses.

Et puis, de mon côté, à voir les images de Meriol, le regret confus d’avoir été si peu confiant en moi-même alors, avec mon Lumix à 2 balles, au lieu de faire de vraies images de ce qui bientôt ne serait plus, en ce lieu si emblématique qui fut le premier port de Jacques Cartier, et tout au fond le chalet de Gabrielle Roy (lire son récit sur la track)...

Compléments suite échanges sur Facebook : l’incendie criminel qui a détruit la goléette et provoqué sa destruction en 2015. Voir aussi le film de Pierre Perrault Les voitures d’eau.

 

bateau pogné dans les virgules


Dès notre première semaine au Québec, pour sentir l’estuaire et le fleuve on avait pris le car pour Baie Saint-Paul, et j’avais pris en photo L’Accalmie : rives, fleurs, mer.

Ce samedi, grand beau temps qui éblouit, nous revoilà à suivre le fleuve. L’Accalmie n’est plus dans la baie, mais on la retrouve deux kilomètres plus loin, tirée au sec sur des rondinsface à Petite Rivière Saint-François où écrivait Gabrielle Roy. Le bois si trempé qu’on passe littéralement la main au travers de la coque, ou ce qu’il en reste, abandonnés donc, les projets de restauration ? Enquête sur leur site Sauvons l’Accalmie.

De là, ouvrir rubrique vidéos, et notamment cette 3ème vidéo de L’Accalmie vers le large [NOTE 2016 : LIEN MORT] (je devrais dire : ce 3ème vidéo, puisqu’ici au Québec le mot est masculin), où vous entendrez ce beau parler avec prononciation des t terminaux, que je sais maintenant reconnaître de sa version lac Saint-Jean ou de sa version Côte Nord.

Des fois, on trouve compliqué le Québec, ses règles souterraines, ses principes administratifs ou privés : pas facile, quand ça met en cause le quotidien de la fac ou des conventions urbaines. Mais là, d’un coup, c’est un Québécois qui raconte comment ça fonctionne chez eux, les beautés bureaucrates qu’on aurait tendance à penser comme spécialité typiquement française.

Ainsi, le bateau, s’il pourrit sur place, peut rester sur place. Mais si son propriétaire déclaré veut le déplacer, puisqu’il ne s’agit pas d’un bateau, il doit le confier à un chantier de destruction et payer. L’aborder au quai pour le restaurer ? Non. Le bateau ne flottant pas – et pour cause –, il n’a pas le statut de bâtiment et n’a pas droit à accoster. Le tirer au sec, oui. Mais un bateau qui n’est pas un bateau, s’il est tiré hors de quinze mètres de la zone atteinte par les marées, devient une maison, et est soumis aux règlements et taxes des constructions, à commencer par la nécessité d’être posée sur un terrain constructible.

Il s’agit quand même d’une goélette de 250 tonnes. Baie Saint-Paul, je m’y suis attaché : baie décrite par Jacques Cartier dans son premier voyage de 1535, on a l’impression que rien du paysage naturel n’a changé en cinq cents ans – on entre dans le ciel et les peurs de Rabelais. Ce bateau, depuis 30 ans échoué dans l’anse de Baie Saint-Paul, en était une sorte d’emblème, une carte postale.

Le bateau, hors d’eau, doit sécher un an. On leur a concédé ce bout de vase. Le règlement avant toute prise en considération de l’effort volontaire d’une petite poignée de bonshommes agissant par amour, d’un vieux métier, d’un vieil art de construire, d’un paysage forgé à mains d’homme. On leur donne un coin de boue.

Je leur souhaite bonne chance, pour le jour où leur goélette à nouveau arpentera l’estuaire. Restera cette phrase, dans le début de la troisième vidéo, où texte et bateau se rejoignent : un bateau pogné dans des virgules – notre rêve à nous, les plumitifs, d’attraper un petit bout de réalité dans nos virgules.

 


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne 6 avril 2010 et dernière modification le 11 septembre 2016
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