édition numérique : rue Sébastien-Bottin, Québec

les plate-formes de lecture et téléchargement conquièrent leur définitive crédibilité : un virage radical


Pas de proclamation tambour trompette, ni de secousse sismique, juste un indice de confiance.

Depuis deux ans que nous sommes quelques-uns à expérimenter, pour le contemporain et la littérature, des modèles qui ne soient pas le simple portage ou promotion du livre, mais utiliser Internet comme outil de création en tant que tel, notre petite expérience publie.net est passée progressivement de l’idée de mise à disposition d’archives pdf à un concept de lecture en ligne, via feuilletoir intégrant moteur de recherche, annotations, service d’abonnements pour les bibliothèques, et mise en page des textes spécialement conçue pour l’ergonomie écran ou e-liseuses type Sony et CyBook, ou iPhone.

Ce parcours, nous ne l’avons pas fait seuls. Pour ma part, j’ai grande dette à ces éclaireurs, dont le blog est un lieu de réflexion, de mise en travail de ces concepts, et qui ont part liée, professionnellement, au monde de l’édition, ainsi teXtes, ainsi Aldus.

Ce parcours, dès le départ, s’est organisé avec ceux qui expérimentent directement de nouveaux modèles de diffusion, et la plus grande attention à ce qu’ils puissent s’ouvrir aux premiers lieux de diffusion et prescription du livre, les librairies. Ainsi, les cheminements à la fois parallèles et croisés, les permanents échanges avec Xavier Cazin (l’immatériel-fr, qui distribue publie.net, à partir d’une plate-forme révolutionnaire, plus innovante que certaines grosses plate-formes récemment rachetées par de grands groupes), avec Stéphane Michalon (ePagine, issue de la base de gestion librairies tite live et du portail librairies place des libraires). Ainsi, aussi, dette au pilote chercheur Clément Laberge, son blog : remolino.

C’est évidemment paradoxal, quand nous explorons sans autre moyen que les nôtres, ni subvention, ni aide quelconque des organismes professionnels, ces outils – pour le seul plaisir qu’on en a : à quoi bon démultiplier à l’infini le même, alors que l’onde de choc numérique ne traverse pas seulement la diffusion des livres, mais leur rôle, leur utilisation, leur statut ? – à voir nous rejoindre sur ce terrain d’un changement conceptuel radical, non plus le téléchargement avec drm au quasi prix du papier, mais sur le concept du livre comme web-service, ouvrant à toutes les évolutions, les groupes d’édition lourds. Mais, pour nous, c’est aussi une bouffée d’air : la création contemporaine, notre travail artisanal d’élaboration de textes avec les auteurs, nos recherches sur les formats, la diffusion progressive d’enregistrements audio, de port-folios d’artistes, en gardant l’idée d’une coopérative d’édition numérique gérée directement pas nous-mêmes, auteurs, prendra d’autant plus sens, visage spécifique.

Je me réjouis donc profondément que Gallimard et La Martinière aient signé un accord avec De Marque, la plate-forme initiée au Québec par Clément Laberge. Et encore plus content de constater la synergie de ces réflexions et démarches : la légitimité que cela va nous donner, concernant le catalogue publie.net, pour sa diffusion via les libraires, par exemple.

Lire à la source chez Clément Laberge. Plus déclaration commune Gallimard - La Martinière dans Les Echos [1] A compléter par tribune d’Antoine Gallimard dans Le Monde du 12 mars [2]

A compléter par l’approche de Françoise Benhamou dans Livres Hebdo (autre point de veille numérique à ne pas laisser passer, on est nombreux à le savoir).

Et, pour mémoire, quelques problématiques de notre projet publie.net : tablettes & liseuses : ça dissémine, ainsi que Le numérique, l’édition, les auteurs. Le mot marché revient nettement moins souvent que dans la prose des tribunes précédemment citées ! Droits d’auteur 50/50 chez publie.net (qui dispose d’ISBN pour ses textes en ligne, ainsi que du dépôt légal web BNF, et rétribution des auteurs via AGESSA, inscription faite), mais dans l’aberration que sur un texte à 5,50 euros (ou 4,60 s’il est téléchargé hors UE), nous reversons 90 cts à l’État au titre de la TVA... Donc points de croisements avec la position Gallimard, mais points de désaccord radical : limitation des droits du contrat d’édition à 10 ans, par exemple, et quand je les entends parler de « respect de la chaîne du livre », ça ferait vaguement doux regard du crocodile : tout pour diffuseur, et un peu de marge à chaque bout pour l’écrivain qui vit d’autre chose et le libraire au SMIC. La chaîne du livre est potentiellement totale en chacun de ses points, et l’onde de choc actuelle génère forcément des modèles inédits dans l’économie de la création.

Voir aussi ma lettre aux éditeurs, rien à y changer, sinon que peut-être vous allez progressivement la lire autrement ? Côté publie.net, prêts à travailler ensemble, et – vous voyez – on se retrouve sans le vouloir ni l’avoir prévu au plein coeur des nouveaux outils d’aujourd’hui...

Et pour ma part, encore plus de joie à l’idée que publie.net se gèrera aussi depuis Québec à l’automne : les webeurs et éditeurs auront de plus en plus d’occasions de faire le voyage !

[1Pourquoi nous nous associons sur le numérique

ANTOINE GALLIMARD ET HERVÉ DE LA MARTINIÈRE - © Les Échos [ 16/03/09 ]

Le Groupe La Martinière (Seuil, Editions de La Martinière...) et les Editions Gallimard ont décidé de conjuguer leurs efforts pour déployer une plate-forme commune de distribution de livres numériques. Cette plate-forme, qui s’appuiera sur la solution logicielle de la société québécoise De Marque, verra le jour à l’automne 2009. Elle travaillera avec les libraires qui souhaiteront proposer au public les titres de nos catalogues au format numérique, sur leurs sites de vente comme en magasins, ainsi qu’avec toutes les autres plates-formes de commercialisation, dans le respect des politiques commerciales des éditeurs. Elle a également vocation à accueillir la production des éditeurs qui travaillent d’ores et déjà avec nos structures de diffusion et de distribution, ainsi qu’avec ceux qui souhaiteront la rejoindre. Ce sont ainsi plusieurs milliers d’oeuvres numériques qui pourront être mises à disposition dès la première année.

Pourquoi cette initiative ?

Le livre numérique soulève de nombreuses interrogations. Même si les tentatives en la matière demeurent encore assez expérimentales dans notre pays, beaucoup se demandent déjà si, à terme, l’immatériel n’aura pas raison du papier et des circuits physiques de sa distribution. L’exemple de la musique nourrit notamment de vives inquiétudes chez les plus pessimistes.

Nous ne partageons pas cette vision des choses : à nos yeux, le papier est très loin d’être condamné. Pour autant, ces mutations technologiques posent des questions qu’il convient de prendre au sérieux. Certaines concernent le support numérique à proprement parler, ses formes et son langage. D’autres, les différents modèles économiques qui pourraient lui être associés. D’autres encore, la recherche de l’environnement réglementaire le plus adapté à ce type d’activité.

Dans cet ensemble, un point s’avère particulièrement décisif : celui de la circulation des oeuvres sur ces nouveaux supports. Comment et par qui seront-elles diffusées et distribuées ? Cette interrogation engage la manière dont pourrait s’organiser à long terme notre secteur et la possibilité d’y voir entrer de nouveaux acteurs qui ne partageront pas nécessairement la même conception du livre. Elle recouvre ainsi des enjeux à la fois technologiques et stratégiques.

Si nous avons choisi de réunir nos forces, ce n’est donc pas seulement parce que nous partageons une idée exigeante de notre métier et que nous souhaitons continuer à la promouvoir ; c’est aussi parce que nous avons la même conception de la chaîne du livre, des auteurs aux lecteurs en passant par les libraires. Cette chaîne, certains seraient tentés de la démanteler ou de la raccourcir à la faveur de nouvelles potentialités technologiques. Selon nous, elle repose au contraire sur une nécessaire répartition du travail et sur la reconnaissance du rôle de chacun.

Tous pourront demain y trouver leur place : les auteurs, parce que leurs droits seront ainsi mieux défendus et leur oeuvre protégée ; les libraires, parce qu’ils sont pour nous les interlocuteurs privilégiés auprès du grand public ; les lecteurs enfin, parce qu’ils seront assurés de trouver sous nos différentes marques une qualité et une diversité maintenues.

Antoine Gallimard est PDG des Editions Gallimard et Hervé de La Martinière, PDG du Groupe La Martinière.

[2Défendons le libre commerce des idées et de la création, par Antoine Gallimard -
LE MONDE | 12.03.09 | 14h11

L’année 2008 aura été celle d’une prise de conscience : celle d’un incontournable horizon numérique pour le marché du livre. De sorte qu’il n’est plus guère aujourd’hui de rencontres ou de tribunes autour du livre qui ne s’essaient à fixer la ligne de fuite de sa totale dématérialisation. Mais la perspective échappe encore à ceux qui voudraient la tracer d’un geste sûr.

2008 ? Vous avez mis le temps… Rencontres ou tribunes, oui : on reçoit 2 demandes par semaine, tables rondes, journées de réflexion etc., alors qu’il vaudrait peut-être mieux lancer des expériences de travail. Comment pourrait-on « tracer d’un geste sûr » – comme on sème du blé, ou parce que le mot « marché », récolter le blé, vient beaucoup trop tôt ? Pas de certitude dans l’univers mouvant, constamment renouvelé, qui nous occupe : mais pas de possibilité de le penser sans expérimenter, tenter, essayer.

Si l’on est enclin à la prospection, il faut se résoudre à essayer de deviner ce que laisse à peine entrevoir le fond estompé du paysage éditorial actuel. Au premier plan du tableau demeurent le livre, la librairie, les bibliothèques et bien sûr, des lecteurs qui tournent des pages. Nous savons tous ce que nous perdrions à vouloir les gommer ; cela fait des années que nous nous battons pour maintenir leur présence au coeur des villes, dans les écoles comme sur les lieux de consommation de masse.

Fond estompé ? Jamais eu si lourde concentration des groupes, jamais eu autant de poids des circuits de distribution sur les autres pôles, édition et librairie. Quant à la consommation de masse, nous serions partie prenante des livres qui se diffusent dans les hypermarchés ?

Le livre y tient sa place avec une belle assurance. C’est l’expression d’une conviction, si bien exprimée par Michel Tournier : "Je crois qu’un livre a toujours deux auteurs : celui qui l’a écrit et celui qui le lit." Et ce livre a aujourd’hui de sérieux arguments pour se maintenir face à la crise même si, dans un climat de nervosité, l’on sent bien que la chaîne se tend.

Tant qu’il ne sera pas prouvé que la valeur d’usage du livre dématérialisé et des supports qui en permettent la lecture égale celle du livre imprimé (et nous en sommes loin aujourd’hui, pour l’édition dite de littérature générale), il s’agira de veiller à ce que les acteurs traditionnels du livre puissent déployer leur activité dans des conditions au moins équivalentes à celles d’aujourd’hui. On sait que ce commerce est fragile : il suffit de rien, de vraiment rien, pour qu’un libraire, un éditeur indépendant, ne ferment boutique. Et la faiblesse de la rentabilité moyenne dégagée par le secteur rend absurde toute allégation de corporatisme.

S’il y a quelque chose à défendre, c’est le libre commerce des idées et de la création. Le livre en est aujourd’hui le premier support. N’allons pas le détruire, au prétexte qu’il faut bien vite investir un marché qui, somme toute, n’existe pas (tout au plus quelques centaines de livres numériques vendus par Gallimard en 2008, à comparer aux millions d’exemplaires vendus en support papier). Nous n’en sommes pas aujourd’hui à ce que les observateurs anglo-saxons appellent "l’i-tunes moment" du livre. L’un des bienfaits de la crise est que l’on a appris à se méfier des prophéties d’experts. La prudence est de mise, même si elle n’est pas toujours bien comprise.

Pour satisfaire aux appels insistants du camp des modernes (depuis leur téléphone mobile), il est une première chose à faire qui, à terme, les préservera eux-mêmes de la plus grave des crises, celle de la perte de sens et du radotage. "Au commencement était le Verbe ; à la fin, le lieu commun", prédisait, dans La NRF, le poète polonais Stanislaw Jerzy Lec. Une première chose à faire, donc : préserver les conditions de la création et d’une juste rémunération de celle-ci. Nous avons un cadre pour cela : celui du droit d’auteur, premier indice de valorisation du livre par ce qui le caractérise en propre, et non par sa capacité à attirer des ressources publicitaires.

Or ce droit est aujourd’hui contesté. Le Grand Règlement auquel le continent américain risque de nous inviter à souscrire au titre de la numérisation de masse engagée indûment par Google n’est, somme toute, qu’un faux-semblant ; bien sûr, il y aurait, si les ayants droit le souhaitent, une redistribution des profits réalisés aux Etats-Unis. Mais en contrepartie, Google aurait toute liberté sur son territoire pour faire ce qu’il entend de ce patrimoine plus ou moins dérobé.

Que gagnera-t-on à satisfaire l’appétit d’un seul acteur ? On comprend mieux pourquoi le moteur de recherche américain s’est tant pressé de scanner des bibliothèques entières. Pour le bienfait de l’humanité ? Ou pour s’assurer une avance de fait qui permettrait d’engendrer un avantage de droit. On nous dira : les éditeurs européens n’avaient qu’à se réveiller avant et faire leur Google. L’argument est au moins aussi spécieux que de reprocher à son épicier de n’être pas Michel-Edouard Leclerc.

Bien sûr, nous nous sommes mis en alerte et avons cherché à défendre les droits de tous les bénéficiaires de la chaîne, individuellement et collectivement. Nous avons dit à Google (et à d’autres) que nous voulions bien travailler avec lui, mais dans le respect du bien de chacun. A lui l’algorithme de recherches ; à nous les fichiers, qui les avons conçus, qui les avons, les premiers, lus et défendus, puis rendus dûment transmissibles, suivant les règles de l’art. C’est bien notre droit, n’est-ce pas, et celui des auteurs ?

Cela vaut autant pour les fonds de catalogue que pour les nouveautés. Nous nous sentons aussi responsables de ce "livre numérisé" (issu du scan d’un livre imprimé) que du "livre numérique" (adapté directement du fichier de l’imprimeur ou créé sans précédent papier, qui se prête plus facilement à des usages nomades).

Chacun a ses règles propres de lisibilité que nous ne voulons pas, éditeurs, nous laisser imposer par des impératifs de techniciens. Nos interlocuteurs, c’est là le signe d’un réel progrès, commencent à le comprendre. Et Google se préoccupe même d’acquérir une base de données bibliographiques qui donne un début de fiabilité à sa Très Grande Bibliothèque. Mais est-ce bien un progrès que l’ogre se serve d’un couteau et d’une fourchette ?

On en vient alors à cette seconde nécessité : la maîtrise de la distribution et des conditions de commercialisation du livre dématérialisé. C’est par la reconnaissance de sa spécificité que le livre papier s’est aussi bien maintenu en France, dans sa précieuse diversité. Cela n’est pas le résultat d’une heureuse combinaison de forces. Ce sont des choix, publics et privés, qui ont présidé à cet équilibre.

Il faut agir de même pour le numérique. Le livre est un objet à l’économie trop fragile pour que, digitalisé, il se voie valorisé par des mécanismes exogènes, victime annoncée de "l’idéologie gratuitaire". Car ce n’est pas qu’au livre numérique que l’on touchera alors ; mais bien aussi au livre papier dont on ne comprendra plus qu’il fût à payer au juste prix et qu’on aura soumis à une concurrence telle qu’il ne pourra plus se maintenir sous forme imprimé.

Or personne n’est aujourd’hui bien sûr que cet horizon est souhaitable et nécessaire : c’est là que se situe le grand mensonge. Aussi est-il urgent que les éditeurs se préoccupent d’organiser leur distribution numérique et de structurer, tant qu’il en est encore temps, une offre de qualité, dûment valorisée, protégée, dans le respect des usages du lecteur, et surtout plurielle dans son accès et ses "modes de consommation".

Voilà à quoi, depuis de nombreux mois, nous travaillons tous. Auteurs, éditeurs, libraires et pouvoirs publics songent ensemble aux moyens à mettre en oeuvre pour que ne s’effondre un édifice qui fait exception. On réfléchit à l’interopérabilité et à la qualité des fichiers, à la lutte contre le piratage, à la maîtrise du prix de vente, à l’adoption d’une TVA à 5,5 % pour le livre numérique (n’est-il pas plus flagrant aveu d’impuissance que de soutenir qu’un livre, du moment qu’il est dématérialisé, est assimilable à un logiciel...), à l’implication des libraires et de leur savoir-faire.

En entente avec les auteurs, on numérise, on structure, on adapte, sans qu’un marché du livre numérique n’ait encore émergé. On s’efforce encore de déployer nos marques sur d’autres supports, comme un prolongement adapté, ad hoc, de nos contenus et surtout de notre savoir-faire, de notre légitimité. Et l’on sait combien les réseaux modernes ont besoin de ces autorités nées du monde qui les a précédés.

Des secteurs comme le livre pratique, encyclopédique, documentaire, touristique sont les premiers concernés. Et il est déjà de bons exemples qui cependant peuvent aller de pair avec un recul, en librairie, des ventes papier. Il faudra trouver des mécanismes de compensation. On mesure combien il est difficile aujourd’hui d’avancer sans empiéter sur les champs ensemencés.

Antoine Gallimard est PDG des éditions Gallimard. © Le Monde.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 18 mars 2009
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