grandes manoeuvres numériques : et si en fait le SNE ne visait pas les auteurs ?

le énième plaidoyer de M. Gallimard pour le bon financement des maisons de campagne des éditeurs du clan des quatre au détriment des auteurs génère tout un ensemble d’analyses et réactions


D’abord, le bon du foie (expression de Rabelais qui n’a jamais cessé de m’enchanter) : dans le rapport littérature et numérique, le paysage n’est pas encore stabilisé, ni même saturé, il y a place pour plein de nouveaux acteurs, et logique chaque fois que l’invention se traduise par nouveaux sites, nouveaux lieux.

Au point que c’est bien ce qui m’a le plus ému, samedi dernier, aux 10 ans de remue.net : comment ce site s’était entièrement renouvelé avec nouvelle équipe, nouveaux contenus et directions.

Alors bienvenue à la revue Angle mort, entièrement numérique bien sûr comme remue.net, plus orientée nouvelles, et qui prépare l’arrivée de son deuxième numéro.

Je ne connais personnellement aucun des membres de son équipe de rédaction. Mais j’ai appris sur mon twitter à dialoguer régulièrement avec David Queffélec, dit @NooKeff et à suivre son blog WordPress Keff que tu racontes ?. Notamment parce qu’il y est souvent question de La Cantine, lieu Internet de Rennes – et bien sûr cette question de l’inter-relation d’un lieu réel (à Rennes, il est question d’y développer des ateliers d’écriture) et de l’activité réseau est essentielle.

À l’instant, sur le site de NooKeff, cette réflexion depuis l’intervention d’Antoine Gallimard, président du Syndicat national des éditeurs (SNE) dans le Monde, nous racontant une nouvelle fois que les auteurs feraient bien d’accepter sans discuter les conditions de leurs pauvres éditeurs, qui n’y comprennent rien au numérique mais c’est pas de leur faute – Evolution, révolution, révulsion.

Les réactions à ce lobbying sont nombreuses : petit goût de trop c’est trop, à ce matraquage SNE, complété de leur loi Prisunic, au point que nous, auteurs, ces derniers jours, on se demandait si M. Gallimard, bien trop intelligent pour croire aux arguments de son propre article, n’était pas engagé dans une autre partie d’échec : en France, il y a 1200 éditeurs, dont 400 aux SNE. Le clan des 4 (Hachette, Editis, Gallimard, La Martinière) détient plus de 80% de la distribution-diffusion et en vit bien plus que de sa surproduction organisée du livre marchandise. Les 1200 autres se distribuent comme ils peuvent, selon qu’ils ont accès à la Sodis, à Volumen ou aux autres plateformes. Ce qu’on perçoit de plus en plus clairement : ce que cherche le SNE, ce n’est pas la question des auteurs, c’est à contrôler et centraliser la distribution numérique. Entreprise ratée désormais, on a l’immense chance qu’un quatrième acteur majeur ait réussi, par simple compétence technique et justesse d’analyse, à s’imposer comme 4ème, et désormais le jeu est ouvert – notamment via la récente mise en place du "hub" Dilicom qui permet à tout distributeur d’avoir accès à l’ensemble des diffuseurs. On en constate déjà le résultat pour notre publie.net.

Le SNE a compris un axiome élémentaire : la nouvelle redistribution des supports induit de nouveaux acteurs, de nouveaux métiers. Les libraires ont la possibilité de négocier directement avec ces nouveaux acteurs, sans passer par le filtre de leur 3 plateformes en béton armé, bardées de DRM qui sont un contresens commercial, et alors que le SNE, sur lequel M. Gallimard a mis la main en mai dernier, s’apprête à payer des dizaines de milliers d’euros le service d’un prestataire pour la surveillance Hadopi du livre (si terriblement inutile), on commence à mieux voir le contexte complexe d’une intervention dans le Monde (remarque que ça aura été plus lu grâce à nous sur le Net que si on n’en avait pas parlé), a priori inutile et affligeante.

Bon, je résume :
 bienvenue à Angle Mort dans la galaxie des acteurs numériques de la littérature ;
 merci à NooKeff de cette analyse, qui remet à plat les prétentions SNE par une vision établie depuis le web ;
 pas paniquer sur ces histoires d’avenants, mettez-les tranquillement au frais, et tentez plutôt l’aventure sur les nouveaux chemins : la littérature nous est nécessaire, l’industrie éditoriale non – le geste d’édition dans le numérique est une instance vitale, mais on peut très bien s’en charger nous-mêmes.

FB

 

David Queffélec (NooKeff) | Digiborigène


Non, mais aujourd’hui, j’avais décidé d’être studieux, de me concentrer sur les tâches importantes, entre autre bosser efficacement sur le numéro 2 de la revue 100% numérique Angle Mort, qui va paraitre bientôt.

Et paf, hier soir, ma TimeLine tweeter me met sous le nez un article du Monde, une intervention d’Antoine Gallimard, président du Syndicat National de l’Edition. Voyant François Bon (@fbon) s’énerver, j’ai bien senti que ça allait me faire rire.

Cet article Web, paru dans l’édition du 21/01/11, laisse la parole à Monsieur Gallimard sur le sujet du livre numérique.

Dès le premier paragraphe, le ton est donné. Il parle de « rappeler de ses vœux de régulation de ce nouveau marché du livre numérique : prix unique et TVA au même taux que pour le livre imprimé » . Ah « réguler », quel joli verbe synonyme de « contrôler », « avoir la main mise sur », ou encore « bloquer ». Mais en quoi est-il nécessaire de faire appliquer le prix unique du livre numérique ? Est-il là besoin de protéger les petits libraires ? Non, trop peu de libraires numériques sont sur le net pour essayer d’appliquer une quelconque mesure. Je pense que ça va dans le sens de la démarche de protection de la chaîne du livre papier, et ne pas voir d’offres promotionnelles sur des version homothétiques numériques qui iraient trop concurrencer le papier.

« Grâce à l’implication des pouvoirs publics, ces deux sujets ont bien progressé. » Mhhh merci, Monsieur le Président, de nous rappeler que le lobbying porte ses fruits au sein du monde politique.

Après, quelques principes simples nous sont rappelés. Sous entendu, à nous, simples abrutis qui ne comprenons rien. Le premier est que « Œuvre de l’esprit, un livre ne change pas de nature en changeant de support, du papier au fichier numérique ». Et là Antoine Gallimard confirme le positionnement du SNE dans un immobilisme effarant. D’abord, qu’est-ce que la nature du livre ? Moi je vois d’abord la forme, le format. Par exemple, bien plus de formats courts vont pouvoir être publiés. Là où publier un texte court, une nouvelle, une novella au format papier était plus compliqué au regard du retour sur investissement, des frais impliqués, en numérique les coûts sont moins importants. Si si. Le processus de conversion ou de génération de 250 pages est le même et a peu ou prou le même coût que celui pour 4 pages. Bien entendu, si l’on a pris soin d’industrialiser son travail. Mais n’est-ce pas l’intérêt d’un éditeur que de bien faire son travail ? Donc en résumé, nouveau supports, et ainsi multiplication des formats.

 

dinosaures

Petite digression de ma part sur le contenu. Un livre numérique, ça sera encore des mots, oui. Mais pas que. Oh il est évident que le livre homothétique va rester, c’est à dire la simple transposition du livre papier vers un format numérique accessible sur une liseuse. Parce que c’est une forme qui est plaisante, qui va bien. Mais n’est-il pas intéressant d’imaginer un livre « évolué », dont le contenu, la forme va au delà des simples mots. Imaginons un polar se passant dans une ou plusieurs villes françaises. Ce livre, je désire le lire simplement, comme cela se fait depuis des siècles. Et puis, au cours de la lecture, parce que l’état d’esprit s’y prête, parce qu’un sujet abordé m’intéresse plus précisément, je souhaite voir un passage en mode « augmenté ». C’est à dire, par le changement d’une option d’affichage, le texte s’enrichit de liens internes ou externes, voire d’images directement affichées au survol de certains mots. Ce livre parle d’un certain mouvement anti-OGM, je clique et je me retrouve sur une page web choisie par l’auteur pour appuyer son récit. Ce livre se passe dans Paris ? Un lien m’amène sur une carte pour me localiser l’endroit de la scène en cours. Hou-là, mais je viens de décrire un livre contre-nature, là non ? Fin de la digression.

Non, la nature intrinsèque du livre ne change pas mais en changeant de support, une partie de cette nature va évoluer, s’étendre. Et ça, il est clair que certains ne veulent pas le voir.

Maintenant passons au chapitre de la juste répartition des rémunérations et des coûts du numérique.

« L’éditeur doit investir en recherche & développement dans ce nouveau métier. Contrairement à l’idée reçue, l’édition numérique fait apparaître de nouveaux coûts pour l’instant non maîtrisés. » Eh bien oui, entrée d’une entreprise dans les nouvelles technologies = recherche & développement, voire innovation (brrr le vilain mot !). Mais est-ce à l’auteur de subir ces frais de recherche & développement ? Et honnêtement, je ne pense pas qu’un laboratoire d’une dizaine de personnes soit nécessaire. Je rappelle à Monsieur Gallimard que sur Internet, il n’y a pas que des sites de pirates ou pornographiques. Il y a également un tas de ressources expliquant comment, pour quels support et avec qui fabriquer des livres numériques. Aller, quinze jours devraient suffire à un Bac + 2 pour comprendre ce qui se trame derrière un livre numérique. A moins que monsieur le Directeur ne veuille nous expliquer de manière détournée qu’en fait, les maisons d’édition ne possèdent pas la possibilité de générer des livres numériques parce que leur système d’information est très limité et que pour eux, un livre papier déjà imprimé n’existe en numérique que sous la forme de PDF imprimeurs ? Ah ben oui, essayer de récupérer en masse le fond existant de livres va coûter de l’argent et bien entendu, ce sont les auteurs qui doivent payer. Logique, non ?

 

gendarme

« Il ne s’agit plus seulement de fournir des fichiers numérisés des oeuvres, mais d’assurer leur protection et leur diffusion au travers de plates-formes complexes et variant selon les environnements technologiques. »

Arrêtez donc avec ces protections. Elles ne servent à rien et vous demandent effectivement un investissement inutile.

Digression. Le livre de LL Kloezer, Cleer, est vendu pour la modique somme de 19,55€ au format numérique avec une protection (DRM) de chez Adobe. J’aimerai bien savoir à combien se monte le coût de l’application de cette DRM bien inutile. Le livre des Kloetzer se trouve facilement disponible au téléchargement gratuit, avec la DRM qui a sauté. Et en passant, les méchants pirates ont modifié le fichier et enlevé la marge qui polluait la lecture sur une liseuse 5 pouces … Fin de la digression.

Et mettre de l’argent dans la répression, en engraissant les actionnaires des sociétés chargées d’aider l’Hadopi, là non plus ce n’est pas la bonne solution. Les méchants pirates qui diffuseront vos ouvrages gratuitement et sans protections auront toujours dix longueurs d’avance.

 

la chaîne

« Les auteurs et les éditeurs ont un intérêt partagé à faire respecter la chaîne de valeurs communes au livre imprimé et au livre numérique. » Là il faut bien évidemment comprendre : nous les gros de l’édition, on vous arnaquait au temps du livre papier, sachez que ça va continuer avec le numérique. Je tiens à rappeler une chose qui m’a toujours choqué. Quand un livre papier est vendu, l’auteur récupèrera en moyenne 10% de la vente. L’auteur, vous savez, celui qui invente les histoires, qui passe du temps à se documenter, qui passe des jours et des nuits à rendre son récit agréable. Oui, celui qui nous emmène, qui nous fait rêver. Eh bien cet auteur, quand vous achèterez son livre, il ne recevra qu’un dixième du prix que vous allez payer. Et souvent un an plus tard. Pour le SNE, ça va continuer avec le numérique.

Moi je trouve ça dangereux pour les éditeurs, de garder cet état d’esprit. En numérique, il est simple techniquement de shunter un éditeur de la chaine papier pour proposer ses ouvrages à la vente. Oui le travail de l’éditeur est aussi là en amont, avant la publication du livre, il est là pour faire retravailler l’auteur, le corriger, lui faire lever la tête du guidon etc etc etc. Mais qu’en serait-il d’une structure dédiée au travail éditorial, et qui laisserait ensuite l’auteur se débrouiller avec la génération, publication de ses œuvres ? Produire un fichier lisible est bien plus facile qu’un livre papier. Et en produire 1 ou 5 000 ne coûte pas plus cher. Pas comme avec le papier. N’y a t’il pas un risque pour les éditeurs de voir se barrer les auteurs vers une édition solo ou coopérative ? Je pense qu’avec une politique indécente de rémunération de l’auteur à 10%, c’est ce qui va se passer.

Nous espérons que ces discussions éviteront l’idéologie et la surenchère, et qu’elles porteront leurs fruits : il en va de notre commun avenir.

Ok, arrêtons la surenchère des prix et des protections idiotes autant qu’inutiles et fournissons enfin des livres, des histoires, de la culture à des prix abordables, il en va de notre commun avenir.

Ah non, ce n’est pas comme ça qu’il fallait le comprendre ?

Digiborigène je suis.

© David Queffélec / NooKeff.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 22 janvier 2011
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