approche du Christ de Saclay, lieu urbain complexe

au milieu du Plateau, ce qui n’est pas le Plateau


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Passé le premier fouillis des signes, on commence à entrevoir le contexte : une poche rurale, encore structurée par ses anciennes fermes (même si elles n’ont plus fonction de ferme), les points denses isolés des centres de recherche, et un réseau de traversée routière qui s’organise pour les desservir, dans un tracé qui se superpose à celui des anciennes bourgades mises à l’écart.

Et puis, pour centre de gravité, un lieu urbain étonnamment complexe : le Christ de Saclay. Pour respecter la toponymie, un vrai Christ de bois y est discrètement installé, mais moderne, et il faut vraiment chercher pour le trouver (ce n’est pas des clous qu’il a dans les pieds, mais un écrou six pans et un autre quatre pans forgés).

L’infrastructure : un carrefour à six routes (fréquent dans la plaine d’Île-de-France, pas seulement à Bobigny qu’il y a un carrefour des Six-Routes), avec deux zones protégées à immédiate proximité, le CEA qui est une vraie ville, et le Centre d’essai des propulseurs de la Défense nationale, auquel je n’ai pas eu accès non plus, mais dont je voudrais explorer au moins cette drôle de tour de Babel qui le surplombe, on la dirait directement pensée d’après la tour de Pise, et elle se voit de loin.

Pour desservir le CEA et les autres centres proches, c’est juste sous le Christ que s’abouche l’autoroute, par la bretelle de l’A 10 joignant la porte de Saint-Cloud, avec une circulation quasi ininterrompue de l’autoroute vers le plateau, ou du plateau vers l’autoroute.

Ce qui frappe, ensuite, c’est la structure du carrefour lui-même : implanté avant l’époque des ronds-points, il s’est construit selon le modèle des anciennes intersections début de siècle, celle qu’exprime à son paroxysme Simenon en 1931 dans La nuit du carrefour, archétype de la naissance des Maigret. La plus ancienne bicoque du Christ, désormais cave à vin sur l’avant, et les dépendances reprises par un artisan transporteur et ses autobus, a cette allure étroite des hérissements de ciment qui la datent forcément d’avant 1950.

Le reste est pacotille. Un garage Renault, un petit garage carrosserie mécanique, un marchand de vélos : mais où trouvent-ils leurs clients ? La bourgade de Saclay est à l’arrière, mais pas de rue qui y mène directement – on est ailleurs, on est dans un lieu qui n’a pas d’autre clôture que lui-même, le Christ de Saclay.

Sur les vues aériennes, ce qui frappe, c’est l’ensemble déstructuré qui vient s’accoter jusqu’au garage Renault. Quand on contourne à pied, rien à voir, grillage devant, haie végétale derrière : les camions Nicollin (M. Nicollin, dont la fortune vient du ramassage des ordures de Montpellier, est propriétaire là-bas du club de foot : c’est donc avec l’argent de la communauté d’agglomération de Saclay qu’il entretient là-bas ses danseuses au ballon rond ?) dans leur dense ballet révèlent la nature de l’enclave – centre de tri de déchets non ménagers. Et ce serait intéressant aussi d’en savoir les coulisses, comment s’établit le tri différencié, et quels problèmes posent les matériaux et déchets qu’on a à retraiter discrètement ici.

Nicollin ouvre sur une rue toute neuve, avec rond-point au bout en ébauche (comme si la ville ici procédait par duplication permanente), un chantier fini et un autre en cours, et toujours entrepôts et bureaux – mais plein de panneaux pour bureaux à louer : on a donc vu trop grand, ou bien mieux vaudrait construire une vraie ville qu’éternellement ces zones de travail et service ?

On devine, comme pour les anciennes voies romaines, l’émergence de l’ancien tissu des routes, celles qui allaient de bourgade à bourgade : au Christ de Saclay, créant des zones urbaines greffées désormais sur le réseau principal qui les frôle – vous sortez de l’autoroute, vous quittez la bretelle par l’ancienne route, vous vous approvisionnez de ce qu’il vous faut, et vous repartez sur l’autoroute, il faut moins d’une minute trente – et le sol est la lecture de l’usage urbain qui s’est rétabli sur la route désertée.

Et vous revenez au rond-point. Vous en faites systématiquement le tour. Vous décidez de marcher sur chacune des six routes jusqu’au prochain signe urbain qui la coupe (sauf une qui s’en va tout droit sans rupture).

Le relevé intégral des bâtiments, artisans, officines qui se sont accrochées en grappe aux jonctions, avec même des ruelles en impasse et quelques restes de jardin transformés en casse à vieilles ferrailles, ou service d’entretien des eaux, service d’entretien des routes, on arrive vite à la vingtaine et pourtant on a l’impression d’être dans un désert. Un coup de bulldozer ficherait tout ça en l’air, et on n’aurait qu’à le reconstruire un peu plus loin. Il y a même, derrière une des baraques, un ensemble de logements en préfabriqué avec sur les boîtes aux lettres une dizaine de noms en polonais, et plus loin un énorme chien qui hurle derrière un grillage soigneusement cadenassé.

Dans la matinée, le Relais du rond-point semble vide, mais pas du tout : c’est parce que la terrasse et la salle ne se rempliront, et d’un seul coup, et de cent vingt personnes multipliées par les deux services, que sur le coup de midi – le matin c’est devant le bar sombre que ça se passe, avec le coin journaux. Sur le parking, avec les voitures de ceux qui arrivent ici et repartent (je serai du début à la fin le seul piéton), un grand stand sous toile de vente de fruits et légumes. De l’autre côté, au terminus de la ligne de bus, le chauffeur de celui qui va partir attend à son volant, toutes portes ouvertes, le bout des vingt minutes de sa pause.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 24 avril 2012
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