1994-2012, Apprendre l’invention, essais et articles

l’ensemble de mes articles, interventions, conférences et entretiens sur les ateliers d’écriture


petit historique
La première fois que j’ai animé un atelier d’écriture, c’était en 1982, avec Gérard Noiret, à Bezons, lors d’un stage de jeunes « en insertion », et nous ne savions ni l’un ni l’autre que ça s’appelait ainsi. Puis plus sérieusement à partir de 1991, long compagnonnage avec Henriette Zoughebi, qui dirigeait le Salon du livre de jeunesse de Montreuil, puis avec la conseillère livre à la DRAC Languedoc/Roussillon, Nadine Etchéto, lancement de la Boutique d’écriture de Montpellier-La Paillade, enfin autre cycle qui commencerait avec les stages d’enseignant, à Tramelan en Suisse le premier, à Murs en Bretagne le suivant, avant 10 ans de travail commun sur ces problématiques avec Patrick Souchon. J’ai pu, dans ce parcours, travailler dans le mon de pénitentiaire (Prison, 1998), avec les sans-abris (à Nancy, avec Charles Tordjman et Jérôme Schlomoff), j’ai eu la chance de 2 ans d’atelier très riche aux Beaux-Arts Paris avant que la direction ferme le robinet, d’autres stages avec les N Sup rue d’Ulm via Françoise Zamour, un stage très dense au Conservatoire national d’art dramatique de Paris – et je crois que j’ai toujours la même envie, la même curiosité à ce qui sort, surtout à mesure qu’on prend de la bouteille et qu’on sait mieux le faire sortir...

320 pages, 28 articles, entretiens, conférences, interventions portant sur les ateliers, le pourquoi et le comment. C’est pour moi le complément nécessaire aux exercices autrefois rassemblés dans Tous les mots sont adultes, méthode pour l’atelier d’écriture.

Ci-dessous un des entretiens repris dans le livre proposé de 2008 à 2013 sur publie.net, désormais disponible dans l’espace d’archives des abonnés Patreon.

FB

archive : en 2002, avec Cathie Barreau, alors responsable de la Maison Gueffier à La Roche-sur-Yon, nous échangeons à Rennes sur les ateliers d’écriture, dans le cadre du service de ressources en ligne de l’université – réalisation Alain Penven

 

2004 | Ouvrir les zones d’intensité
Entretien avec Clara Dupont-Monod, pour le Magazine littéraire.


On dit que les ateliers d’écriture servent à apprendre à écrire des livres. Personnellement, je pense que cette remarque est une connerie. Et vous ?
Je dirais qu’on écrit plutôt pour apprendre le monde. On a tous déjà affaire au langage, même les plus petits gosses. On sait déjà aussi que l’expérience du langage, son exercice autoréflexif, solitaire, c’est l’univers de l’écrit et pas celui de la parole. C’est un a priori déjà formidable, parce que c’est cela qu’on met en mouvement, donc depuis une nécessité déjà établie pour celui avec qui nous travaillons.

Pour nous, auteurs, le livre n’est qu’un élément de ce qui nous lie à la littérature. Il y a la passion qu’on à a lire, et à vouloir transmettre ce qui compte de nos lectures. Il y a l’engagement avec les mots, qui passe par la lecture à voix haute, ou les mots qui accompagnent l’image, voire la musique. Quand on installe un atelier d’écriture, c’est la totalité de cette chaîne qu’on met en mouvement. Autre regard sur les livres, circulation des livres, autre perception des mots, et la place qu’on leur donne là où on vit ou travaille. Et au bout du compte, oui, l’énigme du monde, qu’on a remis en travail.

Le paradoxe de la littérature, c’est que les plus grands novateurs surgissent toujours de lieux imprévisibles, voire improbables. D’un écart avec la norme. Transmettre cette norme ne produit pas qu’on va reconduire la littérature. Dans la boule compacte et irrationnelle qu’est l’instant de l’écriture, par contre, interviennent simultanément tout un ensemble de paramètres. Il me semble que mon rôle c’est d’isoler et faire travailler un par un ces paramètres. Alors, quand on se retrouvera seul, peut-être que la relation sauvage et irrationnelle à l’écriture sera plus complète, plus ambitieuse, mieux capable d’écart.

 

Les gens font souvent référence aux ateliers américains, mais je crois que c’est différent, non ?
Il y a deux textes magnifiques de Raymond Carver à ce propos, dans Feux. Dans le premier texte, il raconte comment il a assisté à son premier atelier de creative writing, dans le second texte il raconte la première fois qu’il a lui-même donné un cours de creative writing. Le principe américain est fixe  : on arrive avec un germe, une brève ébauche de narration, et on réécrit et retravaille jusqu’à obtenir une short story publiable. C’est qu’aux USA la nouvelle accueillie dans un magazine, historiquement, est le moyen de vivre principal des écrivains, leur manière sociale d’être écrivain. Ce n’est pas le cas chez nous, et la nouvelle est un art considérablement exigeant. Je préfère proposer un balayage de cette chaîne, entre mental et réel, par quoi l’écriture cristallise dans des formes et des genres. Dans un groupe de quinze personnes, l’une écrira long et de façon narrative, l’autre ira vers des modes poétiques, une aura des formes dialoguées et une autre pas. Je considère que ma tâche est de les mettre chacun en relation avec les auteurs majeurs qui ont été dans cette direction formelle, apprendre à chacun à reconnaître sa singularité. Ceci dit, point commun avec le creative writing  : pour apprendre la philosophie, on l’exerce. Pour transmettre la littérature, je considère nécessaire le fait de pratiquer, d’exercer la littérature. Aux USA, on l’accepte dans les facs. En France, on a récemment retiré la littérature de la liste des disciplines artistiques. Eh bien non.

 

Faut-il avoir écrit un livre pour animer un atelier d’écriture ?
Ce qui est obligatoire, c’est la mise en relation de ce qu’on propose avec la littérature. À la fois dans l’espace de la proposition, donc pourquoi c’est ce territoire et cette forme qu’on veut explorer lors de cette séance. Savoir qu’un homme ou une femme ont pu consacrer leur vie à cette part très précise de l’exploration, et qui étaient, si on les cite, Nathalie Sarraute ou Georges Perec. Et à la fois, c’est le plus passionnant de mon côté, dans la mise en relation qu’on établit, entre le texte qu’on accueille et les recherches contemporaines de la littérature. Sinon, un atelier, c’est jobard, et malheureusement il y en a. Mais pour établir cette relation, pas besoin d’être «  écrivain  ». Dans des tas d’endroits où j’ai travaillé, les personnes avec lesquelles j’intervenais ont continué, seules, d’animer des ateliers. Et c’est un enjeu considérable  : on peut et on doit former à l’utilisation de l’écriture créative. Parce que ce sont des techniques spécifiques, une bibliothèque spécifique. C’est ce que j’ai fait toute cette année avec des enseignants de l’académie de Versailles ou des formateurs d’IUFM  : comment travailler avec la littérature, comment inventer avec l’écriture.

 

Vous avez travaillé, il me semble, avec pas mal d’élèves en difficulté. C’est idiot, mais on peut se demander : que leur apporte un atelier d’écriture ?
C’est la question sempiternelle qu’on nous pose  : à quoi ça leur sert  ? Je dis d’abord que l’atelier ça me sert à moi. Si j’ai voulu, à tel moment de ma vie, travailler avec de jeunes détenus ou des sans-abri, c’est parce que, moi, je souhaitais me rendre dans une relation du langage au monde que je ne pouvais atteindre seul, et qui m’enseignait sur mon propre rapport à la ville, ou au temps, ou au corps. Si eux perçoivent ce que je viens chercher, ils établiront d’eux-mêmes ce que de leur côté ils ont à en retirer. Les enseignants, les éducateurs savent ce qu’eux peuvent retirer, dans leur travail ­quotidien, de l’aventure qu’est un atelier d’écriture, de ce qu’on réalise ensemble à son terme. Mais si, de mon côté, je déclarais venir pour ça, je serais le dernier des prétentieux. On intervient dans une classe parce qu’une relation de confiance est déjà installée. On est un facteur de risque, de déstabilisation, et non pas un intervenant social, ou un réparateur de robinetterie humaine. J’ai travaillé aussi avec des scientifiques, ou des acteurs de théâtre, ou des étudiants en Beaux-Arts  : le langage, qui nous rassemble, est un atelier collectif, un immense chantier dans un univers, qu’il s’agisse de la ville, de nos relations à la mémoire, au temps ou à l’espace, profondément en rupture. Travailler avec ceux qui sont dans le cœur de cette rupture nous aide, nous, à dépister les zones d’intensité, les zones urgentes à investir.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 4 octobre 2012 et dernière modification le 18 septembre 2021
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