[21] d’une certaine couleur des étoffes et des lieux

de la notion de maison dans l’imaginaire du récit


 

« Car les théories et les écoles, comme les microbes et les globules, s’entre-dévorent et assurent, par leur lutte, la continuité de la vie. »

Les écoles sont en mauvais état, chez nous, et semblent de toujours définies du dehors. Il n’est pas sûr aussi qu’on ne soit pas passé à d’autres modèles pour ce qui concerne la dynamique de la biologie.

Proust n’avait pas connaissance de l’acide désoxyribonucléique. Ce qui ne changerait rien d’ailleurs. Des concrétions s’accumulent, revues, maisons d’édition, communautés autour d’un festival ou d’une démarche – nos blogs mêmes –, et c’est la mise en tension qui, par différence, leur permet à chacune d’atteindre à sa propre radicalité et la formuler. Le danger c’est le mou et l’informe : ce qui ne l’empêche pas de prendre la plus grande place, nous repousser sur les bords.

Notre désastre c’est la façon dont nos luttes mêmes restent sur les marges du continent de marchandise né avec la littérature devenue industrie culturelle. Et c’est avec Proust que nous nous-mêmes nous éduquons à cette lutte, ou les autres acides organiques qui ont suivi – Claude Simon par exemple, ou Nathalie Sarraute. Mais c’est de cette phrase même, Proust qui n’avait fait partie d’aucune école et n’en générerait aucune, qu’il enchaîne dans une de ses plus denses formulations du processus d’initiation-transmission : « D’autres fois parce que certains artistes d’une autre époque ont, dans un simple morceau, réalisé quelque chose qui ressemble à ce que le maître peu à peu s’est rendu compte que lui-même avait voulu faire. Alors il voit en cet ancien un précurseur ; il aime chez lui, sous une tout autre forme, un effort momentanément, partiellement fraternel. »

Ce qui peut s’appliquer à Baudelaire lisant Balzac, à Flaubert lisant Rabelais, à Lautréamont lisant Baudelaire. Mais s’applique finalement peu à Proust lui-même, qui dans ses Pastiches les avale tous, Saint-Simon et Balzac, Zola et Flaubert, raclés par l’affaire Lemoine. Mais peut-être pas à ce que Proust dit de la l’atmosphère bleuâtre et pourprée de Nerval – et la façon dont la musique surgit dans la Recherche comme instance presque aussi forte que la littérature, le presque étant un autre nom pour Balzac et Flaubert, lequel parle de la « phrase canaille » de Montesquieu...
Est-ce qu’il se retrouverait dans cette formulation de Proust, le vieux maître normand, jouant tout à trac de ce que Pierre Bayard nommait le plagiat par anticipation : « Il y a des morceaux de Turner dans l’œuvre de Poussin, une phrase de Flaubert dans Montesquieu. Et quelquefois aussi ce bruit de la prédilection du Maître était le résultat d’une erreur, née on ne sait où et colportée dans l’école. »

Mais prendre au sérieux ces trois mots, qui encerclent le mot phrase : morceaux, bruit, erreur. La légitimité d’avancer par cassures et fragments (même si dans Proust ressaisis dans l’immense continuité circulaire), le bruit parce que rien du réel ne nous importe que le son de la phrase, et l’erreur parce que c’est elle qui nous place de côté, nous fait surgir où nous devons être, mais ce que nous n’apprenons que malgré nous.

Là, Flaubert aura donné à Proust la bonne leçon. Construisons notre possibilité d’erreur – il a trouvé la sienne, lui, et a même été capable de la formuler. Étrange seulement que cela surgisse dans la Recherche lors de cette étonnante digression face à la marquise de Cambremer, dont on nous dit que ses bras qui battent comme des ailes et postillonnant dès qu’elle parle d’art, une des plus belles digressions pourtant de la Recherche puisqu’il est justement question d’art, de son héritage, de la fluctuation de nos perceptions, et qu’on y met Poussin et Monet en parallèle de Debussy et Wagner : « je pouvais butiner à mon gré dans le gros gâteau de miel que Mme de Cambremer était si rarement. »

Sauf qu’à travers les postillons de Mme de Cambremer, c’est une sacrée leçon pour aujourd’hui qu’on nous donne.


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1ère mise en ligne 27 novembre 2012 et dernière modification le 16 février 2013
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