50 ans de la Maison de la Radio : hommage aux micros

pour parler du futur de la radio, revenir à sa source – plus tenir dans ses mains le dernier Melodium de 1943...


5/7septembre 2013, les 50 ans de France Culture
Commandé par Anne Brunel pour un hommage web collectif qui devait prendre place sur le site de Radio France fin juin, pour les 50 ans de la Maison de la Radio, ce texte n’a toujours pas été mis en ligne de leur côté – ce qui n’est pas grave, puisque c’est fait ici et que pour moi ce n’est pas un texte contingent, mais une question profonde.

En discret remerciement à l’âge d’or de France Culture qui fête ce week-end ses propres 50 ans, et hommage au temps de la radio de création et non pas de la radio tchatche, qui s’est tant entremêlé avec l’histoire de la littérature contemporaine et ses auteurs, en particulier dans les années 70-90, et tout ce qu’on a appris de l’imaginaire radiophonique, que le web renouvelle et exhausse...

 

note initiale, 20 juin 2013
Ceci est un appel aux amis du son ou bossant à la radio :
 en novembre de cette année, c’est les 50 ans de la Maison de la Radio, et, dans les mois à venir, le site Radio-France proposera une série de textes hommage, orientés sur l’idée du futur de la radio.
 ci-dessous l’angle d’approche que j’ai choisi. C’est une ébauche, précédée fin mai d’une visite à la microthèque de Radio France (à ma demande).
 éventuellement, autres liens ?
 on se reportera au site Radio-France, le moment venu, pour la version définitive de cet hommage et sa présentation interactive, mais en compensation de la mise en ligne ici, je répercuterai ici les autres hommages mis en ligne.
 un spécial merci à Anne Brunel pour m’avoir associé à cette initiative.

FB

et PS special thanks à ceux qui m’ont permis ces apprentissages, même si les temps de cette porosité radio et écrivains semblent révolus : Alain Veinstein et les Nuits magnétiques en 1986 pour la 1ère confiance, Bruno Sourcis, Myron Merson, Jacques Taroni, puis merci Laure Adler pour le culot des feuilletons rock, avec Claude Guerre, Bruno Mourlan et Jean-François Néollier, Blandine Masson pour Quoi faire de son chien mort et bien sûr tous autres visages amis des grandes coursives, including Maryse Hazé, Vincent Josse ou tiens, Bertrand Amiel...

 

source et futur de la radio, le micro


Je ne sais pas le futur de la radio : je sais par contre sa source, et qu’elle est dans la voix, et dans le bruit du monde, un micro qu’on laisse en l’air dans le fond remuant de la ville, ou bien celui qu’on dirige vers la table vibrante d’un violoncelle.

Je sais par contre qu’on n’en aura jamais fini avec la radio, parce qu’on n’en aura pas fini avec qui on écoute de tout près, la voix dans son grain, la voix de l’autre quand on ferme les yeux, la voix qui dit les histoires ou la voix qui lit un vieux texte ou le plus vieux de tous les textes, qui est le monde lui-même.

Je sais aussi que changent les outils qui nous apportent ces voix, et la façon qu’elles ont de nous rejoindre : je revois des petits postes transistor scotchés à une conduite d’air au-dessus d’un tour dans l’usine, et retrouve l’odeur de skaï de celui qu’en 1965 je piquais le soir à mon père pour écouter en douce, sous l’oreiller, directement contre l’oreille, ces musiques qui nous venaient de loin.

Je sais que la radio est une fabrique, et j’entends encore la bande qu’on rembobine à la main, et le grognement qu’elle a au ralenti, quand on cherche le point exact à couper pour placer le petit raccord jaune. Mais l’écouter était aussi une fabrique : ce n’est pas, bien entendu, parler du futur de la radio que revoir mon grand-père m’expliquer ce poste à galène fait de ses mains, l’enroulement fin de cuivre sur le cylindre de bakélite récupéré de je ne sais quelle utilisation sans rapport. Et je mets très haut ce texte de Robert Walser, la première fois qu’à Berlin il écoute en direct un quatuor de Beethoven joué à Vienne (1921), et gambergeant à comment cette invention peut chambouler le monde.

La Maison de la Radio, comme pour quiconque s’y est perdu trente fois, m’est toujours apparue comme une grotte avec des zones profondes, et interdites : la discothèque, et que n’importe quelle requête qu’on lance vous déplace vers des mondes enfouis. Les armoires en fer, avec cadenas ou pas, des réalisateurs qui y ont leur vie, et ces boîtes de bandes magnétiques jamais exploitées où ils savent retrouver cette étrangeté-là, précisément, qui vous durera quinze secondes dans l’émission (le nom de Yann Parenthoën). Ou celui qui a fonction de bruiteur et dont le père déjà était bruiteur, et qui pour vous faire rire émet en stéréo le bruit d’une mouche qui vole et puis clac. Mais il vous fera aussi bien une explosion d’une plaque d’aluminium, et manie les fausses portes ou les vraies machines à écrire comme si c’était déjà du H.G. Wells dans votre tête.

Et rien de tout cela ne dit le futur de la radio. Je n’ai pas d’idée du futur de la radio, aucune. Je n’ai plus d’appareil pour écouter la radio. Mais chacun de mes appareils mobiles, le petit ordinateur à écrire, la tablette à lire, l’ordinateur à main qui sert aussi éventuellement de téléphone, sont capables de transmettre de la voix, et j’appelle radio, simplement – comme la littérature c’est le langage mis en réflexion – la voix quand elle est construite, faite récit et livrée à la nuit, où la cueille qui écoute.

Quelle permanence, quelle forme, quelle idée on peut avoir, nous, de ce qui va s’inventer ? Je repense au formidable texte d’Albert Robida, La fin des livres, 1895, où il raconte comment la popularisation, puis la miniaturisation et la distribution des enregistrements sonores va annuler le besoin même des livres – il s’était trompé, mais en se trompant il a inventé probablement le plus bel idéal pas encore rejoint pour la radio.

Et si on remontait à la source ? J’ai demandé l’autorisation d’aller voir un des seuls rares endroits que je ne connaissais pas, à la Maison de la Radio, parce qu’on n’en franchit pas le guichet. Mais chaque fois que j’ai été associé à la fabrique d’un de ces objets imaginaires qui s’appelle émission de radio, le technicien revenait du petit guichet avec un panier grillagé, et dans le panier : des micros. Et qu’on essayait ces micros comme des vêtements neufs. Que votre voix peut paraître toute nue, ou lointaine, chaude ou impersonnelle. Et vous êtes là debout, dans le grand studio dont on a baissé les lumières, l’équipe là-haut derrière la vitre, avec pour seul lien le micro d’ordres, et devant vous le grillage aux formes étrangement conçues du micro usagé ou brillant.

Alors quand Baptiste Hurier, Cyril Fila et Hary Odé m’accueillent c’est presque d’abord une déception. Un lieu si banal, avec petit local de réparation et fer à souder adjacent. Des armoires métalliques avec des tiroirs, et des empilements de boîtes qui pourraient être celles qu’on avait autrefois pour l’argenterie ou la vaisselle des dimanches. Vous vous attendez à quelques micros, il y en a en tout six cents. Mais deux heures plus tard ça danse dans la tête : le micro-sphère, un Schoeps de la taille d’un ballon de handball avec deux capsules qui enregistrent aussi bien l’extérieur spatialisé que la résonance au-dedans, ou le micro-plaque, un Schoeps aussi, qu’on met sur le sol dans les dramatiques, pour les bruits de pas. Ou ce Canon directionnel : il vous prend dix centimètres à cinquante mètres de là, et, dans les dramatiques, donne à la voix de l’acteur un effet comme prononcée de l’autre côté d’un fleuve.

Bien sûr il y a les grandes réserves : quand il faut équiper l’orchestre symphonique, ou la scène d’un festival de jazz, pour lequel on utilise le kit batterie tout préparé, mais pas du tout le même micro si c’est un tambour en extérieur. Pour certains instruments les micros gros comme le petit doigt ont une forme de bouteille, et seront placés à quelques millimètres, mais pour un piano de concert on a une valise avec deux Neumann M 149 Jubilee, prix approximatif 7200 euros, et ces micros se manipulent uniquement avec des gants de tissu blanc, comme le micro à ruban Royer Labs qu’on ne manipulera, lui, qu’à travers sa housse (la belle histoire du californien David Royer, bricolant adolescent de vieux micros à ruban pour enregistrer la musique folk de ses parents mettra au point celui qui fait sa fortune).

Justement ils ont presque tous des noms, ici, les micros, à mesure qu’on ouvre les tiroirs : j’entends parler du micro de Guy Lux et du micro de Sacha Distel, et dans un tiroir du haut je découvre une vingtaine de ces magnifiques Sennheiser MD-441 à section rectangulaire gainée de cuir qui faisaient la beauté des voix à la télé début des années 70, et l’ovoïde Shure SM 59 disparu pour le Sacha Distel. Les Shure 58, solides et tout terrains, créent d’étranges images abstraites dans les tiroirs qui les rassemblent. Mais le mot Neumann est pour moi d’un autre prestige (John Lennon avait en permanence le sien propre) : en voilà encore un tiroir rempli, mais quelle beauté alors le métal quand le cuivre transparaît sous l’usure du vernis noir. Et dans le coin à droite, soigneusement à l’écart, un Neumann TLM-170 parce que c’est l’outil des rappeurs, comme ces deux Violet série Amethyst, qui ressemblent chacun à un petit bonhomme rigolo les bras sur les hanches, seront pour les cantatrices.

Il a fallu que ce soit moi qui réclame. Ici, quand un matériel ne sert plus, on le confie au service adéquat, et le personnel peut éventuellement le racheter. Alors on ne sait pas trop pourquoi ces trois micros-là on les a gardés, alors qu’ils ne servent pas, ne servent plus jamais. Ce Georg Neumann SM-69, sur sa plaque : Berlin, 1931. Ce RE-20 de chez Electro Voice Inn, à Burnsville dans le Minnesota, pas de date. Mais plus ancien aussi que ce Melodium Microphone 42-B, n° 4214, avec un petit switch pour trois positions : speaker, voix, musique, dont il est spécifié qu’il est entré à la Radiodiffusion Française le 30 juillet 1943. Ce Melodium dit à ruban large, il est haut comme une tête d’enfant, il pèse autant que ces vieux transformateurs d’avant l’électronique : mais savent-ils que c’était le microphone d’Edith Piaf ? Et, en 1943, quels discours politiques il a retransmis, à la radio officielle, toute sa première année, et de quels visages il porte l’ombre ? Et en août 1944, qui est venu y proclamer une autre lumière ? Et pourquoi a-t-on gardé celui-ci et pas les autres du même type qui équipaient l’antenne ?

Je ne sais pas le futur de la radio. Je sais seulement que ce qui se passe entre la vibration d’un corps et sa voix, et la capsule ou la membrane ou le ruban qui sont là à quelques centimètres, l’histoire en est plus stable mais tient à cette horlogerie de métal, et que les trois visages qui m’accueillent ici sachent toujours – en fonction de la demande qui leur est faite – choisir pour leur visiteur, avec son panier grillagé, parmi six cents de leurs tiroirs, l’unique micro qui restituera ce miracle : ce conte dans la nuit, pour l’autre à distance. Je ne sais pas le futur de la radio, mais je sais qu’il commencera toujours là, dans la réserve aux micros.

 


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1ère mise en ligne 20 juin 2013 et dernière modification le 23 janvier 2019
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