Novarina | Autobiographie aux noms propres, et autres exercices

les accumulations de Novarina contaminent l’intérieur même des éléments qu’elles appellent


L’oeuvre de Valère Novarina est une oeuvre centrale et majeure de notre littérature, avec des ancrages loin dans son histoire – et non pas un contemporain parmi les autres. Et cela n’est pas lié à sa régulière actualité théâtrale, ni au fait que la reconnaissance internationale, occultant en partie la subversion que représentait chaque livre à sa naissance, maintenant qu’ils apparaissent plutôt comme une extension d’un univers qu’on a appris à connaître.

Sans se leurrer non plus : l’attaque qui se fait ici aux genres rend Novarina inclassable, on trouve ses livres dans le rayon théâtre alors qu’ils déplacent la langue bien au-delà de la scène. Et les contenus qui font son charroi, villes, banlieues, le corps exposé, la bouche creusée tiennent les timides à distance – rien de plus salutaire contre l’esprit moyen d’une époque, ses prix littéraires normalisés et ses petits jeux pâles de phrase. Ici, on passe à autre échelle.

Vous qui habitez le temps est un livre singulier, parce que, rejeté d’abord par le monde culturel, c’est sa reprise théâtrale par les étudiants de Paris VII qui ont lancé son extraordinaire destin. Pas au point cependant de le mettre au programme des collèges, ce serait pourtant la plus belle passerelle de bonheur à ouvrir.

Je continue de pratiquer, quel que soit le public, les trois exercices présentés ci-dessous, on peut jouer avec, les distordre, les amplifier ou les singulariser, les faire interférer avec Google Earth ou Google Street View.

Et tant qu’il y aura dans les périphéries de nos villes des espaces culturels Rimbaud et des noms de rues avec Sansonnets, Hirondelles ou Péguy, Claudel etc, l’attaque à l’acide des noms propres est justifiée.

Et quel monde offert pour que la littérature soit définitivement orale, affaire de voix et de souffle, quiconque a entendu lire Valère le sait pour toujours.

L’exemple parfait aussi de textes purement contemporains, charriant lourd, et susceptibles d’établir les courts-circuits les plus fins quel que soit le public concerné, à commencer par le collège...

FB

 1, présentation
 2, relevé, vu et lu
 3, autobiographie aux noms propres
 4, instant fixe, vue démultipliée
 5, petite surprise pour finir

 vidéo : « L’Espace furieux », ou quand Novarina parle à ses pieds...

Un magnifique exemple de Valère en lecture. On comprend tout. Ça passe par Rabelais, ça joue des registres vocaux, ça convoque des strates ultra-simples ou magnifiquement savantes de la langue. Voir la page YouTube de Jean-Paul Hirsch (un des historiques de la maison POL) pour d’autres lectures et entretiens de Valère Novarina.

 image ci-dessus : Louvain-la-Neuve, pendant que les étudiants écrivent

 

Écrire avec Valère Novarina, trois exercices

 

1 _ brève présentation

Un des œuvres les plus chantées, les plus narratives, les plus fortement poétiques et subversives de notre temps est encore souvent considérée avec effroi, comme une sorte de monstre répétitif et vaguement délirant, un bloc massif et lourd qui vous repousse. L’époque préfère le pâle. Valère Novarina s’impose pour chaque livre un mode d’écriture différent, comme La Chair de l’homme a été imprimée page après page jusqu’à couvrir les quatre murs de sa pièce atelier, autour de « rosaces » qui servaient à en cristallier l’organisation, ou bien les 1742 personnages du Drame de la vie décomptant exactement les personnages de la Bible.

Novarina écrit, selon un processus où souvent le premier jet est réalisé au crayon, dans la solitude d’une cabane de berger dans les Alpes, où il a son origine familiale. Un père architecte, qui s’est illustré dans la reconstruction d’après guerre par des églises, et les premiers essais d’architecture autoroutière, une mère actrice de théâtre. Un chemin qui pour lui se dessine très tôt, écrivant à Samuel Beckett ou Jean Dubuffet dès son adolescence. Un long chemin laboratoire, et puis l’éclatement grâce à quelques acteurs fidèles, petit à petit une reconnaissance internationale qui force le respect.

Dans son processus d’écriture, le livre est un aboutissement. Dans les présentations officielles, on décline que Novarina est aussi peintre, metteur en scène, peu importe. Son travail, de livre en livre, serait comme une curiosité à l’énigme ou au défi que représente le livre terminé. Cette exploration de l’énigme ou de l’écart passe par la reprise du texte sur le plateau de théâtre. Constitution d’un nouveau texte extrait du premier, et mise en scène, décor (parfois peint sur scène pendant la représentation), tournées, et puis Valère Novarina revient à son atelier. Il est temps de proclamer qu’il s’agit d’une œuvre d’un seul tenant, cohérente et principale, qui tient de la littérature, et pas seulement du théâtre dans lequel on le range trop vite.

Qu’il ne s’agit pas d’improvisation, de délire verbal, mais ceux qui ont entendu Novarina lire lui-même ses textes savent : sous chaque cadence, sous chaque déformation, résonne soudain un souffle venu de loin (Bossuet, La Fontaine, Rabelais), résonnent nos apprentissages d’enfance (les leçons d’école primaire, les comptines et chansons), et travaille partout à la surface même du texte l’emprise du monde contemporain, ses cinétiques, ses villes, ses routes.

Et c’est pour ce fonctionnement-là, chez lui principal, que nous le convoquons en atelier. Non pas pour provoquer à l’expansion folle de la langue, ou ce qui pourrait y ressembler, mais pour restaurer la langue dans cette surface même du monde, et, quitte à ce qu’elle s’y déforme, qu’elle nous le rende présent en résistant par toutes ses harmoniques, toute sa mémoire. Le croirez-vous ? On y arrive.

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2 _ Vous qui habitez le temps, 1 : relevé, vu et lu


Traduit en 14 langues, ce livre publié en 1989 pourrait être utilisé comme un classique. Chaque séquence est un monologue ou un dialogue sur un thème précis, laissant donc paraître à vif un thème unique, où le principe de l’accumulation devient le seul lien formel à l’unité. Et ces thèmes se saisissent, dans une joie toute rabelaisienne, de l’immédiateté de la ville ou des corps, de l’enseignement, des métiers, de la médecine, de l’argent qu’on gagne au Loto etc.

L’atteinte au langage à quoi procède Valère Novarina en ouverture de Vous qui habitez le temps, portée sur la grammaire elle-même, dispose d’un unique effet libératoire. Une fois perdue la norme par rapport à la langue, celle-ci va pouvoir se fixer bien plus librement sur ce qu’elle nomme. C’est parce qu’on porte atteinte au sens, que celui-ci se refait depuis l’écho ou les harmoniques de la langue, sa fondation ou son appel en nous, ses dépôts. On sera capable d’écrire en renvoyant au monde, justement parce que l’appui qu’on fera de son écriture ne sera pas sur le réel dont on se saisit, mais sur cette fondation en soi de la langue. Si Valère Novarina parle du rituel des actualités télévisées, on découvre qu’à quinze ans de la publication du livre, on n’est certes pas dans l’éphémère : c’est cela aussi, le tour de force littéraire. Et c’est déjà une piste d’exercice, à condition de faire passer ce principe d’appui dit plus haut.

Midi tapant toujours douze fois pour toutes à l’heure pile, à la treizième pétante la télévision d’action nous vélorépétait son sermon : « Dijon : les forces du Sud-Lumière sont apaisées. Mâcon : l’état d’urgence a été mis en grève chez les jaunes. Saigon ; un turicépédaire du N.R.P.C.A., surabonicier à Vourguelon, mal dans sa base de Bourbelong, s’est délégué à lui-même afin de faire un hold-up à sac. Mourmelonde-Sud par Solomondre : nulle une victime de plus, dont huit Européens victimes de nos estimations ; consoeur Banette-Osbert de Poussière Trois… » La télévision d’action nous vélocidorédopétait tellement son sermon, qu’à chaque fois que j’y prenais des nouvelles du temps, j’avais grand peur de partir avec.
Valère Novarina, Vous qui habitez le temps, POL, 1989.

C’est toujours un drôle de moment quand on lit à voix haute un fragment de Novarina à une classe ou un groupe qui ne l’a jamais entendu. Un silence d’abord, une mise en défense. Et puis on rit, après on comprend. Je lis en particulier toujours des extraits où c’est de la langue elle-même qu’il est question :

L’antépositif s’accorde en nombre au genre de la préposition que son verbe complémente ; au mode équilatif tant qu’au dépréciatif, le régime du sujet reste blanc. Les six modes sont six : L’optionnel, le dictatif, le subodoratif, l’injonctif, l’inactif, le dodécationnel. Séparatif est le mode de séparation ; l’optionnel est le mode de l’option. Seize temps sont quand il en est encore temps : le présent lointain, le futur avancé, l’inactif présent, le désactif passé, le plus que présent, son projectif passé, le passé postérieur, le pire que passé, le jamais possible, le futur achevé, le passé terminé, le possible antérieur, le futur postérieur, le plus que perdu, l’achevatif, l’attentatif.
Valère Novarina, Vous qui habitez le temps, POL, 1989.

Exercice. Le narrateur est immobile. Il note, dans un temps délimité, l’ensemble de ce qui parvient, de façon discontinue, aux cinq sens. Ne pas s’interroger sur ce qu’on écrit mais, à chaque déclenchement du métronome intérieur, noter la perception dominante, comme de s’ouvrir soudainement, yeux et oreilles, par le déclenchement d’un diaphragme. Ce qu’on voit, ce qu’on entend. Si c’est un fragment de visage, ou quelque chose par terre, ou un mot écrit, ou un mot entendu, sans chercher ni relation ni cause. C’est un exercice qu’on peut proposer aux participants de faire par deux, un qui dicte et l’autre qui écrit, en alternance, celui qui dicte pouvant même fermer les yeux pour se concentrer sur les seules perceptions auditives.

C’est un travail en extérieur, dans un lieu du quotidien, mais du quotidien qui se refuse au langage, ou que la tradition du langage n’a pas atteint. On peut aller avec une classe dans une galerie de centre commercial, autour d’un rond-point ou sur une place. Il faut que les signes, au bout du compte, nous aident à nous déchiffrer nous-mêmes. C’est la beauté ambiguë de la belle didascalie qui ouvre ci-dessous le texte de Novarina :

Un homme monte en haut d’une ville pour se voir.

LE VEILLEUR
Relevé vu et lu : ville de Paris, 8 heures 19 : une quatre Renault citron-bleu-vert, allant de droite à gauche et de gauche à droite. 8 heures 26 : une femme parfois poussant caddy. 8 heures 32 : un homme s’apportant trois poulets à lui-même. 8 heures 47 : une camionnette tuba, avec une vitre en transparence. 8 heures 53 : un cycliste pas pressé d’apparaître. 9 heures une : une camionnette signée Jean d’Aplomb. 9 heures 2 : une camionnette signée Dunlop ; suivie d’une camionnette à chenille de Pindreau. Même modèle à 9 heures 03, signé Tupin-Transport. 9 heures 7 : vélo en roue libre. 9 heures 9 : trois jeunes garagistes à pied. 9 heures 11 : six Peugeot à huit hommes. 10 heures pile : un homme massif, suivi de la Femme au pantalon mort. 10 heures une : un usager assez maigre tenant ses cinq doigts dans une main…
Valère Novarina, Vous qui habitez le temps, éditions POL, 1989.

Quelques-uns de mes meilleurs souvenirs d’atelier viennent de cette séance à partir de Vous qui habitez le temps. Par exemple ces quarante minutes d’une seule traversée du centre commercial Bobigny 2, par une collégienne de quatrième :

9h56 un chien nous suit des yeux 9h57 une chanson des Cranberrys 9h58 un jeu vidéo super cool 9h59 une femme avec une cigarette à la bouche 10h00 des cassettes vidéo partout autour de moi10h02 une femme qui lave les carreaux 10h03 des hommes qui discutent 10h04 j’entends de la musique 10h05 un bébé qui suce son pouce 10hO5 un homme qui s’impatiente 10h05 un enfant qui pleure sans bruit, rien, néant 10h06 quelqu’un qui coupe ses cheveux 10h07 quelqu’un qui téléphone 10h08 quelqu’un qui se gratte le nez 10h09 l’animateur qui essaye de retrouver son script 10h10 Nicolas qui parle et que je ne peux pas entendre parce que j’écoute de la musique 10h11 une femme qui s’intéresse aux jeux de Game Boy 10h12 Tony avec un regard perplexe 10h13 R. et C. au loin 10h14 une femme avec un très gros chignon 10h13 un homme qui s’adosse à l’un des plateaux au centre, un enfant qui s’amuse sur le manège, mais il n’est pas en marche 10h16 une odeur de pesticide à côté du jardin de Vivaldi 10h16 un gamin avec une boîte de pièces jaunes, un homme qui ne sait pas où il va, mais pourquoi : peut-être il est perdu dans cette énorme jungle 10h18 un homme de la Ratp qui va au boulot 10h18 la prof qui écrit, peut-être la même chose que moi, mais d’un air plus intellectuel 10h18 des personnes qui montent les escalators, vu d’en haut on dirait des géants, un homme qui a un sale regard, une femme avec une jupe assez courte, un homme qui conduit des caddies jusqu’à Atac, on dirait que l’homme est un berger et les caddies sont des moutons 10h19 petite fleur insignifiante 10h20 la prof donne de l’argent pour le garçon à la boîte, et un homme en donne aussi 10h22 un homme de mon bâtiment qui parle à un de ses amis en arabe, des choses que je ne comprends pas bien 10h23 toujours des gens qui montent et qui descendent les escalators 10h24 un moment de silence puis le tilt d’un téléphone qui n’accepte pas une carte téléphonique 10h25 B. qui essaye de téléphoner sans carte, sans carte c’est sans argent 10h26 un homme qui fume […] 10h45 un homme avec un caddie 10h46 une femme habillée de couleur vive 10h47 des jeunes autour de moi 10h48 un magasin qui s’éveille 10h49 une dame qui se gratte le nez 10h50 une femme qui nous regarde avec des yeux écarquillés 10h51 une ligne de personnes qui attend au Crédit Lyonnais 10h52 des gens à la caisse de l’Atac 10h53 une femme qui regarde un panneau 10h54 des femmes qui essayent des parfums 10h55 quelqu’un lave par terre...
Arpenteurs de la ville, avec une classe de quatrième du collège Jean-Pierre Timbaud de Bobigny, Centre de Promotion du Livre de Jeunesse de Seine Saint-Denis, 1995.

Il m’est arrivé en pratiquant cet exercice dans la ville que des participants entrent dans le hall de la mairie et recopient les bans de mariage avec noms, prénoms et professions, que d’autres écoutent une séance de tribunal d’instance et reviennent avec comme la bande-son d’un jugement d’expulsion, hallucinant témoignage par son incomplétude même, ou bien que d’autres notent les liste de tous les menus proposés dans un rayon de cinquante mètres alentour. Ce qui évidemment démultiplie l’attention à la lecture, en fin de séance, c’est que l’atelier lui-même trouve son inscription spéculaire, chacun ayant vu les autres, ou bien qu’un même événement, ou personnage qui passe, va traverser plusieurs textes. Parmi d’autres souvenirs forts liés à cet exercice pratiqué à l’extérieur (à La Rochelle, une enseignante est assise sur un banc dans la ZUP, un ancien élève s’assied à côté d’elle et lui demande : — Vous êtes au chômage, maintenant, vous aussi, madame ?), une participante à un stage d’enseignants, quand je lui demande de lire son texte, répond qu’elle n’a rien entendu ni vu d’intéressant, que ce qu’elle a écrit n’a aucun intérêt. J’insiste, elle dit : —De toute façon, comme je ne trouvais rien, tout ce que j’ai fait c’est de noter ce qu’ils avaient comme sac, donc vous voyez. Comme, précisément, je ne voyais pas, j’ai insisté encore et elle a lu. Ça commençait ainsi : FNAC. Just Married. Du pareil au même. Darty le dimanche aussi. Sac sans rien. Pas de sac. ATAC. Encore FNAC. Et ainsi cinquante fois de suite, quarante minutes des mots qu’on tient à la main. Les lettres, dont son métier d’enseignante est de transmettre l’organisation, la composition, voilà qu’elles se promenaient dans la rue pour contribuer au martèlement mercantile, sans phrase ni sens. Le réel avait disparu, restait ce défilé de lettres opaques, sans même la ville ni les gens : vision fantastique. On a évoqué des exercices de théâtre à faire pratiquer à un groupe d’élèves juste à partir de ces quinze lignes : chacun partant d’un côté de la scène, et, au milieu, se retournant vers le public pour dire chaque fois un seul mot parmi ceux du texte. Ou bien, seul en scène, avec un paquet de ces pochons plastique, les sortir un par un en prononçant chaque fois un des noms : ce qui s’était imposé du réel à celle qui l’enregistrait, lui faisait violence au point qu’elle n’avait pas eu conscience de ce qu’elle nous offrait.

Variante importante : le même exercice peut s’appliquer directement au collège ou au lycée, qui deviendront comme un envers du monde. On autorise, avec la complicité de l’administration, l’entrée dans des lieux sinon interdits, bureau du proviseur et salle des profs inclus, comme les toilettes, la cuisine, et les vues sur l’extérieur, voire les nuages, incluant aussi l’écoute aux portes, et la traversée des couloirs (ou de la cour à l’interclasse) en notant toutes bribes de parole entendue.

Dehors il y a des bancs vides. On entend les voix des personnes. Il y a des personnes qui font de l’EPS. Il y a des vélos et des brelles dans le parking à vélos. On a rencontré une fille qui s’appelle Davina. Les élèves font de l’anglais. Il y a une dame qui passe en toute vitesse. On a vu des élèves travailler en perme, les toilettes sont vertes. La pionne fume sa cigarette et l’autre travaille et une autre boit son café. Sur le mur il y a des chevalle. Au CDI les élèves lisent des livres, il y a des affiches sur les murs. Dans le hall il y a des casiers, il y a des élèves qui vont en réunion, tous les élèves sont excités de sortir en récréation. La pionne est à la sortie pour les cartes. Nicolas se bagarre pour jouer. Graziella se réchauffe car elle a froid.
Centre Dramatique Régional de Tours, avec une classe SEGPA du collège André-Bauchant de Château-Renault, 1996

 

Extincteur 62. Un gars une fille dans les couloirs. Un surveillant qui pense que le lycée est à détruire. Une porte qui claque. Un avion qui passe. Femme de ménage serviette en main, se promène dans la cour. Passage de Colombo dans la cour. Un petit fait le malin. Alarme incendie appuyer ici. La cigarette est interdite. Dans l’intérêt de tous. Plan d’évacuation. Un corbeau. Un homme à chevelure blanche se promène dans la cour, il parle. La porte claque, la chaleur nous envahit. Une vitre, des gens qui travaillent. Une odeur dans les couloirs, peut-être de la peinture. Trois portes, du bruit. Un prof tape sur la table. La sonnerie retentit. Vu par les fenêtres : route, voiture, maison. Des jeunes hommes perchés nous regardent travailler en rigolant. Au bout du couloir BEP il y a une masse de gens côté général. L’alarme s’est déclenchée, la surveillante ouvre toutes les portes. BDT : des gars en galère. Ancienne camarade revenue au lycée. Surveillant en train de se marrer. Des meufs en train de se taper une garo. Certains se prennent pour des gladiateurs. Un surveillant révèle sa vraie personnalité : il se met à chanter. Des gens envahissent le lycée.k Bruit très chelou apparu de nulle part. Un clandé dans le lycée. Du bruit de gens qui parlent. Encore des bruits, mais surtout des cris. Un journal : j’entends les feuilles d’un journal. Des clés.
Paris, théâtre de la Colline, avec une classe de seconde générale du lycée Alfred-Nobel de Clichy-sous-Bois, 1999.

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3 _ Vous qui habitez le temps, 2 : l’autobiographie aux noms propres


Dans chaque livre de Valère Novarina, sont convoquées de façon récurrente des principes de discours, dont chacun devient ainsi repérable, et peut provoquer à exercice. Ainsi le journal (dans le Discours aux animaux, cette traversée d’un cimetière en notant les épitaphes des tombes, sur ce même principe de relation de la phrase à l’imaginaire), ainsi la fausse biographie, la biographie qu’on décline et qui devient à elle seule le reflet du monde. Retour à Vous qui habitez le temps.

Le principe d’associer une phrase personnelle à chaque item de l’accumulation multipliant les champs de son application. Presque tous les registres qu’utilise Valère Novarina dans Vous qui habitez le temps peuvent fournir de tels thèmes d’exercices.

Ainsi le faux journal de l’argent gagné ou dépensé de « La Femme aux chiffres » :
Trois juin : gagné trois briques en huit secondes deux... Juin huit : seize briques de mieux sous porte-monaille. Juin dix : joie cinq fois en six seconde. Dix-sept du même : mêmes jours cassés., quand on propose la même accumulation de tout argent gagné personnellement depuis la toute petite enfance à une classe de collège ou de lycée pro, et même, si vous avez du culot et savez désamorcé (justement, par l’invention dans l’intérieur des mots, les masques, le rire et le grossissement), dans un atelier d’écriture en prison...

Un extrait du texte source, l’association de villes et de métiers dans l’autobiographie déclinée par « L’Homme aux as » (169 items) :

J’ai beaucoup vécu, j’ai pas été déçu : vendangeur à Vilivret, ausculteur à Trois-Chantier, marchand d’idées à Mérignac, fermeur d’usine à Jean-Souffre, circulatorateur aux Offrants, juge de touche en Losogne, tombeur en Val-d’Oise, îlotier aux Houffes, cloueur de stop à Lumigny, hésitateur à la patte d’oie, moutonnier aux bois de Chelles, rappeleur de morts dans les Yvelines...
Valère Novarina, Vous qui habitez le temps, POL, 1989.

Avec plein de variantes possibles, même si l’extrait ci-dessus inclut un enjeu considérable, l’appropriation des toponymes et noms propres de personne comme élément non pas référentiel mais de pleine matière pour la langue. Testez donc l’autobiographie par l’histoire du corps et ses avatars médicaux, encore un autre lieu symbolique ou pivot de notre société, via Le Chercheur de Falbala proposé par Novarina :

J’ai été opéré d’extrême lumière par l’professeur Lemaire : dix-huit heures d’opération à ciel ouvert. Douze points de rature dont voyez les sutures. Puis repris en seconde intervention par docteur Paul Cas, l’adjoint pète-sec du professeur Mécorde. Puis écrasé r-ànouveau r-à moto par un kiné malhabile nommé François Jean Nobilimi. Rechute. On m’en sortit avec une attelle avec une broche dedans pour faire la paire prise dans la cuisse, reprise dedans par une rotale élastomère. À la vue des cent quatorze médecins, je ne me sentis pas bien : ouvrant un œil et le fermant, coupai parole pour dire la suite. Valère Novarina, Vous qui habitez le temps, POL, 1989.

Dans tous les cas, la manipulation sur la langue elle-même va aider à tenir à distance ce qui resterait sinon un simple inventaire autobiographique. L’accumulation alors n’est plus le but ou la finalité du texte, mais comme l’inertie qui permet, par poids et mouvement, de conquérir chaque fois le fragment imprévu, inédit. Il ne peut être question de pasticher Novarina. Mais toucher à la norme convenue du sens, de la grammaire et du vocabulaire permet de faire passer avant tout le reste cette autonomie de la langue et son chant, même lorsqu’il s’agit des choses les plus ordinaires (j’ai proposé en école primaire l’extrait ci-dessus en demandant de revisiter, dans cet excès, les bobos et maladies d’enfance, résultat garanti). Cette liberté acquise vis-à-vis des signes en introduisant à la lecture de Valère Novarina m’a toujours stupéfié. Les textes qu’on obtient participent eux aussi d’une poétique neuve et, peut-être parce que mentalement écrits pour être dits (on dispose d’un film documentaire sur Novarina écrivant : dans son atelier parfaitement vide en ces périodes, un vieux téléphone sur une tablette, surmonté du prénom écrit en gros de ses acteurs-personnages : c’est pour eux « dans » leur bouche qu’il écrit, voir plus bas section écriture de théâtre), textes qui appellent la voix haute, la profération et le corps.

Je donne comme contrainte qu’on parte d’une liste effective de tous les toponymes et noms propres de lieux qui ont été les nôtres : qu’à chacun, on laisse la phrase se distordre pour capter plutôt un sentiment lointain, un sentiment même flou. Et qu’on accepte que ce flou contamine en retour le toponyme qui en est le repère, et commence la phrase. Longtemps je me suis refusé cet exercice, le considérant comme trop proche du « récit de vie », de l’enquête sur le trajet géographique de chacun. Mais la normalisation de nos villes évacue ce danger. Au contraire, la double déformation, du nom de lieu, de la phrase induite, est une protection majeure. Non pas protection seulement de soi-même contre un éventuel dévoilement, mais protection de soi-même pour réinsérer la force et l’appel de la langue dans son histoire personnelle.

Aïe les roses, mamie l’était rose. L’été rose. L’hiver vert. Moi dans un chou-rose, par le nez. Puis un, puîné, puis deux. Moi chou-rose, lui chou-fleur. Petit peur. Petits, puis petits, puis on part. Puis deux. Puis trois. Puis toi. Pas un. Un matin. Pas un. Pas deux. Pas de deux. Puis trois. Pas de trois. Patatras. On rit. On rit. Rionrionrionrion rigola à Rennes. A Rennes. Pas harem. Que des gars. Quel dégât. Dégât pas. Pas à pas. Dégayapa. Papadapa. Puis quatre ! Taratata. Quatre après trois. Quatre feuilles. Quatre trèfles en fleur. Quatre trèfles en feuilles de fleur. Bamamille. Fânifeur. Chaleur.
Et alors, il y a dehors. Dehors où les mille, dehors où y a grand, dehors de la mer, du bleu, dehors de dedans y a dehors. Les Gantelles. Les Gantelles des petits. Mille mille de mille petits des Gantelles. Jaune maïs. Brut de cœur. Brute de cour. Zut, je cours. Je cours, cours, cours, cours, cour, cr, cre, crek, crek, grek, grec, greg, greg, allons voir. Tiens, Grégoire. Saint-Grégoire. Ça c’est saint. Ça c’est sain. Greg. Greg. Voir. Toujours mille et mille. Mille mille gens. Timidant. Mais ça file. File, descends ! C’est paix, CP, C-E, ce, se hein ? CE1. CE2. CE3. CE4. CE12.CE1000. Ce. Ça y est. C’est. Tu sais. Tu sais jusqu’à cent. Jusqu’à ça. Grande comme ça. Tu sens ? CM. CM. Ça aime. Ça aime ça et ci, et si, et ça aussi. Et ça aime, et ça si. Et ça s’expressionne. Ça s’expressionne corporelle. Noël.
Stage à Foljuif avec un groupe de Normale Sup rue d’Ulm, 2005 (extrait)

Née dans une impasse, passionnée.Passage, cassage et chemins de traverse empruntés. Me suis battue sur les sentiers, oui, ruée dans le rues, déroutée. Ai cheminé, bourlingué de bourg en bourg, berlingot baldingué.
Gamine, pas loin de la croix. Christ à la croisée des chemins, rue Saint Jean. La croix et la bannière. La tanière, hier, hier...
Saint Jean 37. Oui, saine et sainte enfance. Après, ma mère enceinte, en sainte, enseignante, à quelle enseigne ! Rue Saint Jean, Jean qui ?
Jean quoi ? J’en n’ai rien à faire, je n’ai rien qu’un frère, Jean-Guillaume. Mais c’est rue Saint-Jean-sais-rien, Jean Jaurès, 110, qu’i débarque ce compagnon de route. Venu, pas venu ? Jean, vu, j’en vois, bout de vie, vécue avenue Jean Jaurès, "neuf-trois", toit neuf, non lieu, banlieue. Jean, toujours Jean. Des gens, des gens, avenue Jean Jaurès.
Beaucoup de gens dans l’avenue, allées et venues, avenue Jean Jaurès.
Est-ce là que j’en suis venue ? Un jour advient, on quitte le pavillon à Pavillons sous bois, sans bois ni sous-bois, sans le sous, bois dessus, bois dessous, c’était pas une vie à Pavillons sous bois...
Et de chenille, je deviens papillon. Je m’envole. Pari capital, Paris capitale. Rue valette, plus une fillette. Ca valait le coup, oui, l’était rudement bien le deux pièces rue Valette ! Valait le coup de prendre valise et poudre d’escampette. Rue Valette que je dévale, vaillante, guillerette...
Mais j’allais découvrir Lhomond, rue dont je me suis fais un monde, tout un monde, "mon" rue Lhomond, non, pas grand monde, tourne en rond, tourne en monde en Lhomond, tourne pas rond. Approcher l’homme, l’on me l’a dit, c’ est long, c’est long, rue Lhomond. Home sweet Lhomond. Suite des faux logis de cette chronologie. Rentrée en grâce, rue Gracieuse, dix, disgracieuse alors ? Non, pas dit... Pas grasse non plus, la rue, seulement les matinées heureuses heures creuses. Je m’y rue. Ma rue au nom sans rudesse, ma rue en gras, son nom en italique...
Stage à Foljuif avec un groupe de Normale Sup rue d’Ulm, 2005 (extrait)

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4 _ La Chair de l’homme : instant fixe, vue démultipliée


À partir de la reconstitution immobile que fait Valère Novarina de la ville de Thonon-les-Bains, à un instant précis, dans La Chair de l’homme, je propose d’utiliser un narrateur fixe, dans un temps et un lieu assignés à distance, pour procéder à une accumulation la plus complète possible, portée sur ce lieu et ce temps, liant personnages et actions.

Depuis la colline, je veux voir en une fois tout entière la grande foire de Thonon.
Quel jour sommes-nous ?
Nous sommes le premier jeudi de septembre. J’ai dix ans.
Que voyez-vousw ?
Quatorze cent soixante et onze personnes, hommes, femmes, enfants.
Que font-ils ? Qu’est-ce qu’ils font ?
A cet instant précis ?
Oui.
Médée la Quine ôte son béret ; Tiénon pousse une charrette ; Lucien à Pitaque examine une corde ; Gouttière vise ; Louis Lanlà sort son porte-monnaie ; Marcelle à Grabé tartine des rillettes ; Goni enfonce un bouchon ; Dian à Tantiet flatte une pouliche ; Batiste du Martinet revend deux poules ; Joset au Rétami verse à boire…
Valère Novarina, La Chair de l’homme, POL, 1997.

Malgré l’apparente simplicité, c’est un exercice aride. On donnera un socle complémentaire en suggérant de bien se concentrer intérieurement sur le poste d’observation choisi (qui peut être fictif, avion qui passe très loin au-dessus et duquel on n’apercevra que quelques secondes la ville, ou bien un long rêve qu’on fait...) Et ce qui s’en induit à Nancy pour une jeune chômeuse :

Jean-Charles promène Fasco dans la cour Laurence prépare le repas Amélie joue dans sa chambre Pascal téléphone à sa mère Mick dort paisiblement Moli lit une BD de Tintin Leslie crie après la pauvre Arween Mag essaye un pantalon Yannick répare une fuite d’eau Le petit Christophe vole une voiture Éric répare un pare-brise Isabelle révise un cours d’histoire Laurent discute avec sa sœur Jean-Luc achète des fruits Marie-Jo répond à un client ivre Didier classe un dossier en retard Sandrine se mouche bruyamment Marie-Caroline contemple un tableau Caroline repasse la chemise de Denis Vincent trifouille dans sa moto Héloïse passe par sa fenêtre Hélène s’achète une paire de basket Jean-Mich’ fait des pompes Armand écoute un de ses morceaux Laurence met les restes de son repas d’hier soir dans une assiette Christelle chante un air connu Marie-Laure s’allume une cigarette Valérie tape sur sa machine à écrire Cécile s’invente une histoire Claude change les couches du bébé Odile nettoie sa collection d’assiettes Maxime pleure Aurélia se fâche avec sa mère Djoul se marie Sisou réajuste sa crête Frédérique écrit à son frère Serge rit très fort Emmanuel raconte une histoire à son fils Laure écrit une lettre Annie rêve en se balançant dans un rocking-chair Vérane attend à l’arrêt de bus Jean tond sa pelouse Albert regarde la télévision Michel joue quelques notes sur le vieux piano de sa tante Claudine fait une piqûre à un petit vieux Claire suce son pouce Adeline brosse ses longs cheveux blonds Barbara se remplit un grand verre d’eau Stéphane démarre sa voiture Alain range ses instruments de travail Jacqueline recompte son argent Salomé travaille son solfège Aurore regarde son père en train de peindre une nature morte Gérard troque sa montre contre un joli stylo Jean-Jean vante les mérites de sa crème antirides Cap’s range sa guitare dans son étui Estelle jongle dans le parc Sainte-Marie Mathieu attend près de son téléphone qu’Isabelle l’appelle Steven regarde les gâteaux qui sont dans la vitrine de la boulangerie Éléonore donne sa pomme à sa voisine Pierre coupe son jean pour en faire un short Jeanine fait des confitures Josette corrige les copies de ses élèves Armand sort son vélo du garage Simone met ses lunettes Margot ramasse les miettes tombées lors du repas Gilbert lave les assiettes Maurice livre ses plats congelés Mme Munier ferme sa classe Géraldine ouvre son frigo Gernine pose une housse sur son ordinateur Jojo prend son dictionnaire dans la grande bibliothèque Valou arrose ses plantes qui commencent à fleurir Cécile décroche les rideaux de son salon Jérémie court après sa souris Stick descend du scooter de sa copine Samir prend son amie Laure en photo Farid s’achète un billet de train pour le Sud Marcus traverse une route Yves ouvre la porte d’une petite épicerie René regarde sa collection de timbres Annie joue de la flûte Olivia traverse le parc André stoppe sa voiture au feu rouge Viviane valide son ticket de bus Jean-Marie allume sa radio Aline passe l’aspirateur dans sa chambre Estelle finit son café tranquillement Gaëlle commande une pizza Anaïs met son maillot de bain Sonia tourne la page de son livre Le toy se dirige vers le poulailler Daphné fait de la balançoire
Et puis ceux-là, Centre dramatique national de Nancy, 1997.

Le livre termine par un très long passage qui est presque un murmure : les noms de cours d’eau, en France, gardent quelque chose du fluide, du symbole. Valère Novarina, en quinze pages serrées, nous en fournit plusieurs milliers, la plupart inconnu : il faut habiter l’Indre-et-Loire, et encore, le canton de Rabelais, pour savoir qu’y coulent la Veudre et le Mable… Et rien de tel pour amorcer l’atelier de faire circuler le livre dans le groupe, et demander simplement que la voix, la voix de chacun, la voix de tous, ne cesse pas : la musique de Novarina établie, et cette pure fascination pour la suggestion du langage, n’importe quel contenu pourra en être traversé. Et si vos participants ont du culot, lancez-les donc dans cette exploration d’un cimetière et ses épitaphes évoquée plus haut, et qu’ils mettent tous leurs morts, des plus célèbres au plus humbles, des anonymes à ceux que porte leur généalogie, qu’ils y aient gardé nom et histoire ou aient disparu sans trace.

« A l’animal du Temps ! », « Au premier qui lira sa tombe ! », « Au chien qui ! », « Au Sol et au Seul qui ! », « A la viande et à autrui ! »
Animaux à cerveau, regardez l’inscription : ils ont gravé leurs tombes dans des planches : « Ici repose l’homme sans les choses : Tout est sans moi. » Voici les tombes qui sont gravées  : j’ai vu les noms des phrases écrites sur un caillou. Lui qui a écrit dans la nuit : « Lumière du monde est sans raison. » Et lui : « Ci-gît mon trou sans soif. » L’autre ici : « J’ai vécu sans terre d’inscription. » Lui dit : « Le monde a été monté sans socle et nous obligés d’habiter en civière, et il n’y a aucune colonne au monde qui porte personne qui est. » C’est une parole d’un danseur. Lui dit : « Gloire aux musculassiers, honte aux médicinins ! » Il dut souffrir de l’hôpitau.
Valère Novarina, Le Discours aux animaux, POL, 1987.

Et qu’est-ce qui nous empêche de rebattre les cartes, mixer les pistes ?

Ainsi, pour avoir fait l’erreur de proposer au choix, à ce groupe d’étudiants Arts du Spectacles de Rennes 2, l’exercice sur l’autobiographie aux noms propres et l’exercice sur l’instant démultiplié, j’ai pu hériter de magnifique texte à partir d’une accumulation des toponymes de la ville – sûr que Valère n’aurait pas renié :

Rue René Char à côté du Géant, rue du Château qui part de l’église, rue des Granges que les chevaux traversent et qui en a encore l’odeur, rue des Trois Fleurs où poussent les HLM, rue Eluard qui descend vers les étables, rue Basse en haut de la colline, place Saint-Amour où je me suis ramassé, rue de la Madeleine pour l’heure du goûter, rue Chateaubriand anciennement rue des Juifs, Grand Rue de petits magasins, rue d’Aires qui mène au Christ, rue du Grand Charmont qui monte, qui monte, rue des Collèges jadis rue de la Prison, impasse des Roses faite de béton, rue de Merville qu’on évite, rue du Petit Charmont qui monte un peu moins, chemin Faucomprés, chemin des Trépassés, ruelle Flammiche, ruelle des Demoiselles où je retrouve mon grand-père, rue du Bois, rue Marulat c’est pas ma rue là, rue Droite, rue des Cordonniers que l’on piétine, rue d’Arras où tu n’es pas né, rue Mégevand des étudiants chevelus, avenue Gambetta où l’on passe très vite, route de la Plage sur le chemin de l’école, route de Saint-Venant hôpital psychiatrique, rue Battant de nos cœurs, chemin de Petit-Prés, devenu parking, rue Neuve à l’entrée du vieux village, rue du clocher un homme est tombé, chemin de l’Eglise du dimanche matin, route des Sables, désertique, rue de Calais ne pas en parler, rue des Rats, rue de la Bombarde, chemin du Vieux Four dans la fraîcheur du matin, rue de la Pie qui danse, rue du Chat qui Parle, rue de la Vielle Monnaie, place de l’Eglise auréolée de nuage, rue de la Liberté condamnée, rue de la Clé, rue des Déportés, Rue Fernand Desmazières, rue des Pauvres dans le quartier bourgeois, rue du Gibet où l’on trouvait du travail dans le temps, rue du Pont de Pierre avec ses hautes maisons de briques, boulevard Abbé Lemire et sa station Esso, rue Piétonne, Rue du Cimetière, rue des Monts, place des Boucheries, place des Lices, place du Marché, place du lavoir, abandonné aux fleurs, chemin des Charmes entre les jardins, rue des Moutons en rêve, rue des Fusillés, rue où ils se sont promenés, rue du petit banc blanc, où je t’attendais, rue du Tricycle et des Chats boiteux, rue des Fermiers les lapins dépecés, rue Nationale avec seulement les cafés…
Université Rennes II, département Arts du spectacle, 2000.

De quoi rendre honneur à cette phrase magnifique de ses Instructions aux acteurs, que j’ai souvent placé en exergue de mes interventions ou conférences : Écoute le monde entier appelé à l’intérieur de nous.

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5 _ et petite surprise pour finir

De l’inutilité du théâtre au théâtre, phrase d’Albert Jarry à cette autre phrase : le point-virgule est le rebond de la pensée dite par un gendarme de Savoie, en passant par André Marcon travaillant à prononcer les mots chien bleu, un condensé de la passion novarinienne (film Jean-Paul Hirsch, Valère en dialogue avec Jean-Michel Maulpoix, 2009) :

 


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1ère mise en ligne 9 septembre 2013 et dernière modification le 19 juin 2015
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