fictions du corps | Notes sur les vigiles et gardiens

Pour en finir avec la vie joyeuse, 33


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La difficulté en ce cas était qu’on ne pouvait plus ni vous remplacer ni vous relayer. Vous étiez vigile et gardien, c’était suffisant et une condition que vous aviez à remplir, sans récrimination ni démission.

On n’avait pas témoignage d’ailleurs que cela s’était jamais produit. La qualité d’être gardien imposait un calme et une impassibilité qu’on vérifiait en amont, et ceux qu’on choisissait pour le devenir étaient conscients du relatif confort de la tâche : vous étiez affecté à telle place publique, tel bâtiment privé ou galerie commerciale, tel portail, entrée ou passage, tel monument ou tel tableau ou telle école, et vous gardiez, voilà tout.

C’était plus facile maintenant que se détacher du sommeil, des saisons, de la nourriture et des affections n’avait plus rien d’insurmontable pour l’être humain moyen. On était là, on gardait.

Cela n’empêchait rien de ceux qui souhaitaient vous saluer, s’enquérir de votre quotidien et de votre vécu, de comment tout cela autour de vous s’organisait ou se réorganisait, et bien sûr prenaient aussi nouvelles de ce que vous gardiez.

Une place publique, un carrefour, un monument, une école, une galerie, un musée ou une banque, un hall industriel ou simplement une station-service, tout cela avait sa vie propre, même ce couloir désert, même ce portail infranchissable, et le gardien apprenait à vivre avec, à en connaître tous les détails.

On avait de plus en plus de vigiles et gardiens.

Certains rêvaient d’un nouveau mode d’organisation du monde qui précisément serait basé sur cette harmonie de l’homme et des choses : chaque chose à sa place, et chaque homme pour garder les choses. Un équilibre adviendrait, certaine sérénité, et tant de problèmes évités du fait même qu’on se croiserait moins.

Et si vous ne vous résolviez pas au destin du vigile et gardien, personne qui vous empêche de continuer votre chemin et filer – les choses étaient en sécurité : n’étaient-elles pas gardées ?


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 18 février 2014
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