fictions du corps | Notes sur ce fameux prestidigitateur (encore)

Pour en finir avec la vie joyeuse, 40


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Son exercice le plus réputé avait cet avantage de s’exercer aussi bien à domicile (on l’invitait chez des gens, il l’exécutait), qu’en lieu public ou semi-public (galerie commerciale, cinéma, théâtre ou grand colloque d’entreprise) et là tout simplement en pleine ville (fêtes, kermesses, ou simplement dans la foule des flâneurs acheteurs du samedi).

Comment décrire ce numéro, puisque précisément – et tout soudain – il disparaissait.
Jamais il n’avait voulu s’en expliquer. À une allusion détournée, on pouvait comprendre qu’en fait il restait là, tranquille et immobile, mais que nul ne pensait plus à fixer son attention sur lui, et plus on le cherchait moins on le voyait.

« C’est d’une si triste banalité », avait-il commenté.

N’empêche qu’il était le seul au monde (du moins, le seul de notre ville) à pratiquer cet exercice de cette façon si radicale et si impeccable : quand bien même on était prévenu de son astuce.

Ainsi donc, pouvait-on continuer à vivre dans cet appartement, retrouver ses habitudes les plus intimes, ou déambuler à ses achats dans les musiques euphorisantes de la galerie commerciale, ou tout aussi bien était-on en réunion ou colloque, ou dans la foule du parc au soleil du dimanche, et sans qu’on le sache, sans qu’on le voie il était là.
Au signe convenu il réapparaissait, impassible, souriant.

On en plaisantait : « Et si nous ne vous demandions pas de reparaître ? »

Il se disait qu’une partie de sa fortune supposée n’était pas venue de ses exercices et prestations, mais de quelques élèves à qui il avait enseigné ce tour, et qui, eux, ne visaient pas à la prestidigitation et encore moins à ces démonstrations de saltimbanque.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 5 mai 2014
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