été 2023 #03 | G.Stein | Comme je l’imaginais…

« Comme je le disais, dans sa vie plus jeune, elle était complètement avec eux et pourtant, c’est à ce moment-là qu’elle était le plus coupée d’eux, car la vie future commençait alors à compter dans l’être, le sentiment et l’action de chacun d’entre eux et, de plus en plus, sa vie future était certainement différente de celle de ceux qu’elle connaissait à ce moment-là. Elle n’était alors vraiment très intéressante pour aucun d’entre eux »

Gertrude STEIN | MAKING OF AMERICANS

[extraits traduits par outil internet]

Comme elle l’avait imaginé, Mathilde aurait pu être à la place de Martha, à celle de Marie P., de Thérèse S. ou de Simone V. Si elle était née dans un autre pays du globe, les noms et prénoms auraient été différents, mais « l’être » dont parle Gertrude STEIN, aurait été dans l’enfance, tout aussi confus, indistinct ; un peu moins par la suite, mais toujours mystérieux, en tout cas impalpable, a posteriori.  

        Le jeu des chaises musicales qui indique « la place » de chacune, a été obscur et implacable depuis le début. Le début, comme je le disais, s’est situé dans les limbes de l’avant-naissance de Mathilde, et personne n’est capable aujourd’hui d’affirmer quoi que ce soit pour le prouver. Cela lui incombe désormais dans l’écriture quotidienne qui collationne les lambeaux de sa propre vie. C’est  la clé de voûte du roman, et des romans dans le roman. Des histoires solidaires mais foncièrement  séparées  par le temps et dans le temps, je veux dire qu’elles ont été d’abord contemporaines, conjointes, puis se sont disloquées dans la diffluence des destins, jusqu’à la disparition…

        Comme elle disait, non avec cette formule littéraire « la comédie humaine » ou encore celle de la  » divine comédie », mais avec une légère ironie, la vie des bêtes ou la vie toute bête, Mathilde n’a jamais lâché la conviction qu’un récit sur l’évolution d’une famille pourquoi pas la sienne, pouvait être « romancée » et pourquoi pas scénarisée par pans entiers. Encore faudrait-il parvenir à construire d’aplomb la maison du roman qui les contiendrait toutes. Maison gigogne, immense maison pop-up du souvenir lacunaire…

        Qu’est-ce qu’une maison ? Une maison d’enfance ? Une maison familière ? Une maison qui fait peur ? Une maison de passage ? Une maison qui n’est pas à soi ? Une maison hantée ? Une maison démolie ? Une maison pillée ? Une maison squattée ? Une maison hospitalière ? Une maison héritée ? Une maison abandonnée ? Un rêve de maison avorté ? Une maison de riches ? Une maison de pauvres ? Une maison faite de bric-et de broc ? Une maison d’accueil pour orphelin.e.s ou réfugié.e.s ? 

        Où est ma véritable maison ? Dit-elle, à l’automne de sa vie.

        Toutes ces questions ne sont pas d’ordre immobilier ou spéculatives, elles évoquent des expériences très concrètes où chaque personnage peut proposer son point de vue et son ressenti.

Mais qui doit prendre la parole ?

« Dans la lumière livide de l’été

sous les rideaux entrouverts de la pluie

s’étend la terre silencieuse

ses bêtes blasonnées, ses feuillages accroupis

Que de houblons ! que peu de raison d’être !

et qu’ai-je à faire ici ?

[…]

Nicolas BOUVIER  | Paysage sans propriétaire (extrait),

 Le dehors et le dedans, éditions ZOE, 2022

Comme je l’avais imaginé, en l’écoutant, en la lisant, Mathilde n’avait aucun doute sur l’utilité personnelle de l’écriture. Elle en avait, disait-elle encore, la nécessité, non vitale, mais expérimentale. Le « roman d’une vie » en contient plusieurs, et elle ne cessera pas de le seriner à longueur de pages. C’est « un roman au féminin », délibérément focalisé sur des contenus de pensées débusqués dans l’intimité des récits, qu’ils soient reconstitués ou réinventés.

À la cruciale question : qui doit prendre la parole ? Elle répond : Toutes les femmes qui ont quelque chose à dire sur leur condition et leur désir, en toute sincérité. La question du choix de genre peut attendre encore un peu. Ce n’est pas la préoccupation de sa propre génération et encore moins de celle de ses ascendantes. C’est l’anatomie qui dicte l’assignation à des vécus corporels spécifiques. Il faudra bien qu’on fouille plus loin sur ce qui a été vécu et se vit encore réellement.

 Mathilde sait un peu ce qui s’est passé et se passe encore dans les Maisons que le Roman convoque. Je suis à sa disposition pour l’aider à bâtir son château de souvenirs au féminin. Maison du Matrimoine…

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

2 commentaires à propos de “été 2023 #03 | G.Stein | Comme je l’imaginais…”

  1. On oscille et on vacille, on commence à te suivre, à voir trame et chaîne composer une sorte d’opéra, les voix du chœur et la voix qui cherche, l’ensemble dans une exploration intrigante,

  2. Merci pour ce texte Marie-Thérèse. Genre hybride essai romancé, poésie, citations. Je me suis laissée portée de bribe en bribe tenue par la force du texte.