#40 jours # 17 | Debout -Trois portraits de la même

leur vie ?

leur vie, leurs malheurs

il faut que ce soit intéressant

émouvant, intéressant

elles racontent ce qui leur est arrivé

leslie kaplan TOUTE MA VIE J’AI ÉTÉ UNE FEMME

Debout quand j’arrive au Salon debout quand je repars du Salon, je ne l’ai jamais vue assise.  Elle dit qu’elle est habituée comme çà. Elle a revu l’ostéopathe l’autre jour. Il lui dit toujours la même chose, Il ne fait pas grand-chose, elle sait ce qu’il en est. La station debout prolongée, les repas expédiés mal équilibrés, le surpoids incompressible malgré les efforts, le piétinement qui lui a bousillé les vaisseaux sanguins et les articulations, elle calcule qu’elle a encore dix ans à galérer, elle s’est renseignée. Elle attend du gouvernement qu’il ne change pas la donne. Elle ne tiendra pas sinon. Elle a essayé des tas de trucs, des régimes, elle a fait de la zumba en s’éclatant pendant quelques temps, le soir, mais elle n’a pas tenu. Ressortir de chez elle après sa journée de coiffure dans les jambes ce n’est pas pour elle ! Tant pis.

Elle prend son mal en patience. Elle avale du paracétamol. Elle aime sa vie familiale, sa maison à l’écart de la grande ville, elle  a repeint tout son couloir aux dernières vacances. Trop courtes. Elle repeindra sa salle à manger aux prochaines. Elle est toujours en souci pour l’enfant surprise eu sur le tard, un accident de stérilet, et qui a nécessité de très lourds soins, une multitude de consultations qu’elle a essayé de programmer les lundi jour de fermeture de salon. La patronne n’a jamais trop fait de cadeau (petits rires), elle doit payer ses crédits. L’entreprise doit tourner du mardi au samedi de 7h à 19h. Elle ne doit pas compter ses heures. Dans ce métier c’est ce qui fait fuir les apprenties.  Les avoir dans les pattes c’est double journée, la plupart ne sont pas dégourdies et n’aiment pas le travail. Les motivées et douées sont rares, elles veulent devenir patronnes. Il y a les mises en plis des petites vieilles aux  cheveux trop fins qui râlent ou qui dépriment, la plupart sont veuves, certaines en institution et qui comptent leurs sous de retraite, se faire coiffer c’est cher… Il y a moins de fillettes à coiffer que de garçonnets. Les jeunes se font faire  des mèches et les hommes des coupes style boule à zéro ou très courtes c’est la mode, c’est connu les garçons n’aiment pas se coiffer, les coquets sont rares et se font remarquer, c’est toujours la même chose pour elle, six à huit client.e.s  en accéléré  toutes les 40 minutes, par demi-journée, il ne faut pas que ça diminue pour assurer le chiffre d’affaire, de moins en moins de cérémonies de mariage, c’est ce qu’elle aime le plus, l’excitation et le stress qui vont autour, les fantaisies et le feed-back, alors comment ça s’est passé ? Il y a plus de trente ans qu’on se connaît, elle a appris à faire des massages du cuir chevelu un peu rudimentaires, je sens quand elle est mal lorsqu’elle s’applique plus et qu’elle les prolonge. On dirait qu’elle a besoin de faire, ce qu’elle aimerait qu’on lui fasse de temps en temps. Je n’ose pas lui dire d’arrêter ayant peur de la vexer. On rit beaucoup ensemble. On se moque de la patronne absente. De sa radinerie. On se dit des tas de bêtises et jamais des secrets. Une coiffeuse c’est fait pour coiffer.

Pour faire le portrait d’une coiffeuse cela n’est pas très compliqué, on l’a sous l’œil dans le miroir sauf au shampoing où l’on ferme les yeux. Elle est toujours bien habillée et maquillée, elle arrange ses cheveux de façon à ne pas être soupçonnée de négligence, elle se fait coiffer par sa patronne, et réciproquement, après la clientèle, dans les moments creux de la semaine. Ce n’est pas régulier. Elle a toujours trop chaud et reste les bras nus autant que la saison le permet. 0n se demande quand elle trouve le temps de faire les boutiques pour renouveler ainsi sa garde-robe et si elle écourte ses nuits pour laver ou repasser. Elle se met parfois en pétard à cause du téléphone qui sonne n’importe quand. Elle a les mains dans l’eau ou au-dessus du crâne d’un.e client.e, le peigne et les ciseaux en l’air, polyvalente et serviable, elle assure le standard, l’encaissement, l’installation des vieilles dames peureuses, bancales ou handicapées, elle fait preuve d’une patience infinie ou d’une impatience drôle lorsqu’elle commente ce qui l’enquiquine vraiment, au plus haut point la clientèle qui la considère « à son service » et corvéable ad libitum. Au téléphone, elle n’est jamais impolie, en raccrochant un peu bruyamment, elle décoche ses commentaires qui font rire tout le salon. Le jour où elle est un peu plus énervée, ma coupe est plus courte d’au moins deux centimètres et je ne bronche pas, je compatis. Ma coiffeuse est formidable et mal payée ! Judith WIART dirait encore : Les gens ne se rendent pas compte ! Et Fabienne SWIATLY : Oui, elles sont au service.

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.