Le soir les appelait. Il suffisait d’éteindre pour qu’ils entrent. Une fissure, presque rien, un trou d’épingle entre deux lattes de parquet : ils passaient ; c’était sûrement être de l’obscurité qu’ils naissaient ; elle les sentait plus qu’elle ne les voyait. Au début elle fut comme pétrifiée : elle décida de se défendre, elle battit l’air avec ses bras comme on chasse les insectes qui la nuit vous assaillent ; à voix basse, pour ne pas réveiller la maison – sa mère, son père, son frère qui dormaient dans l’autre chambre la laissant seule avec sa peur–, elle leur intima de partir : elle ne voulait plus les voir, ils n’avaient rien à faire ici. Ils n’opposèrent pas de résistance; se dispersèrent. Disparurent. Elle eut des nuits calmes, dormit comme dorment les enfants épuisés par leurs jeux, elle n’était après tout qu’une enfant de sept ans. Elle dormit. Elle rêva. Rencontra un cheval. Lui parla. Elle fit ce rêve récurrent du galop du cheval et d’un champ, d’une barrière, d’un arbre avec des fleurs ; elle courait après le cheval avec d’autres enfants, imitant son galop. Elle riait. Un arbre perdait ses fleurs. L’air embaumait la terre, la sueur et ce parfum de fleur, ce parfum de fleurs des jours longs de juste avant la nuit, avec un peu de rose au ciel. Elle courait. La course la souleva, c’était comme être délesté de la pesanteur ; c’était comme voler : elle vola. Elle survola l’arbre, la maison, le cheval. Quand le coup partit le cheval s’écroula, le rêve sombra. Ils revinrent, du moins leur souvenir s’insinua, est-ce qu’elle les appelait malgré elle. Elle les imagina tapis dans les murs, glissés sous son lit ou grimpés sur l’armoire . Elle lutta contre le sommeil . Ses nuits se fractionnèrent. Son sommeil se troubla, il prit une teinte cadavéreuse, même sa peau blanchit. Elle s’affaiblit. Ils étaient revenus, ils profitaient de sa faiblesse et de ses plongeons dans le reflux noir des rêves pour surgir, ils renaissaient du cheval mourant. Ils étaient là, visibles-invisibles, immatériels et palpables, égarés, meurtris, suspendus à son souffle. Alors elle se leva. À la lueur de sa veilleuse d’enfant, elle nota : ce fut la tête qui partit la première projetée vers le ciel couleur de souffre, comme une balle au pied, comme quand ils jouaient et ils crûrent deviner un sourire sur ce visage déjà mort, comme un adieu calme. Il lui semble à présent qu’elle transcrivait le texte indéchiffrable de leurs implorations muettes. Elle eut deux vies. Nuit. Jour. L’obscure s’emplissait d’yeux, de corps, de voix qu’elle apprivoisait jusqu’à devenir, elles, eux, lui, elle. Ses cahiers se couvrirent de phrases qui prenaient forme d’histoires. Le jour elle lutta contre le sommeil et elle apprit à faire semblant
De cette matière étrange du rêve, nos yeux s’accrochent à tes mots et nous voilà, flottants dans l’impalpable à sentir notre sang couler dans nos veines de petite fille. Et c’est bien.
Merci Nathalie. Je sais maintenant pourquoi je repousse toujours le moment de dormir, pourquoi i faut laisser la porte entrouverte, garder une petite lumière allumée, ne pas se séparer de son doudou et vouloir une histoire apaisante.
souvent ce sont les autres qui nous séparent de nos doudou et imposent d’éteindre la lumière …
Jean-Luc ,Ugo merci de vos lectures, je crois que je n’ai pas encore saisi le vrai enjeu de la 11 bis ( difficile comme l’écrit Jean-Luc) y ferait retour