#recto verso #05 | une amitié

Des heures : on se dit tout hein, en gardant des secrets : un peu, Oui, forcé. Ne faire qu’un seul corps en restant deux. Échanger. Partager. Je combats ma paresse pour être à ta hauteur : livres de géologie, atlas – au début je me force – , j’apprends la morphologie des baleines; nous partageons mon goût pour la poésie en buvant du blanc celui qui sert pour la cuisine – dans le bas du frigo–, qu’on rallonge d’eau après, en douce. Baudelaire. Rimbaud. Verlaine, tu ne comprends pas : quel ennui. Tu aimes Prévert et Cohen : Suzanne c’est un beau prénom tu ne trouves pas? Nous écoutons chanter des femmes rebelles, et Ferré en boucle. Mahler et Grieg pour pleurer. Nos parents s’habituent à avoir deux enfants en alternance. Nos Jeans ont des cicatrices que nous brodons de coton perlé, dans le tien j’entre à peine, je m’allonge pour tirer la fermeture éclair ; je te prête mon blouson sans manches, tu me passes ton boa : cette écharpe hirsute multicolore; j’envie tes os qui saillent, ta poitrine plate; je bande mes seins, je m’affame : toi tu manges tout ce qui te passe sous le nez sans jamais prendre un gramme : ton nez justement, le mien d’enfant un peu retroussé t’obsède. Regarde ma bosse : mais regarde : je me débecte. Souvent tu pleures. Un jour tu seras toi.
Et connaissant mon cœur elle n’avait gardé que ses bijoux sonores dont le riche attirail..,
Sur les quais nous marchons dans nos capes d’invisibilité. La nuit nous avons tous les âges du monde, quinze en vrai, à deux semaines d’écart nous fêtons nos anniversaire, en juin. Tu m’offres ce bracelet afghans… Trois ans que ça dure. Un jour il faut partir. Tu pars. Ce poste inattendu et précieux, loin, très loin, pour ta mère. Les cartes, les lettres,durent une année puis le courrier s’effiloche

Il pleut. Mars me ronge. Depuis toujours il semble que j’attends juin. J’achète des pommes en face du cinéma. Ce film de 1981il repasse au Louxor, je l’avais vu à l’époque avec cet homme, –vingt ans d’écart–, que j’ai quitté : Premier amour. Un enfant à présent. Revoir. Relire. Ce passage du Livre: Ne te retourne pas. Je croque dans la pomme jaune, tavelée; les mains se tachent avec le temps : elle avait de très belles mains couvertes de taches, elle portait des gants ajourés. Elle mourra à cent trois ans, il y a une pierre au cimetière : Plantez un saule, elle aimait dire. Combien de temps survit une pomme dans le noir d’une cave. Nevers et Marguerite. Sous le métro aérien il y a les crieurs de cigarettes ; je me souviens du marchand de journaux qui me saluait le matin ; chez Tati j’achetais des collants de couleur, ça file un collant, avec un peu de vernis à ongle tu peux arrêter le temps ; en 1968 sous le métro aérien ça brûlait, j’avais neuf ans, j’ai vécu par-là jusqu’à mes dix sept ans…
Dominique! C’est ta voix que j’entends. Je me retourne. Il y a cette femme trop grande aux cheveux sombres, très belle. Une femme: C’est ta voix. Ta blondeur me revient dans ce visage qui n’est pas toi,- est-ce la bosse sur le nez qui n’est pas là-, tu me reviens : Vertige d’une voix. La dernière fois tu venais de muer, il y avait ce duvet au-dessus de ta lèvre : Oui. C’est moi, Camille

A propos de Nathalie Holt

A commencé en peinture, a vécu de théâtre et d’opéra, des années de scénographie plus tard ne photographie pas que son lit, tient son journal en images, écrit et marche chaque jour a publié un peu pour aller au bout d’un geste ( Ils tombaient ) ( Averses) https://www.amazon.fr/stores/author/B09LD7R2KY . Écrit pour lire.

6 commentaires à propos de “#recto verso #05 | une amitié”

  1. J’aime beaucoup le saut temporel négocié dans ses détails biographiques… fort dans l’écriture de soi de la passion adolescente… merci Nathalie.

  2. Je prends tout. Les poètes, les jeans, les nez et les collants de chez Tati en haut du boulevard Magenta. Merci

  3. Comment arriver à dire l’amitié. Mais comment. En fin de compte, impossible d’y poser l’épaule, elle est déjà partie, échappant sans cesse, se refusant aux promesses, chemin hors temps qui se passe de liens, de mots, de sens, d’évidences, de choix, d’affinités sombres. Celle qui pousse comme un jet d’eau furtif, une feuille sur la plante, une fêlure, un sourire triste. Je revois à travers tes mots si troublants des passages de L’Amant de D. Ce corps à corps par les mots. C’est aussi Lol V. Stein, et ces taches sur les mains qui font la mère fabuleuse à travers les âges, ce masque d’Océanie, et j’imagine entendre le monologue de ta mère, que j’imagine, et dont j’ai traversé l’espace de répétition où tu m’as entraînée avec cette joie haletante et pleine d’à venir
    Merci fort chère Nathalie

    • Merci Françoise pour ce beau texte que tu m’offres ( ce jet furtif, ce sourire triste, et la mère fabuleuse…) en retour .