#rectoverso #05 | le lac aux pivoines

Trois magnolias tout maigres, tout juste plantés, un large trottoir et la maison. Étroite, un étage avec balcon, des fenêtres en arc, la façade repeinte en gris-bleu. Avec d’un côté un immeuble au pied duquel une pharmacie vient d’ouvrir et de l’autre une villa au crépi jaune lézardé. Le petit portail noir, métallique, s’ouvre sur une cour minuscule. Il y a quelques dalles bordées de crassulas en pots avant les quatre marches de pierre qui mènent au seuil protégé par une marquise de verre. La porte reste entrouverte durant le jour pour laisser passer l’air. Dans la pénombre de l’entrée, les pâles du ventilateur tournent inlassablement. Une porte-fenêtre donne sur le jardin. À droite, un grand atelier désaffecté dans lequel trainent quelques outils. Il pourra servir de salle de jeux dit M. S sourit. À gauche la véranda borde la maison et longe un petit jardin à la terre retournée, piquée de semis. On commence à planter notre potager, il y aura des fleurs aussi… Sur la droite, une haute haie bien taillée cache le rez-de-chaussée de la villa voisine, au fond un treillis de roseaux isole de la friche.  Parfois on entend des enfants qui jouent au ballon. Nous suivons S le long de la véranda, M est déjà entrée dans la cuisine par la dernière porte-fenêtre. Des effluves de menthe, de gingembre et peut-être aussi de paprika y flottent. De vieux placards d’un autre temps repeints en blanc jouxtent un grand réfrigérateur moderne d’où M sort une théière et nous propose un thé glacé aux chrysanthèmes. Elle radieuse, lui comme étonné par tant de joie. Pendant que nous buvons le thé, il ne la quitte pas des yeux. Venez, je vous fais visiter la suite. M écarte un rideau de perles pour entrer dans le séjour. Un canapé de velours rouge sombre flambant neuf est placé contre un mur face à deux fauteuils en osier. Ce sont nos seuls meubles…. et pour un bon moment, s’amuse M. Vous avez bien le temps de vous encombrer… S acquiesce. Je vous montre le haut ? Nous suivons M jusqu’à l’escalier en colimaçon de l’entrée. À l’étage, les pièces sont plus lumineuses. Dans la première, des piles de cartons fermés sont calées contre le mur. On n’a pas encore déballé tous les livres. Il y a ensuite la chambre, un grand matelas posé à même le parquet, un fauteuil avec des habits pêle-mêle, quelques livres déjà extraits des cartons. La salle de bain donne sur le jardin. On aperçoit la voisine derrière sa haie. Enfin une petite chambre en chantier, escabeau et pots de peinture. Je prépare les murs et M peindra une fresque inspirée d’un conte qu’elle aime particulièrement, nous dit S.

Des magnolias somptueux ombrent le trottoir face à la petite maison, coincée entre deux tours. Incongrue. Survivante d’un autre temps. Le portail noir qui grince en s’ouvrant. Les plantes grasses qui bordent les dalles, les quatre marches jusqu’à l’entrée. Essai de clés dans la serrure. J’avais toujours vu la porte ouverte dans la journée. J’appuie sur l’interrupteur pour faire tourner le ventilateur avant de sortir sur la véranda. Le jardin est cerné par les tours mais miraculeusement éclairé par le jeu des reflets du soleil sur leurs vitres. Dans l’atelier, les toiles de M prennent la poussière. Je déploie un tissu plié sur une chaise pour recouvrir sa belle série d’Iris. Sur le chevalet, une esquisse de paysage à l’encre. En longeant la maison je regarde le petit jardin de pierres, la spirale de galets blancs minutieusement dessinée par M et maintenant parsemée de feuilles sèches et de brindilles. Sur la table de la cuisine, il y a une tasse de thé où flottent des moisissures. M devait commencer à boire son thé quand on est venu lui annoncer que… Je vide la tasse et la nettoie. Le cliquetis du rideau de perles que j’écarte pour passer dans le séjour me rappelle notre première visite quand ils venaient juste d’emménager. La poussière a terni le rouge profond du canapé. Sur la table de jeu, restent quelques dominos épars. Je monte à l’étage. Dans la première pièce, des livres d’art et deux beaux vases reposent sur une étagère. Un sac de voyage à l’anse décousue a été abandonné devant la grande armoire. Dans la chambre de M et S, deux chemises claires sont étendues sur leur lit aux draps impeccablement tirés. Une odeur citronnée un peu rance stagne dans la salle de bain. Par la fenêtre je regarde le jardin de pierres et la spirale. Enfin je me décide à entrer dans le sanctuaire de S, je ne suis jamais venu dans son petit bureau aux bibliothèques débordant de livres. Sur sa table de travail, des crayons, des stylos, deux carnets, un recueil de Wang Wei et des pierres noires. Sous la fenêtre, un pan de mur laissé libre. Là s’épanouissent deux grandes corolles de pivoines dont les feuilles s’écartent devant une eau lisse. Sur les côtés des tiges ondulent et disparaissent derrière les bibliothèques. C’est peut-être en pensant au Lac aux pivoines que M a peint ces murs. En attendant l’enfant qui n’est pas venu.  

A propos de Muriel Boussarie

Je travaille sur un chantier d’écriture au long cours et j’espère avoir assez de souffle pour le mener à terme. L’intuition de ce projet a surgi ici, dans un atelier du Tiers Livre. Il était question de se perdre dans la ville. Comme je ne voulais pas suivre une piste trop autobiographique, j’ai délocalisé l’errance en la situant dans la ville de K., un avatar de Hong Kong qui m’avait tant fascinée. Alors un personnage, un homme, Tu, toujours interpellé, est immédiatement apparu dans une rue de K. où il s’était égaré. Malgré cette entrée en matière – très forte pour moi – je n’ai pas pensé au départ écrire une histoire, encore moins un livre. Mais je voulais écrire, rêver un univers, celui de K. Quelques textes ont ainsi vu le jour sur mon blog. Puis lors d’un nouvel atelier de François Bon, un fil d’histoire plus précis s’est ébauché : le départ de Tu et L. vers les îles pour fuir la dictature qui sévit à K. À ce moment-là s’est déclenché un grand désir de narration. Beaucoup de choses se sont précisées au fil de l’écriture, bien des personnages sont apparus… Et régulièrement j’utilise des consignes de l’atelier comme pistes pour développer mon récit.

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