#rectoverso #PS | Mow et la mer

Tiens, Mow, ta godille, cinq mètres quarante-deux, comme l’ancienne, j’ai un peu diminué la taille de la pelle, du déplaceras moins d’eau, mais tu le feras plus vite, ça devrait pas être trop mal pour toi, pour ton épaule. Tout en frêne, du vieux frêne, séché là derrière, tranquillement, elle bougera pas. J’ai pas mis de fourrure en cuir, pas le style du bateau. Même si j’ai soigné la poignée, les premières fois, fais quand même gaffe aux ampoules, le temps que tes mains s’y fassent. Pas de séparation entre le manche et le fût, à mon avis ça sert à rien d’autre qu’à alourdir l’ensemble et tout rond je trouve ça plus joli. Elle devrait pas être mal. Et tu ne me dois rien, c’est cadeau. Parce que tu vas nous manquer. Et pi cadeau ça aussi. Baudelaire. C’est un classique, mais à chaque fois que je le relis, je trouve des choses que je n’avais pas lues la première fois. C’est pas en anglais, parce que je pense qu’en anglais tu as déjà tout ce qu’il te faut, alors voilà. Et puis celui-là il est solide, c’est une vieille édition, pas un truc moderne avec de la colle à la fini pisse de rat technologique qui tient pas dix minutes. Les cahiers sont cousus, comme ça, même si ça gondole un peu avec l’humidité, tu perdras pas les feuilles. Tiens, il s’ouvre pile à la bonne page :

Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton cœur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.

2 commentaires à propos de “#rectoverso #PS | Mow et la mer”

    • merci pour le clin d’œil et la lecture, mais tu as raison, l’invitation au voyage aurait aussi pu faire l’affaire. Difficile de choisir chez Baudelaire…