#boost #11(2) | Soir

Le cheval courait dans le champ ; nous avions franchi la barrière et malgré notre peur – ou entrainés par elle –, nous jouâmes à le poursuivre. Des hirondelles hachuraient le ciel bleu-rose du presque soir. Et cette neige rose de l’arbre de l’autre champ qui ensemençait l’air; nous aperçûmes le chapeau sous les fleurs qui regardaient ; nous perçûmes l’éclat dur des yeux, comme deux billes entre les branches, lévitant; nous ne vîmes pas l’arme que tenait la main tandis que le cheval tournoyait dans l’enclos qui n’est pas rond, tandis que nos jambes nous propulsaient après lui : nos jambes, nos bras, nos pieds nus démultipliés ; et cette odeur d’herbe foulée, de crin, de boue qui montait de la terre. La course nous soulevait, c’était comme être délesté de la pesanteur ; ce fut comme voler : nous volâmes. Quand elle nous appela nous survolions la terre, (nous le crûmes); nous l’entendîmes à travers nos rires : d’où venait-elle. De l’autre champ. De derrière l’arbre. De la maison : Il faut rentrer maintenant.
Encore. Encore un peu, crièrent nos voix.
Encore !
Nous criâmes avec la cloche, au loin. Avec le tracteur de la route qui descend. Avec son moteur. Avec le galop du cheval. Avec sa robe trempée de sueur. Avec la neige de l’arbre qui donnera des fruits demain.
Nous criâmes mais.
Le coup détona.
Le cheval s’arrêta. Il virevolta. Se retourna. Nous fûmes sous son regard : Il avait de très grands yeux. Son grand corps chancela, il s’affala, lent, comme retenu par l’air. Puis il bascula sur le flanc et sa robe était encore parcourue d’éclair. Il eut un sursaut et se figea.
Nous vîmes le chapeau détaler ; nous l’entendîmes se fondre à la nuit tandis que la voix de notre mère approchait. Elle portait ses bottes et la hache. Maman criai-je. Le sang baignait nos pieds : il l’a tué.

A propos de Nathalie Holt

A commencé en peinture, a vécu de théâtre et d’opéra, des années de scénographie plus tard ne photographie pas que son lit, tient son journal en images, écrit et marche chaque jour a publié un peu pour aller au bout d’un geste ( Ils tombaient ) ( Averses) https://www.amazon.fr/stores/author/B09LD7R2KY . Écrit pour lire.

7 commentaires à propos de “#boost #11(2) | Soir”

  1. Vos fictions du terrible tourmentent.
    Et un peu plus loin encore, un peu plus loin toujours.
    Sans doute ma tête a t elle quelques fragilités plus ou moins passagères face à l’anxiogène des temps. Mais votre force Nathalie, elle, est indiscutable. Indiscutablement terrible.

  2. tournoiement, « et cette odeur d’herbe foulée, de crin, de boue qui montait de la terre », et puis l’arme cachée
    on voudrait crier Non non ! on ne voudrait pas que ça arrive
    magnifique puissance de cette scène en si peu de mots….

  3. « ce fut comme voler : nous volâmes » nous aussi on lit à toute allure, et la chute est tellement brutale …Merci encore pour ce moment

  4. C’est bien de passer après Françoise, car elle traduit très bien mon ressenti, c’est comme trouver mon commentaire tout écrit, en mieux !
    On a vu l’arme, les yeux du chapeau, mais en attendant on vole avec eux dans leur insouciance. Merci, Nathalie.