Nous étions partis à l’aube sur ses traces. Quelles traces peut laisser un train avais-je pensé avant de monter avec lui dans le dernier Wagon. Le dernier avec sa porte fenêtre où se déployait le paysage que nous laissions derrière nous. Je scrutais le rail que la neige recouvrait en partie, son âme, comme le ballast, s’enfouissait dans le blanc. Cette neige que la nuit gelait. Une nuit d’encre percluse d’étoiles grosses comme des billes coiffait l’étendue blanche. Toute trace humaine, n’étaient les poteaux qui hachuraient le blanc et se perdaient là-haut dans la nuit, avait disparu depuis que nous roulions. Depuis quand roulions-nous – les piles de nos montres avaient gelé : quelques heures, quelques jours. Plusieurs jours me murmurait ma blessure au genou, et, comme la douleur dilate le temps, je ne saurais dire avec précision depuis quand nous avions quitté la ville et sa petite gare. Cette gare bien trop petite pour la foule qui s’y ruait quotidiennement, curieusement déserte quand nous l’avions traversée pour rejoindre le quai où bagages et caisses s’empilaient sous le regard de chiens coulés dans la résine qui aboyèrent à notre approche. Note ça ! m’avait-il asséné, c’est encore une de leurs bizarreries… Allais-je supporter ses injonctions répétées; il se prenait à présent pour un chef – c’est la peur de disparaître je pensais : s’il perdait la vue, n’avais-je pas moi-même une jambe en sursis…
Le train roulait toujours, nous vîmes des paysages enneigés, le blanc nous entourait. Je visitai tous les wagons, nous étions seuls.
Le paysage enneigé il ne le vit bientôt plus; je lui décrivis comme je pouvais, il m’arriva d’inventer : cet oiseau, sa couleur. Parfois il m’interrogeait sur les traces: rien tu es sûre ; sa voix avait changé, il retrouvait un peu de sa douceur. Un soir, ou était-ce un matin, il y eut cette étreinte, elle dura ; nos corps se parlèrent – je crois qu’il a crié-, et nous prononcèrent nos noms comme pour la dernière fois. J’écris pour nous. Lui. Moi. Je devins ses yeux. Le train roulait, le blanc nous entourait et la nuit perdait ses étoiles, elles tombaient comme des dents, trouaient la neige gelée. Je lui tus le noir plus noir du ciel ; je tus les vers qui couvraient ma blessure. Mon genou avait doublé et il y avait cette odeur qui ne me lâchait plus, qu’il devait sentir lui qui peu à peu s’enfonçait dans l’opaque, cependant il se taisait. Nous étions seuls. Je lui tus l’ombre des corps : dans chaque compartiment ses ombres qui, comme des couvertures jetées les unes sur les autres s’empilaient dans les couloirs, recouvraient les banquettes, rendaient les toilettes impraticables, s’augmentant au point d’obstruer les fenêtres. Nous allions manquer d’air. Je crois qu’il suffoquait. Je lui tus la nuit qui se déployait sans fin. Et cela arriva, brusquement le train s’arrêta .
deuxième tentative en 11bis et grand Merci à @laurent-stratos pour l'image; merci à @cmarmonnier et @adejardin pour l’invitation à se saisir d’une phrase rayonnante dans un autre texte
que dire … rien sinon que des larmes ont roulé sur le clavier de mon petit ordi, en te lisant…
merci à toi, merci vraiment.
Merci beaucoup à toi Ève, si une émotion a pu naître de ces lignes initiées par une phrase de Laurent j’en suis heureuse.
« la nuit perdait ses étoiles, elles tombaient comme des dents, trouaient la neige gelée. Je lui tus le noir plus noir du ciel ; je tus les vers qui couvraient ma blessure. Mon genou avait doublé et il y avait cette odeur qui ne me lâchait plus, qu’il devait sentir lui qui peu à peu s’enfonçait dans l’opaque, cependant il se taisait. Nous étions seuls. »
Ta façon si personnelle de dire l’horreur… Incroyable
Merci Catherine de ton retour. (Dimanche je suis allée voir un spectacle autour de Keats, la passion du poète pour Shakespeare. A été évoquée et cette scène du Roi Lear où le fils voyant le père aveugle prêt de se suicider l’écarte de la falaise qui domine la mer, l’entraîne vers la plaine et lui ment : il lui décrit la falaise, la mer, les vagues, il brode , chante; chante au Père les flots là en bas et le vent ; le père s’ étonne de ne pas entendre ni les flots ni le vent cependant il croit son fils ; il va commettre le geste ultime, il saute mais choit de sa hauteur sur l’herbe de la plaine. » C’est un mensonge heureux » ) je ne sais pas pourquoi je te raconte ça . Merci à toi Catherine