
Tout immobile donc tout autour du trépied calé dans les cailloux appareil allumé et luminosité baissée au maximum. Tout immobile donc les nuages comme un voile qui diffuse et tamise le manque de lumière et étale le grave dans un sombre uniforme voire un obscur très clair. Tout immobile donc là tout au bord de l’eau à marée descendante de faible coefficient. Dans la fenêtre de l’écran de l’appareil photo la ligne de l’horizon descend avec la mer quand on ne la regarde pas puisque la mer se fige quand on l’examine trop, elle ne monte ni ne descend figée par le regard qu’on pose sur ses ondes, tout immobile donc dans la fenêtre du boîtier. Tout immobile donc la lumière est revenue avec l’éclaircie sans qu’on ne la voie revenir. Le jour baisse tranquillement et les réglages du boîtier vont devoir s’adapter mais à peine pour un trait de la molette crantée. Rester immobile donc derrière le trépied assise et repliée les genoux dans les bras. Rien ne presse. Attendre la lumière si elle veut bien venir. Sinon ce sera tant pis ce sera un autre jour. Rester immobile donc à regarder la lumière descendre comme une main douce tout le long de la courbe du dos qui déploierait les ombres. Les ombres sur les cailloux se coulent dans le terrain dans les creux et les bosses et aussi les trous d’eau pour des reflets parfois. Mouvements imperceptibles tout immobile donc. Alors fermer les yeux. Y revenir seulement après un long moment pour voir une différence de lumière et puis d’eau en longueur en largeur Tout immobile donc puisque la mer est calme. Pas d’écume aux cailloux qui pointent leur sommet puis se font écueils et récifs et même bientôt îles quand ils se joignent à d’autres reliés par des chemins de sables ou de vase ou bien d’autres cailloux. Tout immobile donc. Détacher les mains des genoux et poser la main droite sur les cailloux du sol pour pivoter doucement et déplier les jambes pour qu’elles soutiennent le corps, que les pieds soient l’assise et non plus le séant. Debout poser l’œil dans le viseur et tourner juste d’un cran la molette de droite pour adapter le temps de pose à la lumière qui revient avant de s’en aller doucement pour laisser venir la nuit. Tout immobile donc juste reculer le buste et laisser les bras rejoindre le long du corps soleil couchant dans le dos pour que l’ombre s’allonge et s’allonge et s’allonge. Tout immobile donc pour que l’ombre s’allonge jusqu’au loin de la mer et jusqu’au bruit des vagues.
Codicille :
Mow, toujours, cette fois, je la vois en train de photographier, dos au coucher de soleil mais face à la mer, une histoire de départ, de souvenirs, de ce qu’on garde, de ce qu’on veut garder de comment on fait pour garder les souvenirs… Peut-être un texte qui viendrait juste après DUP dans LVME #14 (14 aussi, même pas fait exprès…)
Très réussi, émouvant (je t’ai croisée tu méditais encore ta14) on est complètement dans et avec ce « tout immobile ». Merci
l’oeilbien ouvert et braqué sur les subtilités du monde…
J’aime bien cette correspondance entre le regard ou non du spectateur, son immobilité ou non, qui permettrait ou non le mouvement, le passage du temps.
J’aime bien la phrase toute simple: « Sinon ce sera tant pis ce sera un autre jour. »