#été2023 #013 |  quatre voix

Sud, il se souvient quand ils étaient enfant, on leur disait souvent à tous les deux qu’ils avaient le type des gens du sud, la peau brune, les cheveux noirs. Il a mis du temps à percevoir le léger dégoût qui accompagnait cette phrase dans certaines bouches. C’était difficile à comprendre à cette époque, il était enfant, et ça l’est encore aujourd’hui pour lui, autrement. Au cours de son premier trimestre en sixième, il a mené une enquête familiale pour comprendre pourquoi ils étaient comme cela. Il n’a rien découvert, il a interrogé sa grand-mère paternelle, elle était affirmative, dans sa famille on était brun, on avait la peau mate et cela depuis des générations, et tous les papiers de la famille le prouvaient, on était français pure souche. Alors pendant un certain temps quand quelqu’un le titillait sur son type, il sortait de son sac une photocopie de l’arbre généalogique qu’avait réalisé sa grand-mère pour prouver ses origines, mais il a compris que cela ne changeait en rien le regard de ces garçons et de ces filles sur lui, alors il a laissé dire. En grandissant, il s’est aperçu que ce physique avait ses avantages, il était exotique, il aimait être différent, mais cette différence lui coûtait un peu.

Ouest, on devinait à travers les fenêtres de la médiathèque l’océan. Quand ce sentiment de joie face à la beauté l’envahissait, elle se trouvait bête, elle s’en voulait, elle devrait le savoir maintenant le monde est laid, tout s’abîme vite. Alors elle détournait la tête et regardait vers l’est, vers la ville des hommes. Elle se demandait comment il serait ce soir, elle repensait au repas, elle révisait la liste de consigne qu’il lui avait laissée avant de partir au lycée, elle était certaine d’avoir rempli toutes ces missions, mais elle s’inquiétait quand même, ce matin il lui avait demandé de passer au pressing pour récupérer ses chemises, il lui avait aussi demandé de payer la nourrice, elle avait ce qu’il fallait, elle repartait vers l’accueil tranquillement et elle repensait au reste de la journée, ce midi, oui, ce midi, la directrice lui expliquait les nouvelles consignes de sécurité quand il a appelé, maintenant elle décroche toujours son téléphone, autrement il devient fou, elle s’est excusé et elle a quitté la pièce, qu’est-ce qu’il a dit, qu’est-ce qu’il a dit, le rôti, ses parents, le rôti et les pommes de terre en chemise, elle court vers la zone fumeur pour appeler le boucher, elle regarde sa montre, il est encore ouvert, est-ce qu’il pourra prendre sa commande pour demain soir, elle refait deux fois le numéro, il répond, elle souffle et elle espère.

Est, il était dans la région pour elle, lui il était alsacien, la mer ce n’était pas pour lui, il ne s’était jamais baigné, pourtant il était là depuis cinq ans. Tout ce folklore touristique, ces corps exposés, cet océan sale, rien ne lui plaisait. Il allait demander sa mutation pour retourner au pays, elle n’avait rien à dire, plus maintenant.

Nord, elle le regardait, elle devinait qu’il lui cachait quelque chose, elle l’observait en train d’écrire sur la table du salon. La lumière de cette pièce au nord l’obligeait à s’éclairer avec le lampadaire. Ce n’était pas grave cette lubie d’écriture, après tout, lui aussi il avait souffert, maintenant elle ne lui en voulait plus, ce qui l’inquiétait c’était ce regard vide qu’il avait par instant, il avait toujours été un peu dans la lune, mais pas de cette façon, quand il revenait sur terre maintenant, il était perdu, peut-être plus que dans la lune, perdu dans le vide sidéral. Elle attendait, il lui en parlerait, elle le connaissait. Depuis toujours, quand il s’inquiétait pour sa santé, il venait la voir, elle le rassurait et le conseillait.

A propos de Laurent Stratos

J'écris. Voir en ligne histoire du tas de sable.

3 commentaires à propos de “#été2023 #013 |  quatre voix”

  1. Pour le sud qu’il continue à ne pas comprendre l’imbécilité.
    Pour l’est et l’ouest qu’ils s’harmonisent.
    Qu’au nord elle accepte son regard vide sans trop s’en inquiéter.
    Et surtout que je cesse de dire des sottises (juste j’ai aimé))

  2. Vraiment bien ces quatre personnages. Ma/on préférée c’est Ouest, pourquoi ? je ne sais pas.