#été2023 #03bis I Sur le parvis de l’école

extrait du journal pris dans le cahier 2005

Je sais que je suis dans les temps quand je vois ces quatre femmes devant le portail de l’école maternelle Germaine Coty. Il est alors 8h45. L’école maternelle est fermée, les enfants en classe. Elles se retrouvent là tous les matins. Il y a celle du 18 rue Germaine Tillion, celle du 42, celle du 15 rue Hannah Arendt et celle du 27 rue Mélanie Klein. Elles discutent un moment avant de se séparer. Parfois elles repartent deux par deux. La 18 et la 42, la 15 et la 27. La 18 est la plus âgée. C’est la grand-mère de Téo. Je la connais bien parce qu’elle reçoit beaucoup de courrier. Toutes les semaines elle a au moins une lettre, soit de sa famille soit de ses amies. Pas d’homme dans sa vie épistolaire. Elle n’est pas très grande, cheveux blancs pas trop courts, vêtements colorés, elle parle en touchant du bout des doigts la personne à qui elle s’adresse. Une voix qui porte. Elle a une fille qui vit à Paris, une autre qui ne lui écrit pas et pour cause … elle habite à quelques pas d’ici rue Claire Bretécher. C’est la maman de Léo. Elle dépose son fils les jours d’école au 18 rue Germaine Tillion et c’est sa mère qui le conduit à l’école. Depuis le temps que je lis son courrier je n’ai jamais pu trouver son prénom. Elle doit avoir un prénom particulièrement ingrat pour que personne ne l’utilise.  La plus grande, longue crinière rousse et silhouette filiforme, parle avec de grands gestes et éclate de rire facilement. Je ne la connais pas très bien. Elle habite au 42 rue Germaine Tillion depuis peu et ne reçoit guère de courrier, outre les factures et les colis.  Les colis, je ne les ouvre pas. Je relève juste la provenance, ce qui dit déjà beaucoup de choses sur la personne. Les factures ça me parle aussi surtout quand elles sont doublées de lettres de rappel. Et puis il y a celle de la maison rouge du 15 rue Hannah Arendt. C’est une maison construite sur un promontoire, un amer remarquable dans une marée de pavillons tous semblables. Remarquable. Tout comme l’est sa propriétaire, très belle jeune femme aux nombreux bijoux – boucles d’oreilles pendantes, bagues à tous les doigts et bracelets en métal qu’elle agite régulièrement – les cheveux ramassés sous un turban turquoise, jupe à grosses fleurs framboise longue et vaste, caraco vert anis qui fait ressortir l’ébène de sa peau. Ce que je sais d’elle est lié aux divers abonnements qui arrivent dans sa boite aux lettres. Elle reçoit des bulletins de plusieurs associations caritatives et est abonnée au courrier de l’UNESCO. Elle participe avec véhémence à la conversation. Le contraste est saisissant avec celle du 27 rue Mélanie Klein, jeune fille réservée, qui se contente de hocher la tête régulièrement ou de rire aux propos des trois autres. Tenue classique en jean serré et chemise blanche aux manches retroussées, chaussures de sport tout aussi blanches. Je sais qu’elle est étudiante. Elle m’a demandé de distribuer dans les boites aux lettres du quartier un flyer stipulant qu’elle est baby-sitter et peut accompagner et venir chercher les enfants à l’école. Elle habite chez son père qui est veuf. Les quatre… je les appelle les quatre. J’ai commencé à m’intéresser aux quatre depuis peu. Il me plait d’imaginer une fiction dont le titre serait Sur le parvis de l’école maternelle, elles étaient quatre

A propos de Claudine Dozoul

Se balade entre écriture et pratiques artistiques diverses. Animatrice depuis longtemps d'ateliers d'écriture.

2 commentaires à propos de “#été2023 #03bis I Sur le parvis de l’école”

  1. Belle idée de roman. Les quatre copines et les femmes noms de leur rue. Relire Bretecher ça va, Melanie Klein et Hannah Arendt, ça va être plus long.

  2. Depuis quelques temps, je suis les aventures de votre facteur. Métier que j’ai exercé quelques années dans une vie antérieure. Je suis heureux de voir s’écrire une histoire dont je n’ai jamais osé écrire la première ligne.