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#histoire #05 | 100 vues du mont Dazaï
On poursuit une idée assez impalpable, mais simple : comment les éléments déjà réunis peuvent faire avancer le livre sans même l’intervention apparente de l’auteur ? Avec impact profond pour notre côté des manettes : pour que «l’histoire» en elle-même soit «moteur» du récit, mettre en place des rouages qui nous embarqueront nous-mêmes, auteur, dans quelque chose qui avance de par sa propre dynamique.
Rappel : on est parti d’un a priori spatial, carte géographique ou lieu, et proposition #01, histoires recueillies, ou probables, ou à inventer, sans les développer, l’imaginaire surgissant de l’accumulation des titres. On a développé, avec Kotlès puis Echenoz, l’idée de «témoins» impliqués, mais dont le témoignage ne «racontait» pas l’histoire, seulement la nourrissaient, puis l’idée de portraits traversant le lieu ou simplement associés au lieu, et devenus portraits. Avec la proposition #04, les «pourquoi» de Mauvignier, une étape importante: les narrateurs ou locuteurs qui énoncent ces «pourquoi» ne sont pas l’auteur, ce sont leurs interrogations qui démultiplient l’histoire en construction.
On voudrait revenir à ce processus, mais cette fois en remettant une fois de plus en avant le lieu lui-même, ce point de carte géographique qui nous a servi de base.
Une façade d’immeuble, des personnages chacun chez eux, étage par étage, front contre la vitre ou occupés au fond de la pièce, mais le paysage — urbain ou pas, coucher de soleil ou horizon noir — qui serait raconté par chacun et chacune de ces personnages, comment imaginer qu’il pourrait être le même, dans la même syntaxe, dans la même perception ?
J’en reviens au livre fondateur du creative writing, le The art of fiction, de John Gardner : on s’est servi ici de ses 30 exercices, et notamment de la série 4a, 4b, 4c, 4d (et voir le cycle Outils du roman) fondés sur le même principe : «describe», 1er mot et impératif, puis un paysage, un lac, un bâtiment, en tout cas ce qu’on a dans le champ visuel, 3ème élément un «as seen by» — et c’est là l’important — «tel que vu par», avec quatre personnages successifs (plus exactement, trois et un oiseau), dont Gardner nous dira la raison de l’intensité (cette vieille dame devant le lac vient de perdre son mari) et élément ultime un autre impératif : «do not mention», le personnage devant paysage n’aura pas droit à mentionner ce qui explique son trait particulier de perception (on ne mentionne pas le mari de la vieille dame, et encore moins qu’il vient de décéder).
C’est ce qui m’a ramené à ce texte si étrange, et quasi légendaire, d’Osamu Dazaï, ses Cent vues du mont Fuji. Ou en tout cas la nouvelle qui porter ce titre, dans un livre où chaque chapitre est un condensé de ces situation si lourdes à traverser dans l’avant écriture, quand rien n’est promis, mais que tout le réel semble se disposer en fonction de cette attente. Ainsi aussi, dans ce même livre, ses «Huit tableaux de Tokyo» que je mentionne par contre exemple: Tokyo ce serait beaucoup trop grand, il faut que nos personnages regardent toutes et tous le même et unique paysage, le mot «paysage» n’ayant fonction que de cadre visuel, une place, une rue, un hall de gare, l’intérieur d’un ascenseur, une ligne d’horizon l’atelier révélera l’ensemble des choix, il suffit à chacune et chacun de reprendre les contributions déjà écrites.
Cent vues du mont Fuji : le nom d’une encore plus légendaire série du peintre Hokusaï. Dazaï en reprend le titre, mais se l’autorise précisément parce que, son narrateur séjournant dans une pension à proximité immédiate du mont, dans son périmètre, on ne le voit pas pour autant. Brumes ou autres conditions météorologiques défavorables : le mont Fuji existe-t-il demandait Jacques Roubaud, si plus grande proximité n’induit pas qu’on soit assuré de son existence?
En pièces jointes, trois extraits du texte d’Osamu Dazaï, trois facettes de possibles écritures du mont Fuji. Mais ici on va lui aussi l’abandonner. Dans la vingtaine de pages de ce texte dense, glauque, brouillardeux comme le Fuji (qui peut tout aussi bien paraître en sa splendeur géométrique et pure, tout illuminé de blanc, au-dessus des zones industrielles que traverse en bas le Shinkansen, j’en ai reçu le cadeau), le narrateur écrit moins le paysage que les personnages qu’il y croise. Et chacun de ces personnages, saisis vifs dans la complexité de la société japonaise, en noir et blanc comme chez Ozu, a sa propre perception et sa propre nécessité pour venir ici attendre ou se perdre, fuir ou se trouver.
Et c’est cela que je vous propose d’emprunter à Osamu Dazaï: votre Fuji, à vous de le trouver. Ces personnages, ce seront les vôtres. On n’a rien besoin de savoir d’eux, mais vous, vous le savez: c’est le do not mention de Gardner. Nécessité de confronter plusieurs énonciations distinctes d’un même paysage par des locuteurs différents: c’est ce qui va faire naître l’histoire depuis ce basculement hors de nous.
Exercice difficile, exercice de laboratoire, j’en suis conscient. Mais la masse composite de ce qui est en train de naître, et là avec cette cinquième proposition on reste dans l’exigence qui fondait cette séquence: quelque chose s’écrit dont nous ne décidons pas nous-mêmes.
Si on écrit le même mont Fuji pour cinq (au moins trois, mais plus possible aussi) locuteurs distincts, à la condition que chacun de ces locuteurs ne décrira que ce minuscule point de carte géographique qui lui fait face, ce n’est plus nous qui écrivons l’histoire, c’est elle qui embarque l’ensemble des locuteurs dans la même bascule avant.
Et donc à nous d’essayer, et tant mieux si cela nous rapproche de l’ombre même malsaine de cet immense et noir auteur qu’est Osamu Dazaï.
Bonsoir François Bon,
A quelle adresse mail faut-il envoyer son texte? Je ne trouve rien dans les menus… j’ai utilisé ce matin l’adresse avec laquelle je reçois la lettre Tiers Livre, mais est-ce la bonne?
à mon adresse mail perso fbon /@/ tierslivre.net ! l’adresse d’envoi des messages Patreon est celle du robot de distribution !
voilà pourquoi mon envoi s’est perdu!..