
(Hôtel Studio intérieur jour )
Celui-ci, surgi d’un tout premier texte, est un hall de palace aux murs discontinus avec un ascenseur qui ne mène nulle part et un vrai lustre à pampilles. C’est aussi une chambre bleue sans plafond aux murs intermittents amovibles. Comme un appartement témoin éphémère. Maquette grandeur nature. Simple décor avec chambre sans extérieur. Sinon de hauts panneaux marouflés de photographies sépia colorisées en glacis. Impression nébuleuse de ville, d’arbres, de façades, de toits, de ciel en perspective accentuée, voire rabattue suivant l’angle de vue et, constellation de loupiotes gélatinées pour impression de ciel étoilé en découverte intérieur nuit.
Dans ce lieu retrouvé de l’enfance, elle se glisse. Un jour de juin, on dira.
À l’aube: c’est beau juin.
Rue du point du jour il y a des studios, de grands espaces vides où l’on reconstruit des mondes. Là, tout est vrai et faux. Total et discontinu.
Passer un porche. Des portes immenses. Un camion les franchit. On dirait une rue intérieure. Il y a même un petit café. On comprend que c’est une impasse. Plus une fenêtre ne donne sur le dehors. Une horloge murale rappelle qu’ici comme ailleurs le temps passe.
Si elle est venue seule, de très loin ou d’une rue voisine. À pied. En métro ou en bus. Ce n’est qu’une enfant sans doute, c’est possible. Elle porte, une jupe grise et des souliers rouges comme sur cette photographie retrouvée bien après. Son visage et son âge restent incertains. Fugitifs.
Tu veux visiter notre hôtel ? Tu veux voir le grand hall et la chambre ?
Elle perçoit des bruits de machines : scies, perceuses, visseuses électriques, marteau. Des gens poussent des charriots. Ils portent des échelles. Elle apprendra les mots. Châssis. Gamelle. Camion. Découverte. Projecteur. Gélatine… Au bout d’un long couloir, après d’autres couloirs marqués d’une lettre peinte, elle franchit une porte. À hublots cette fois. Tout est dans la pénombre. La hauteur des murs impressionne. Murs dans les murs des panneaux de bois brut sans décor forment une sorte de palissade comme on voit sur les chantiers, avec une porte bien réelle d’une couleur blanche impeccable, doté d’un numéro doré, même d’un Juda comme aux portes des chambres de palaces .
Tu viens ? (Qui la précède ?)
Ils entrent dans une chambre tapissée de bleu. Des lits jumeaux. Chacun sa table de nuit et sa lampe de chevet. Des fauteuils bergères sous housses translucides. Un papier à fines rayures. Des tableaux sur les murs : Sous-bois et Marquises dans leurs Marie-Louise filées d’or. Les appliques à pampilles sont comme une réplique du grand lustre qu’elle aura vu tout à l’heure. Un cendrier de verre. Une carafe. Deux verres. Même une salle de bain pavée de marbre et tout le nécessaire. Serviettes. Savons. Sèche-cheveux. Peignoir. Tout. Dans sa vraie taille. Elle passe la main sur le rebord de faïence mais, dans le miroir cerné de lampes il n’y a personne.
Les fenêtres et les portes s’ouvrent. Les interrupteurs commandent la lumière. L’eau s’écoule des robinets cependant que les murs sonnent comme sonne une boîte vide. Réel vacillant, en attente d’histoire. Et il y a ce plafond sans plafond. Grand trou noir. Gouffre d’où plonger dans l’image. Dans l’image de cette chambre. De cette chambre qui est une scène. Une scène dans un film. Qui est une image. Une image suspendue dans une tête. Maintenant. Elle est à la fenêtre. Elle écarte le voilage. Elle attend …
« Je pourrais fermer les yeux, les invoquer, les matérialiser… »
Retrouver le tapis aux motifs arabesque dans le couloir de cet hôtel de L., les numéros de laiton en relief, les appliques blafardes en forme de fleur. À gauche de l’escalier, la première chambre à droite ; le bruit de la clé, une vraie clé avec un porte clé en bois : fermer les yeux, reconnaitre le papier, des roses en bouton ; le couvre lit, cloqué, comme un papier bulle opaque. À l’hôtel Iris dans la salle d’eau tout en hauteur, l’énorme radiateur de fonte et le bidet sans robinet ; les meubles hétéroclites, les draps nylon, le pot-pourri sur l’étagère : mélange d’agrumes et de cannelle. En ressortant, cet homme qui repeint les plinthes du couloir avec un pinceau trop petit. Rue des Saints Pères il y avait un papier à rayures et juste au-dessus du lit un portrait de femme dans un cadre ovale avec un faux air de Mademoiselle Rivière de Ingres ; deux chocolats sur l’oreiller et une carte de bienvenue manuscrite. À l’arrêt du 95, rive droite, avec terrasse, on voit le cimetière de très haut ; une suite à portes coulissantes : le lit matrimonial XXL, le coin bureau Empire et l’extincteur dans le placard. À Amsterdam cette chambre de taille cabine avec trois lits superposés. À Munich un lino moucheté et une couette javélisés. À New-York la façade du Chelsea hôtel, seulement la façade, puis, en roulant vers le Connecticut les motels à coursive. À Essaouira trois ans plus tôt, les murs qui suintaient le sel et la rouille, les draps ne séchaient pas ; c’était le Ramadan : personne dans l’hôtel à part un couple de Néerlandais psyché. À Faro le piano à queue de la grande salle en terrasse, le pianiste du bar qui joue dès le petit déjeuner et, ce petit garçon japonais qui tient son croissant à deux doigts, comme un crabe, par le dos. À Cracovie la nappe brodée protégée de plastique translucide, des harengs sur un plat métallique ; les gâteaux tortillon couverts de sucre glace dans une panière tressée en plastique et les farcis rassis sur une assiette de pique-nique à motif floral – L’hôtel Du Cygne, l’hôtel Albina ; l’hôtel d’Angleterre ; De Venise (à Calcutta désert) ; De Nantes (il pleut), de Prague et d’Oslo ( pas encore) , de Vesoul ( tu n’as pas voulu voir) ; Le Central, Le Sénéchal , La Louisiane, L’Iris ou l’Ibis ; l’hôtel de la Clé, Le Splendide Hôtel, Le Bellevue ; Le Continental ; Le grand Hôtel ; Le Lutétia ; Le Versailles. Combien d’hôtels de La Gare ; De La Poste ou de La Cathédrale, De La Plage, Du Centre, De La Comédie, Des Artistes. Combien, Des Pas Perdus, De L’Éternel Retour, Du Cimetière est à gauche, De la bombe H ; Du zyklon B, De la dernière nuit, Des abysses, Du Paradis. Combien de chambre 9, de 22, de 311 avec clé, carte, code. Avec lavabo et toilettes sur le palier, et douche ou bain, et bain et douche, moquette, carrelage, parquet ; avec store, volet, rideaux, persiennes et vue sur la chambre d’en face, sur le boulevard, le parking, la mer, rien. Combien d’hôtels Apollinaire, de Flaubert, Des Mousquetaires, De Jeanne d’Arc du Vieux Port et Des Amants du Capricorne, De la Bonne Mère du Saint-Sauveur, De la croisière du navigateur : Où est Le Virginia ; Le Dickinson : As-tu retrouvé à Brest Le Querelle ? À Nantes Le Cherbourg ? À St V. la réception se trouvait au premier étage, des fauteuils club et une table basse composaient un salon ; deux fenêtres à petits carreaux retenaient une lumière étale. Rue du Cygne le comptoir se cachait sous l’escalier, un jeu savant de miroirs renvoyait les passages. À B. il y avait un comptoir d’accueil très haut, on ne voyait que le crâne et les yeux de la réceptionniste au fort accent anglais. Dans cet Hôtel de l’échangeur : personne, des caméras partout. À Cracovie encore, le hall vitreux donnait sur un boulevard, le style Mid-Century-Modern, skaï orange et faux bois des meubles. À Bayreuth une pension chalet excentrée sous les pins ; un tablier ourlé de dentelle ; un cerf en tapisserie ; une cheminée qui fume : dans une assiette creuse des boulettes de viandes couleur chair baignant dans une sauce noire. À Rabat l’appel de la prière la chambre donne sur une place avec un cinéma – et pourquoi pas L’Eden. Par un couloir étroit, se glisser de profil avec la valise : la moquette arrachée, les murs à peine enduits puis, la surprise d’une chambre immense à trois fenêtres, avec un plafond en rotonde. De V. aucun souvenir sinon une impression rose et que les trois lits se touchaient. Par une fenêtre basculante un réverbère sur un parking désert, c’était au retour de T., il faisait froid. En 2020, une nuit de couvre-feu, on traverse les couloirs, masqués. Dans une chambre surclassée, on boit du champagne tiède dans des gobelets plastique ; tu passes la tête par la fenêtre pour fumer. De celle donnant sur la mer la vision obsessive du cheveu allongé sur le drap ; ailleurs un sifflement continu sans source identifiable : une porte tambour vide qui tourne en boucle : cent douze portes numérotées de 112 à 112 : des conversations dans un couloir et il n’ y a personne : la climatisation qui s’emballe, l’eau du verre qui gèle : une alarme, descendre par l’escalier de secours les pieds nus : dans la nuit de la rue, la fumée qui sort des fenêtres et des bouches « comme des bulles posées sur le lac cocon de bois au cœur d’un ancien verger des chambres à seulement 300 mètres de la rue Karl Johans Gate et à 1 minute à pied de la Gran Via par le car ou le bateau ou à pied par le boulevard intérieur une jolie promenade avec parking réservé en étage à seulement 6 minutes du musée des Car et à 2 km de l’université historique nos chambres toutes équipée de réfrigérateurs Wi-Fi gratuit et d’une terrasse à écran plat avec bidet séparé ou toilette dans la cour muni d’un sèche-bonnet et de chaussons bien aménagées propres et spacieuses avec petit-déjeuner continental servi quotidiennement dans un établissement partenaire à seulement 20 minutes à pied du port » Cette vue du Pirée en quadri pop, la bouteille de vin offerte, les deux verres en pyrex et la petite terrasse sur cour qui donnait sur le port. Dans une chambre à lambris, un couvre lit grenat : tu aurais dit ponceau mais tu n’es pas venu. Dans cet hôtel de Paris à dédale de couloirs où Jim Morrison avait dormi, l’escalier de bois massif avec une rambarde de fonte 1900 ; le réceptionniste lisait un livre de Jim Harrison : je te l’ai raconté au téléphone mais tu ne m’as pas crue. Au premier la chambre plongeait sur une rue ivre, malgré la pluie battante, on entendait en stéréo les conversations de la terrasse d’en face protégée par une bâche rouge. De la chambre d’hôtel de Rome, la dernière, ne restent que les fientes de pigeon du balcon et le bruit incessant d’un marteau piqueur ; d’une autre quelques années plus tôt, ce vis-à-vis sans perspective de briques pleines aux camaïeux de terres… Hôtels de l’enfance qui coupaient la route des vacances. Du travail saisonnier à faire des lits et vider des corbeilles. De voyages. De tournées. D’une nuit. D’une semaine. Ou de plus. Où on a fait l’amour plus fort. Où on a attendu en vain. Regardé des films en Grec, en Polonais, en Arabe. Bu. Ri. Pleuré. Lu jusqu’au bout de la nuit. Hôtels à nuits blanches studieuses ou pitoyables. À entendre d’autres vies que la sienne. À rêver sans dormir. À dormir comme une pierre. À regarder l’enfant dormir. À retrouver l’enfant perdu.

rhapsodie des hôtels et son moment de bascule — grand trou noir — et sa chute à deux temps tellement belle (l’enfant dormir)(l’enfant perdu)